Souvenirs de prison/Chapitre 13

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XIII

« Prends-toi-z-en au shérif ! »

Un jour, je dis à M. Morin :

Gouverneur

Car, depuis longtemps, je ne l’appelais plus autrement, sachant les bonnes manières.

Gouverneur, en vérité vous n’êtes pas raisonnable. D’abord, vous me faites porter la livrée. Je n’en dirais trop rien s’il n’y avait que la veste et le pantalon, accoutrement ridicule, mais point douloureux. J’endurerais même sans protester ce chapeau-là, qui me fait mal à la tête, et ces souliers, quoiqu’ils pèsent bien cinq livres chacun. Mais ce qui n’est vraiment pas supportable, ce sont les sous-vêtements que vous m’avez donnés. Ils seraient de fil barbelé qu’ils ne pourraient mieux m’écorcher. Ils m’ont déjà mis les épaules tout au sang, et les démangeaisons qu’ils me causent sont plus cuisantes encore que celles qui me prennent d’écrire contre vous dans les journaux.

« En deuxième lieu, votre skelley, gouverneur, j’ose le dire, n’est pas mangeable. Je vous défie bien seulement d’y goûter… Voilà qui est sérieux, vous en conviendrez.

« Troisièmement, je suis toujours le dernier à dépouiller ma correspondance et, quant aux cigares qui me sont envoyés, j’ignore ce qu’ils deviennent, mais ce n’est jamais moi qui les fume. »

M. Morin répondit, comme de raison, en se retranchant derrière le règlement.

— Est-ce aussi, demandai-je, le règlement qui vous commande toutes les autres petites vexations auxquelles vous me soumettez : livres égarés pendant deux ou trois jours en vos tiroirs, — comme par hasard ; visiteurs renvoyés sans même un prétexte… et le reste ?

« Est-ce le règlement qui vous obligeait à me faire fouiller et refouiller des pieds à la tête, à mon arrivée, lorsque déjà vous aviez donné l’ordre de me dépouiller entièrement de mes habits ?

« Enfin et surtout, gouverneur, est-ce le règlement qui vous obligeait à me fixer, sur les vingt-deux cellules libres du 17, précisément la voisine de celle dont cet honorable Italien a fait à la fois sa bauge et son charnier ? »

. . . . . . . . . . . . . . .

. . . . . . . . . . . . . . .

M. Morin, tout d’abord, ne répondit pas. Il cessa seulement, pour une minute, de fumer sa bonne pipe, et, levant tout à coup la tête, souffla longuement vers le plafond, à la manière des cachalots de sa rive natale…

Puis il me dit :

— Je n’ai point le temps de discuter tout ça… Mais j’ai fait ce qui doit être fait. Moi, je ne connais qu’une chose : c’est le règlement. Le règlement, tout est là !

Ce règlement, ce fameux règlement dont M. Morin avait toujours plein la bouche, il n’y avait guère de monde, à la prison, qui le connût. Et je crois même que le prestige dont il jouissait lui venait, pour beaucoup, précisément de cette ignorance. Pourtant, on le trouvait affiché très en vue dans le grand vestibule de l’entrée, à la chapelle, dans les corridors, et même, je crois, dans le bureau du gouverneur.

Un jour, j’eus la curiosité d’y jeter un coup d’œil. Voici ce que j’y lus tout d’abord :

DES PRISONNIERS


La classification des prisonniers sera basée sur les distinctions suivantes :

I. — Adultes attendant leur procès pour la première offense (sic).

II. — Enfants de moins de seize ans, attendant leur procès.

III. — Adultes condamnés pour la première fois et récidivistes attendant leur procès.

IV. — Prisonniers condamnés récidivistes.

V. — Les débiteurs, les témoins retenus par la Couronne, les accusés ou condamnés politiques, ou pour délits spéciaux.

VI. — Cette dernière classe ne sera pas soumise (sic) à porter le costume prisonnier (sic), et elle pourra recevoir, du dehors, des objets de vêtements, de literie et d’alimentation, moins les liqueurs spiritueuses, soumis toujours à ce sujet aux règles établies par le gardien en la forme pourvue.

J’avais là la preuve que mes geôliers, loin d’obéir à corps défendant, comme ils le prétendaient, aux règlements de la prison, les violaient au contraire avec intrépidité en m’imposant la livrée et le skelley.

De même je trouvais quelques lignes plus bas cet autre article :

XXI. — L’usage de la pipe et des cigares est, interdit, excepté aux prisonniers de la classe spéciale et aux accusés de première faute.

C’est probablement pour cela, me dis-je, qu’il n’est permis à nul visiteur de me faire parvenir du tabac.

Je fis part de ces observations à M. Morin, qui me répondit en peu de mots :

— Ça, ça ne regarde point le gouverneur. Si tu n’es point content, prends-toi-z-en au shérif !