Souvenirs de la Basse Cornouaille/Livraison 2/02

La bibliothèque libre.


II

La Fontenelle aux États de Vannes

Je viens de dire que le Duc de Mercœur avait bien conclu une trêve, mais cette trêve importait peu à Guy Eder qui ne prenait conseil que de lui-même.

Le Duc profitant de la trève avait convoqué les États à Vannes.

Le baron de La Fontenelle qui guerroyait au nom de Mercœur, mais sans ordres précis, songea à faire connaissance avec le chef de la ligue, qui ne devait pas être sans avoir eu connaissance de ses exploits… il n’était pas convoqué, et abandonna sa troupe qu’il confia à ses lieutenants.

Toujours audacieux, visière baissée, il se présente à la salle des séances… Son nom seul était connu, mais il ne le savait pas si redouté, malgré tout il prend place. Le Duc de Mercœur présidait.

La séance fut inaugurée par des doléances, et toutes se rapportant aux pillages de Guy Eder… Plaintes de Guingamp, plaintes de Lannion, plaintes de Paimpol, de Landerneau, de Châteauneuf-du-Faou, etc., etc… Le nombre était grand, les ravages avérés.

Le Duc ayant parlé dans la salle, un grand silence se fit. « Députés des États, je vous donne la parole… d’abord à ceux de Paimpol »… Trois acclamations, vive le Duc de Mercœur se firent entendre. Aussitôt un vieillard se lève, et d’une voix tremblante il dit :

« La Ville de Paimpol et son territoire ont été dévastés, et nous venons nous plaindre du chef qui combattait en criant cependant, vive Mercœur. »

Et quel est le nom de ce chef, demanda le Duc. La Fontenelle dit le vieillard… Aussitôt un sourd murmure se répand dans la salle, nom d’un brigand semblait-on dire. Mercœur répond… J’ai entendu parler de ce chef qui combat sous ma bannière, et j’ai entendu dire que c’était un homme hardi et audacieux… malgré tout, après de pareils méfaits il mérite la corde, et il l’aura… quant au secours d’argent que vous demandez, je l’accorderai, mais quand le pape aura payé les sommes d’argent qu’il promet toujours à la ligue, et qui tardent à venir. Ensuite il ajouta : Députés de Landerneau, qu’avez-vous à dire ?

Ce fut la même histoire, mais plus dramatique s’il est possible. Eh bien, dit le Duc, quel est le nom de ce chef dont vous ne voulez pas prononcer le nom ?… La Fontenelle, dit comme avec terreur le plaignant, riche Léonard du Bas-Léon.

Le Duc en colère… Il sera deux fois pendu… Mordieu après ce que vous en dites, quel est donc ce coquin ?

Je m’étonne cependant, dit Mercœur, il a une vaillante épée, et toujours je l’ai appris avec plaisir et de bonne source, il pénètre dans les places qu’il occupe, en criant vive le Duc de Mercœur, et c’est avec ce cri qu’il a plusieurs fois, taillé en pièces des partis royalistes… mais qu’importe, mordieu, il ira à la potence qu’il mérite… En attendant, à cause de ces ravages, pour cette année seulement, j'exempte ceux de Landerneau de la taxe dont ils sont imposés depuis 1408. Je passe à d’autres doléances suivant l’ordre d’inscription.

Nombreuses plaintes furent portées encore contre des faits de cruauté, de ruse et de rapine et de barbarie… Un jour toute la campagne environnant un de ses camps fortifiés, se trouve parsemée de cadavres… on les comptait par centaines, de gens que l’intérêt de la conservation avaient réunis pour se défendre et s'opposer à de nouvelles exactions… Guy Eder défendit de laisser relever les morts, qu’on laissait en pâture aux fauves nombreux de l’époque… Le cadavre d’un ennemi mort, a toujours bonne odeur ajouta-t-il ironiquement… L’émotion de la salle entière était grande quand le Duc fermement mais avec une extrême colère prit de nouveau la parole.

« Députés de Châteauneuf-du-Faou, vous avez la parole, et votre agitation paraît extrême, parlez sans crainte, ma justice ne vous fera pas défaut. »

Seigneur Duc, dit, les larmes aux yeux, un homme jeune encore, mais on voyait à sa manière qu’il était habitué à manier la parole dans les procès, ses intonations indiquaient un membre de l’ordre judiciaire… Ceux du Faou se sont servis de votre serviteur pour réclamer prompte justice… Un pillard incendiaire, un sacrilège qui vient sous les couleurs de la ligue, contre toutes les formes de la justice, et au cri de vive Mercœur, il s’est emparé de la ville, l’a frappée des contributions onéreuses, a pillé l’église… Un des soldats digne de marcher sous les ordres d’un tel chef, a enfoncé le Tabernacle, s’est emparé du Saint-Ciboire. Les hosties consacrées ont roulé à terre, un prêtre indigné, bien que repoussé à coups de hallebardes, s’est trainé jusques aux hosties éparses. Dans sa ferveur il a communié cinq fois pour s’opposer au sacrilège… Le soldat furieux l’a frappé de sa pique, et l’a tué… À ces paroles dites avec entrainement calculé, oratoire, pathétique, la salle se lève, les membres crient, vengeance, vengeance… Et le Duc au comble de l’agitation.

Et c’est encore le baron de La Fontenelle le chef coupable est-ce lui le chef de ce soldat… Lui, Monseigneur, vous ne vous trompez pas, c’est cet homme qui partout répand la terreur, sous votre nom qu’il emprunte pour commettre tant de crimes révoltants… Un frémissement parcourt l’assemblée, et le Duc ne se possède plus, il frappe le plancher de l’estrade du fourreau de son épée de combat, et ses yeux étincèlent, car sa colère est au paroxysme. La Fontenelle, lui toujours, lui, encore ce brigand plein d’audace et de cruauté… mais c’est donc un vieillard endurci dans le crime, c’est donc un monstre hideux que le bourreau seul saurait regarder et punir, et d’où vient-il donc ce baron maudit ? Qu’on le trouve qu’on l’amène mort ou vif… Et sa colère n’était pas jouée, son émotion le trahissait dans tous les traits… Qu’on le trouve, qu’on l’amène mort ou vif…

Un gentilhomme dont la visière était baissée se lève, avec calme il s’avance au milieu de la salle… tirant son épée du fourreau il la dépose aux pieds du Duc, ensuite lentement levant la visière du casque, la tête haute il dit, froidement : Me voici, je suis Guy Eder, baron de La Fontenelle.

Nul ne saurait peindre l’expression qui se produisit dans la salle… Les assistants ont les yeux tournés vers cette belle tête ombragée de longs cheveux blonds… Sur son visage la grâce, le charme séduisant de la jeunesse malgré toute l’âpreté d’une pensée guerrière et aventureuse… Le Duc reste interdit et stupéfait. J’ai demandé dit-il, qu’on m’amène le baron de La Fontenelle… Haussant la tête froidement, insolemment c’est moi, dit le fier jeune homme.

Eh quoi, le dévastateur de Paimpol, de Landerneau, du pays de Tréguier, le meurtrier de Châteauneuf serait vous ? Et les traits du Duc expriment un étonnement indicible.

Oui, c’est moi, répond l’inconcevable adolescent.

Toi, toi, toujours toi, mais c’est impossible.

Quel est ton âge ?

Dix-sept ans.

Les membres des états assis intimidés, considèrent presqu’avec autant d’angoisses que de curiosité, l’élégante et noble figure du jeune homme, chef déjà célèbre, redouté partout.

Quant au Duc, il paraissait vouloir échapper à l’obsession d’un rêve. Après être resté examiner l’étrange coupable qui s’offrait à lui, il reprit avec une dignité sévère, mais sans colère

Par quelle insolence inouïe, fléau de la province que tous ici accusent, viens-tu jusque dans cette assemblée braver ma justice ? Guy Eder ferme et respectueux : je viens me justifier. On m’accuse, Seigneur Gouverneur, de crimes monstrueux, eh bien moi, je les dénie, et j’accuse mes dénonciateurs, et les rôles vont changer… On l’interrompt, et sa dernière phrase il la répète en l’accentuant… Oui je les dénie, et je mérite des louanges… J’ai voué mon sang, ma vie aux intérêts de la Sainte Union, Duc, vous en êtes l’illustre chef, j’ai arboré votre drapeau sans vous prévenir, sans vous connaître, c’est vrai. Je ne suis pas fait pour obéir et j’ai pris un commandement où la fortune me l’a offert… Plus de 3 000 braves marchent à ma suite et je combats pour vous… Mais oui, nous sommes entrés à Paimpol, à Lannion, à Landerneau, à Châteauneuf, à Carhaix, tous ces bourgs étaient infidèles à votre Seigneurie, c’est-à-dire, qu’ils chantaient pour la ligue, mais ils travaillaient pour les royaux… J’ai frappé des contributions, eh bien ! ne valait-il pas mieux fouiller dans les poches des rebelles que d’épuiser les trésors d’un noble chef, auquel je ne demande rien. Un de mes soldats a tué un prêtre… j’ai enterré le prêtre et j’ai fait pendre le soldat… Qu’a-t-on à me reprocher ?

Que les princes viennent, que Navarre avec tous ses huguenots apparaisse vous les verrez se joindre à eux… Ma défense, mes preuves les voilà… Soyez-en témoin et juge Seigneur Duc, et que Dieu vous assiste… Et ces paroles il les dit avec assurance. Reculant de quelques pas, debout et impassible, Guy Eder attendit l’effet de ses paroles.

Vous êtes donc, dit Mercœur, le parent de maréchal de Lavardin qui de huguenot se fit catholique, en entendant sonner le beffroi de la Saint-Barthélemy… C’est mon cousin, il était franc ligueur et s’est vendu à Henri de Navarre, je prie pour son âme… Prie Dieu pour toi-même dit Mercœur soucieux… Autant d’années, vous avez vécu, comte de Beaumanoir Eder, autant d’heures il vous reste à vivre et lentement, s’adressant aux nombreux archers qui siégeait à la porte de la salle… Archers, saisissez-vous de cet homme. Guy Eder leva sur le Duc, des yeux qui n’exprimaient pas la terreur, mais une extrême surprise.

Un sentiment involontaire voulut qu’il porta vers le ciel ses grands yeux bleus, et saluant le Duc atterré, il sortit de la salle, au milieu des archers, qu’il dominait de sa haute taille. Messieurs, dit le Duc d’une voix mal assurée, et imposant silence aux députés dénonciateurs, et restant soucieux. La séance est levée.

La séance fut levée au milieu d’une agitation générale.

Le soir, les chefs bretons se réunirent. Une longue conversation s’en suivit, ils réfléchirent, et le soir, ils furent au Duc… Vous avez besoin, Seigneur, de secours, il vous faut l’appui des gens de guerre.

Entre tous, La Fontenelle est le plus brave, le plus audacieux. Mercœur, heureux de comprendre, rendit de suite la liberté à Guy Eder… Ce fut un pardon, une absolution, mais à une condition. Vous m’accompagnerez avec vos troupes sous les murs de Craon, attaqué par les Anglais.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Guy Eder ne faillit pas à sa promesse, et de Craon, il donna des preuves de bravoure, et de grand talent militaire, la victoire resta à Mercœur… et La Fontenelle s’empressa de revenir continuer ses pillages… On se demande comment une répression ne vint pas y mettre un frein.

Je donne une explication qui me paraît juste et conforme à l’histoire et à l’esprit de l’époque.

La mort de Henri III, avait décuplé l’ambition de son beau-frère Gouverneur de la Bretagne, qui voulait s’emparer de toute la province pour lui-même, et il faisait croire aux Bretons que l’arrivée du Béarnais au pouvoir royal, eut été une menace pour la religion… Tout le clergé, tous les catholiques restaient attachés à la ligue, à laquelle se rattachaient paysans ecclésiastiques, haute noblesse… C’étaient les conservateurs d’alors… Bourgeois, parlement, petite noblesse de cœur avec le Béarnais, étaient le clan opposé.

Mercœur avait intérêt à temporiser, attendant tout des circonstances, le temps est le meilleur conseiller semblait-il dire.

Quimper était tantôt pour le roi, tantôt pour la ligue, mais davantage pour celle-ci… Ne vit-on pas le Maréchal d’Aumont forcé plus tard d’y venir, et l’argument le mieux compris par les Quimpérois fut de nombreuses batteries au sommet du mont Frugy… et de pareils arguments parlent mais ne convainquent qu’en apparence.

Aussi, on le vit bien, ne s’opposa-t-elle qu’avec mollesse aux déprédations de La Fontenelle, à son passage sous ses murs pour aller s’emparer de l’île Tristan… Alors aussi successivement eurent lieu, les sièges de Quimperlé, de Lamballe, de Kerouzère, de Guingamp, de Blain, etc… La Fontenelle ne nous étonnons pas, était comme oublié dans son île, éloigné qu’il était du centre des opérations.

La religion catholique n’était qu’un prétexte pour les ligueurs… Le cri de l’union vive Mercœur, un pavillon couvrant une marchandise égoïste. Les clairvoyants voyaient bien le jeu de Mercœur, car le Béarnais avait embrassé la religion catholique en 1593.

..............................................................................................................................................................

Cependant on s’obstinait à tromper les populations. On maintenait savamment le désordre, et La Fontenelle en homme habile en profitait.

Est-ce pour cela que les archives sont muettes ? tout me porte à le croire, et la bonne fortune m’a procuré une excellente preuve à l’appui de ma thèse.

Que l’on aille à la chapelle de St-Pierre, en Plogonnec, et que l’on traduise comme je l’ai fait une inscription de 1594…

La voici telle que je l’ai copiée.

Clavigeri templi quod longum diruit œvum,
Claudius hic nemeus, prima fondamenta jecit.
Tertius Henricus, francos cum jure regebat… etc., etc.

Claude de Névet posa les premiers fondements du temple élevé à St-Pierre (clavigeri) — Henri trois roi légitime de France — 1594.

Notez bien que Henri de Valois était mort en août 1589, assassiné par Jacques Clément. La population de Plogonnec ne s’en doutait même pas… On ne ferait plus cela je pense avec l’instruction obligatoire… mon Dieu… qui sait ? les politiciens sont si habiles, que quand on le désire on fait croire aux électeurs que nous avons la paix, alors que nous sommes toujours en guerre… Il fait comme le disait Jules Ferry, faire de bons placements de pères de famille.