Souvenirs de la Basse Cornouaille/Livraison 1/La Croix de Pennéarc’h

La bibliothèque libre.

La Croix de Pennéarc’h en Plogoff

J’ai donné dans Raz de Sein, les légendes qui font exister la ville d’Is aux environs du Cap Sizun, l’Île de Sein aurait fait partie de ce cap, dans les temps anciens… j’ai dit que les gens âgés de cette île, prétendent tenir de leurs devanciers, que leur commune est propriétaire d’une partie de la pointe du Ras.

J’ajoutais : il n’y a que des légendes sur l’existence de la ville d’Is, des études savantes doivent le démontrer, et des travaux sont préparés là-dessus. on les attend ! ne doit-on pas s’attendre à tout ?

J’ai bien remarqué que cette question intéressait, et de Londres même on m’a adressé nombreuses demandes… j’ajoutais ceci, et on peut le lire à la page 15… Raz de Sein.

« Un marin pêcheur de Plogoff, retirant un jour ses filets, sentit un poids extraordinaire, étonné il soulève lentement, et ramène à son bord une croix en pierre dégradée par les eaux. Elle est encore à Pennéarc’h, on peut la voir, comment expliquer sa présence dans les courants du Raz ? Il est vrai de dire qu’une autre statue a été tirée des eaux profondes ; à celle-ci, on donne une origine espagnole, on s’est contenté de lui faire un trou dans le côté, on y a mis une flèche, et l’on en a fait un Saint Sébastien ; il faut dire que celle-ci a été retrouvée à Penmarc’h, que les espagnols fréquentaient beaucoup, quand le port et le commerce de cette ville était dans sa splendeur, il y a trois siècles.

Monsieur Le Menn archiviste, en parle dans la monographie de la cathédrale Saint-Corentin.

Le désir m’a pris, depuis les lignes écrites dans le livre Raz de Sein, de me rendre compte, de visu, de cette croix moïsePennéarc’h est un grand village de la commune de Plogoff, sur laquelle est située la pointe du Ras, au sud du bourg, sur le bord-de la mer le village surplombe la côte, qui est là très escarpée.

Appelez village si vous voulez, une agglomération de maisons, comptant plus de 300 habitants, ayant place, rues, plusieurs maisons de commerce, et des cabarets, ceci ne fait doute pour personne en Bretagne, cette commune du reste possède, encore quelques villages aussi importants.

Le hasard voulut que justement près de la croix en question, je rencontrasse la personne la plus à même de me renseigner.

Je suis, me dit-elle, fille de Pierre Tréanton, et ce Pierre Tréanton est le marin qui a pêché cette croix, dans les courants du Ras… pêché, me dit-elle, est le mot vrai : ce n’est pas comme vous l’avez dit par un filet, qu’elle a été ramenée, mais par une palangre, forte ligne qui sert à pêcher les congres, les turbots, elle ramène même des anges et des postaux dont le poids est quelquefois de plus de 60 kilos.

C’est un peu au large, près de la roche la Vieille, là se trouve le phare actuel, environ à deux milles, et à une profondeur de 25 brasses (environ 120 pieds).

Il y a de cela soixante-cinq ans, et à cette époque j’avais cinq ans. C’était un jour de vendredi saint, je vous prie de le remarquer. Pendant quelques années, mon père a conservé cette croix dans le jardin, jusqu’au jour, où M. le recteur l’a fait ériger à cette place, au sommet de cette pierre que vous voyez, et au pied de laquelle tout le village va prier, puisque nous n’avons pas de chapelle.

La croix a environ 1m 20 de hauteur, et elle est toute de granit de la côte… l’anagramme I. N. R. I. est parfaitement conservé… Le sommet de la croix et les deux branches sont terminés par des boules arrondies, quatre fois grosses comme des billes de billard.

La couronne d’épines est un large turban, les bras sont très courts, peu proportionnés au buste qui est très fort, il en est de même des jambes posées l’une sur l’autre, le pied gauche repose sur le pied droit… mains et pieds sont parfaitement sculptés… on y a mis même plus de soin que pour les autres parties du corps.

La tête est comme toujours dans toutes les croix sans expression… c’était la réflexion que je faisais.

Pourrait-on en effet reproduire, de manière à contenter un croyant, la tête d’un Christ mourant ? Ce mot si simple en effet de l’évangile : Inclinato capite, tradidit Spiritum, renferme tant de choses à exprimer : souffrance, prière, miséricorde, pardon etc… pas un pinceau pas même celui de Michel Ange, l’artiste qui plus que Sanzis, s’est rapproché du sublime, ne saurait arriver à peindre autant de sentiments divers, tous contenus dans les paroles dictées, du haut de la croix.

Tout le monde est d’accord, os loquitur ex abundantiâ cordis ! et c’est encore plus exact pour le pinceau et le burin.

Il n’existe pas, en effet, un cœur assez pur, assez élevé pour traduire, un pareil sujet, pas plus qu’on ne le peut dans le style, dès lors qu’on ne saurait le comprendre.

C’était là, le résumé des réflexions qui hantaient mon esprit au pied de cette pauvre croix de pierre, dont l’origine est inconnue.

Un souvenir me vint, en pensant à Michel Ange, le grand artiste avait peint, dans un de ses tableaux, une vierge mère… et nous le savons tous[1], une seule personne, une seule, et encore !! pouvait prendre le droit, de faire des remarques sur les travaux, qu’il lui commandait, c’était le grand pontife qui alors régnait sur le siège de Pierre, celui auquel l’art doit ses plus beaux monuments et ses plus beaux tableaux… un grand seigneur, qui avait ses entrées à la cour pontificale, fut introduit dans les ateliers de Michel Ange, il examina en connaisseur le beau tableau que l’on prépare, le critique, a l’audace de dire que la vierge a les traits de la jeunesse, qu’elle a l’air trop jeune… le grand artiste impatient : ne sais-tu pas, Fauchino, que les vraies vierges, restent toujours jeunes, peuvent-elles avoir des rides ?

Le grand artiste ne comprenait pas qu’une vierge pût prendre un semblant de vieillesse.

Il en est de même pour quiconque veut en connaisseur, juger une tête de Christ mourant.

Partout et toujours on exagère la douleur jusqu’à l’horreur même, il y en a qu’on devrait interdire dans les images ; un seul peintre a pu rendre toutes ces expressions réunies, pauvre comme Gilbert et malheureux comme lui ; comme celui-ci il pouvait dire.

Mes ennemis jaloux ont dit dans leur colère
Qu’il meure et sa gloire avec lui.

Ce grand artiste inconnu mourait ignoré dans un hôpital, à bout de misères, de chagrins, abreuvé d’amertumes, il était là, abandonné de tous. Donna-t-il le résultat de ses méditations dernières, les derniers reflets de son âme avant d’expirer… il faut le croire.

Saisissant un charbon éteint, dans un encensoir resté non loin de sa couche, il trace dans les derniers efforts, dans les derniers accès d’une fièvre qui le dévore, le plus beau chef-d’œuvre que l’on puisse voir, une tête de Christ mourant : et cette figure peignait tous les sentiments de l’âme résignée de Zurbara, l’espagnol. Ce fut le dernier effort de son génie, car un instant après il expirait en jetant un dernier regard sur l’image ; on retrouvait tout dans l’image, prière, miséricorde, pardon, résignation.

On peut dans la poésie peindre ces sentiments qui se rencontrent dans le chrétien mourant de Lamartine.

Déposer le fardeau des misères humaines,
Est-ce cela donc mourir ?

Et ce mourant fait un reproche à ses amis de pleurer son sort.

Compagnons de l’exil, quoi vous pleurez mon sort ?

Il est bien plus facile de peindre le Christ enfant, le Christ enseignant, c’est ce qu’a fait au premiers jours de l’enfance du christianisme, un artiste inconnu dans les catacombes de Rome… il y a quelques rayons divins dans les impressions, tels que le cœur pur qui les traçait, les peignait.

Mgr Gerbet, évêque de Perpignan, le trace bien dans son voyage qu’il décrit aux sombres retraites des vieux chrétiens, je donne une de ses strophes.

Un roc sert de portique, à la funèbre voûte,
Sur ce fronton,
Un artiste martyr, dont les anges sans doute,
Savent le nom,
Peignit les traits du Christ, sa chevelure blonde,
Et ses beaux yeux,
D’où s’échappe un rayon d’une douceur profonde,
Comme les cieux.

Quoiqu’il en soit pour le Christ de Pennéarc’h, la croix Moïse, qu’il ait été sculpté par un artiste de la cité d’Is, où d’ailleurs ; il est d’une maigreur effrayante, exagérée. Quand je le dessinais, mon conducteur m’en fit l’observation ; je me contentais de lui dire en breton… que voulez-vous, après un temps si long, passé sous l’eau, il n’y a rien d’étonnant, il parut convaincu, et cela me suffit.

Cette croix devait être posée au sommet d’un édifice, d’une chapelle quelconque. Comment se trouvait-elle dans le Raz de Sein, à l’endroit même où les légendes placent l’existence d’une cité submergée, chrétienne puisque saint Guénolé se rendait près du roi Gralon et que quarante seigneurs et même plus, se rendaient chaque dimanche à la messe à Laoual. Laoual est encore indiqué sur la carte géologique du Finistère 1844… et Pierre Tréanton qui a pêché la croix, est né à Laoual même (drôles de coïncidences).

Quand je terminais le croquis de la Croix Moïse ce qui ne fut pas long, j’étais entouré d’un groupe de pêcheurs qui revenaient de la côte, tous savaient l’histoire de la croix. Un d’entr’eux me dit en Breton : ça ne pousse pas cependant parmi les goëmons de la mer ?

Comment donc lui dis-je, expliquez-vous sa présence dans le raz ? Parbleu, me dit-il, vous savez aussi bien que nous que la ville d’Is était là, et que le courant si fort qu’il fut n’a pu l’entraîner plus loin.

On ne leur retirera pas cela de la tête, servants de toutes les académies vous y perdriez votre latin, ils resteront incrédules quand vous viendrez leur dire que ce que l’on raconte de la ville engloutie est apocryphe.

Sont-ils les seuls du reste. Parmi les milliers de touristes qui abondent à la pointe du Raz, il en est qui ont eu connaissance de ce fait. Ils questionnent les gardiens du phare là-dessus… peuvent-ils s’adresser mieux qu’au gardien Kerninon, qui répond sans hésiter.

Toute cette histoire est vraie, la croix est à quinze pas de la maison que j’habite à Pennéarc’h. Dans une demi heure, vous pouvez l’aller voir.

  1. Michel Ange ne supportait pas la critique… Il se vengea d’un cardinal aristarque de cette façon : il prit son portrait, et dans un de ses tableaux, il le plaça… dans les flammes de l’enfer.