Souvenirs de la Basse Cornouaille/Livraison 1/Ville d’Is

La bibliothèque libre.

Ville d’Is

La légende Française concernant la ville disparue, fait remonter à l’an 544 de notre ère, l’invasion des eaux qui la fit complètement disparaître… On voit encore de vieux murs portant le nom de mogher greghi. Plusieurs routes anciennes aboutissant aujourd’hui à la mer, devaient autrefois se prolonger dans la baie de Douarnenez.

La ville, dit la légende française, était luxueuse, le palais somptueux, la cour adonnée à tous les plaisirs.

La fille du roi, la princesse Dahut, était belle… coquette et licencieuse, malgré l’austérité paternelle ; et se livrait à de folles orgies. Gradlon avait promis d’interposer son autorité, d’arrêter les scandales de sa fille, mais l’indulgence paternelle l’avait toujours emporté dans son cœur.

La jeune princesse forma un complot pour s’emparer de l’autorité royale, et le vieux roi ne tarda pas à être relégué dans le fond de son propre palais ; elle présida aux cérémonies, à l’ouverture des écluses, eut la fantaisie de les ouvrir un jour de grande marée.

C’était le soir, le roi vit venir devant lui St-Guenolé, apôtre de la Bretagne qui venait lui annoncer l’imprudence de sa fille… La mer pénétrait dans la ville, la tempête la poussait devant elle, il n’y avait plus qu’à fuir, la ville entière était destinée à périr et à disparaître.

Gradlon voulut encore sauver son enfant des suites de son imprudence, il l’envoya chercher, la prit en croupe sur son cheval, et suivi de ses officiers se dirigea vers les portes de la cité. Au moment où il les franchissait, un long mugissement retentit derrière lui, il se retourna et poussa un cri… à la place de la ville d’Is, s’étendait une baie immense sur laquelle se reflétait la lueur des étoiles. Les vagues arrivaient sur lui frémissantes, allaient l’atteindre et le renverser, malgré le galop de ses chevaux, lorsqu’une voix éclatante retentit :

« Gradlon, Gradlon, si tu ne veux périr débarrasse toi du démon que tu portes derrière toi ».

La fille de Gradlon terrifiée sentit les forces l’abandonner, un voile s’étendit sur ses yeux, ses mains qui serraient convulsivement la poitrine de son père se glacèrent et retombèrent, elle roula dans les flots.

Ce fut à l’endroit nommé depuis lors… pouldahut ou poul-david… (le mot poul signifie trou, mare). À peine l’eurent-ils engloutie, qu’ils s’arrêtèrent, quant au roi, il arriva sain et sauf à Quimper, se fixa dans cette ville qui devint la capitale de la Cornouaille.

C’est ici la légende française. Après de longues recherches, j’ai pu me procurer un vieux récit breton. La submersion de la ville d’Is, on en a fait un Guerz que tous nous avons entendu chanter dans nos foires et pardons.

J’en offre ici, comme je l’ai fait dans le Raz de Sein, la traduction littérale… lui conservant les tournures bretonnes qui lui donnent comme un cachet de vérité…

Je dis avant de passer outre cette scène dont je parle, la fuite de Gradlon, portant sa fille en croupe, est admirablement représentée dans le tableau de Luminais, admiré au salon de 1888… il se trouve au musée de Quimper et nulle part, il ne pouvait se mieux trouver… mieux là qu’au Louvre.

Je donne la légende bretonne, et je fais remarquer que Gradlon s’écrit Gralon, que sa fille ne se nomme plus Dahut, mais Ahès.

Je le répète, c’est la traduction littérale.

Dans l’évêché de Cornouaille, où se trouve aujourd’hui la mer de Douarnenez, existait autrefois une grande ville, c’était Is son nom… Une grande muraille large et haute, avec des écluses en fer, la protégeait de la grande mer. En cette ville, on voyait parmi les riches, dissipations et mauvais exemples. Gralon y résidait, et était roi en Bretagne, guerrier dans sa jeunesse, et dur envers ses sujets, dans sa vieillesse, éclairé par la foi chrétienne, il devint doux comme un agneau, il pleura sur les débauchés de la ville, et sur la vie désordonnée que menait sa fille Ahès, avec la noblesse de la ville et de celle de Ker-Ahès (Carhaix), qui lui appartenait.

En ce temps là, il y avait en Bretagne, deux saints apôtres, amis de Dieu… Kaourintin, premier évêque de Quimper (St-Corentin) et Saint-Guénolé, premier abbé de Landévennec… Souvent ils avaient prêché la foi à Is, et admonesté le roi sur les actes criminels, les injustices, les forfaits qui se commettaient au palais de la jeune fille. On se moquait d’eux, et le roi affaibli par l’âge, n’avait plus assez d’autorité pour arrêter les désordres de la grande ville. Dieu se fatigua en voyant cet endurcissement et fit connaître à l’ange de Bretagne, son ami Guénolé que, sans tarder, la ville serait inondée par les eaux. Aussitôt Guénolé, monta à cheval, courut à la ville d’Is avec la pensée d’arrêter la colère de Dieu… Mais le temps de la pitié était passé, quand le saint arriva vers les minuit, les écluses étaient ouvertes et la mer faisait un bruit épouvantable en roulant sur les habitants, sur les maisons et les palais.

Guénolé à cheval, se fait suivre de Gralon. Le vieillard, toujours bon père, malgré les désordres de sa fille, prend à l’insu du saint abbé, la grande coupable en croupe sur son bidet de bataille. Les vagues de la mer arrivaient sur eux frémissantes, ils allaient être engloutis, quand une voix retentit : Gralon, Gralon, si tu ne veux périr débarrasse toi du démon que tu portes en croupe derrière toi.

L’avertissement était de Guénolé, l’ange de Bretagne.

Ha Guenolé enn eur grena
Ha gri : Gralon toll an diaoul-ez
Divar daillard da hin kane :

Aussitôt les flots s’arrêtèrent et l’on vit la punition du ciel.

Guénolé ne put sauver que Gralon… On voit encore sur le chemin, la trace du sabot du cheval sur le roc, où les abbés de Landévennec, avant de prendre leur charge, viennent prier et reconnaître Gralon comme fondateur du monastère.

Ahès, la mauvaise fille, fut changée en Mari-Morgan (qui chante sur la mer, ou écume de mer) moitié femme et moitié poisson, quand il fait clair de lune, on l’entend encore chanter sur les ruines de la ville engloutie.

Ses yeux ressemblent à deux étoiles, ses cheveux ont la couleur de l’or, son cou et ses deux seins sont aussi blancs que la neige, sa voix mélodieuse charme et endort. Les marins du pays, quand ils l’entendent, se disent avec frayeur : éloignons-nous, Ahès est sortie de son palais, le mauvais temps est proche, et si nous tardons, nous serons jetés sur les rochers, pour dormir de notre dernier sommeil.

Comme Sodome, Gomorrhe, Babylone, Is n’est plus, et les flots roulent sur ses ruines. Au lever du soleil, Gralon et Guénolé gravirent la montagne Menez-Hom, Gralon jeta un regard de pitié derrière lui.

se trouvait Is, on ne voyait plus que la mer ; il se jette à genoux pour remercier Dieu et la Vierge. Se relevant, il vit sur le couchant, Rûmen-Goulou ou Men-ru-ar-Goulou, sur cette pierre on faisait des sacrifices humains : chaque mois, un petit enfant que l’on arrachait à la mamelle.

Les yeux baignés de pleurs, levés vers le ciel, Gralon dit à son ami : sur cette pierre rougie consacrée à un Dieu barbare, je ferai bâtir une église, en l’honneur de la Vierge, et là, où l’on verse du sang en l’honneur de Teutatès, la mère du vrai Dieu versera ses grâces sur les Bretons.

Il fut fidèle à sa parole… Les prêtres païens se révoltèrent, quand ils virent détruire le temple. Le roi les vainquit auprès d’Argol, à la tête des Bretons convertis. Sa prière terminée, le roi suivit Guénolé à Landévennec, abbaye qu’il avait fait construire. Il avait déjà donné son palais de Quimper à saint Corentin. À la place de ce palais, se trouve la belle cathédrale. Gralon passa le reste de ses jours à Landévennec, dans la pénitence la plus austère… Il allait souvent avec son ami à Rumengol, itron-varia-remedd-ol… Notre-Dame de tout remède.

La vierge lui apparut, et le bruit se répandit dans la Bretagne. Il mourut entre les bras de Guénolé, à son abbaye de Landévennec, qu’il avait fondé.

Il recommanda son âme à Dieu, disant avec confiance : Itron Varia Rumengol, mirit ouzin na zin da goll… Madame Marie de Rumengol, jetez les yeux sur moi pour que je n’aille pas à perte.

Il y a longtemps de cette mort, et les bretons qui sont gens de foi et de cœur, ont le souvenir de leur vieux roi et de son ami Guénolé.

S’ils connaissaient mieux l’histoire de leur beau pays quand ils viennent au Dimanche de la Trinité, au pardon de Rumengol, en voyant la baie de Douarnenez, Menez-Hom, Landévennec, la chapelle élevée et miraculeuse, ils diraient les larmes aux yeux :

Bras ar burzudou a zo bet
Bars an amzer tremenet :

Grands les miracles ont été dans les temps passés.

Beaucoup diffèrent d’opinion, non sur l’existence de la ville d’Is, mais sur son emplacement.

Nul ne saurait ébranler ces convictions du peuple, et laissons pour illusions à beaucoup de gens, que l’étymologie du mot Paris est par-et-is, c’est-à-dire, égal à Is.

A baoué e confondet Is
Neus quet cavet par da Paris.

Le roi Breton eut sa tombe à Landévennec, dans l’abbaye même… son souvenir se perpétua longtemps. Longtemps on vit les deux amis se promenant la nuit dans les cloîtres et sur les terrasses de l’abbaye, devisant les choses de Dieu… ne les voit-on pas encore ?

La poésie s’était emparé de l’image de ces deux ombres que l’on apercevait de loin, marchant, devisant lentement, aux époques des grandes fêtes, cela annonçait de grands événements.

Lavar din ar Belek ?
Parrès Landévennec
À lein è di,
À vel roas e balé
Gralon a Guenolé
En abbati.

C’était toujours les prêtres qui les voyaient, semble dire le poète breton. La traduction française ne le dit pas.

Dis moi, si l’on découvre
Quand Landévennec ouvre
Son grand pardon,
L’ombre Auguste et chérie
De Guénolé qui prie
Avec Gralon.

C’était donc toujours aux époques des fêtes, des solennités, qu’on les apercevait cheminant et priant.

&#8203 ;
..............................................................................................................................................................
&#8203 ;

Quelques-uns ont voulu placer la ville d’Is, à l’étang de Laoual. Ce petit étang s’aperçoit à la baie des Trépassés… il est tout petit, mais très profond, c’est le réservoir naturel de toutes les eaux douces provenant de la déclivité du terrain, l’autre pente mène au Loch, c’est de ce canal dont je parle dans le chapitre traitant du Cap-Sizun.

Il existe à Laoual, village près de l’étang qui porte le nom, une légende disant qu’autrefois là, se trouvait une grande chapelle, mais on n’en trouve aucun vestige.

C’est peut être dans l’étang que l’on dit insondable qu’un affaissement du sol l’anéantit, comme la ville de Tolente près de Brest.

En tous cas la légende est celle-ci :

Daougent mentel skarlat, nès compti ar réal,
A lè bep sul deus ger Is, d’an ofern da Laoual.

ce qui veut dire : Quarante Seigneurs vêtus de manteaux de pourpre, sans compter les autres, allaient chaque dimanche de la ville d’Is à la messe à Laoual.

Il y a bien la légende de la chapelle, mais on n’en trouve aucun vestige… peut-être est-ce dans cette chapelle que se trouvait un prêtre officiant dont je parle dans le Raz de Sein en narrant la légende… Il se trouverait encore au fond de l’abîme, sa messe n’est pas encore achevée, et il est là qui attend les bras étendus, que l’on vienne lui faire des répons… sa position est gênante vraiment depuis 1 300 ans.

Du reste ce n’est pas de ce côté, près de Laoual qu’existe seulement cette légende, on la trouve encore à la pointe de la Chèvre, dans le pays de Crozon, mais racontée d’une autre manière…

Un bateau de pêche se trouvait (l’histoire ne donne pas la date) à une certaine distance de la côte, il était monté par quelques hommes… La barque devait opérer sa pêche, dans des parages où le fond sans être très profond est une base, véritable chaos de pierres, de roches, de murailles, dirait-on, en ruines. Là on devait carguer la voile et jeter l’ancre, car le poisson abonde toujours. On comprend bien qu’ici, dans ce fouillis de pierres, on ne peut employer un grappin en fer, ce qui se pratique sur les autres bases. Un grappin en fer, si on l’employait ne pourrait plus être dégagé, aussi les pêcheurs emploient-ils pour ces parages, une ancre d’une autre façon. C’est une grosse pierre, retenue par deux tiges de bois, comme deux bras qui l’enserrent, et à cette ancre ils ont donné un nom spécial ann nêo, celui-ci est facile à dégager… Toujours est-il que ce jour là, notre barque après un séjour prolongé, après une pêche fructueuse, ordre fut donné à un marin de ramener ann néo… Celui-ci fort gaillard, se met en devoir de hâler la pierre… vains efforts, aidé même d’un autre marin de la barque, il ne put dégager l’arrêt… Je ne perdrai pas dit-il ann néo neve (neuve), il se jette à la mer et plonge, car il était têtu comme un Crozonais, et de plus, il était aussi habile plongeur que ceux qui se livrent à la pêche des éponges et des huitres perlières… l’équipage attend. Longs instants après, on le voit revenir, il avait les yeux hagards et paraissait terrifié, l’équipage est obligé de le saisir et de le prendre à bord, car il tremblait de tous ses membres… Vite, vite dit-il, coupez le câble et partons d’ici, de cette base maudite. On s’empresse de prendre la hache du bord et de couper la corde… Quand, il put parler, il raconta à ses compagnons des choses épouvantables. Il avait vu des ruines, au milieu de ces ruines, des spectres, des cadavres amoncelés, et au milieu d’eux un prêtre, à barbe blanche, officiant, qui lui faisait des signes en le suppliant d’approcher de l’autel, etc…

C’est toujours à peu près la même légende, mais ces légendes se rencontrent partout le long du littoral, toujours est-il que l’étang de Laoual est toujours là, et voici comment en parle un écrivain qui y place les ruines de la ville d’Is.

« Aujourd’hui, sur la surface calme du lac, parmi les roseaux qui les protègent, les macreuses et les cols-verts nichent, les hérons méditatifs se posent sur une jambe, les goëlands viennent y planer par aventure ».

Une immense poésie se dégage de cette solitude reposée au pied des grands côteaux pelés, à côté de l’agitation perpétuelle de la grève funèbre où les vagues se fracassent contre les galets, avec un bruit épouvantable.