Souvenirs de prison/Chapitre 12

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XII

À barreaux rompus. — Les distractions de l’établissement.

J’ai dit que les livres, au bout de quelque temps, me furent permis. M. Morin lui-même me rendra ce témoignage, que du moins je n’en abusai pas. L’état d’épuisement où m’avait jeté la diète devait bientôt m’interdire jusqu’à cette distraction.

Il me restait, tous les deux jours, de sortir une heure ou deux dans la cour avec les camarades. Cette cour était d’assez vastes dimensions. La prison de deux côtés, et, des deux autres côtés, un mur en maçonnerie, lui faisaient une espèce de cadre rectangulaire d’aspect parfaitement agréable. L’herbe y poussait en abondance, parsemée de fleurs bleues et de fleurs jaunes, de trèfles fleuris, et surtout de marguerites. Bref, un vrai coin d’idylle. Joignez que j’y portais des sentiments très bucoliques, et presque l’habit du berger. Il n’y manquait qu’une bergère… Mais j’oubliais madame de Saint A…, qui, du deuxième étage, épanchait dans ses romances, avec une ardeur jamais diminuée, le trop-plein de son cœur inassouvi.

Cependant, pour m’aider à digérer le skelley que je n’avais point mangé, je me livrais éperdument aux sports. Je faisais de la course avec les autres bandits, je m’exerçais à soulever les poids les plus légers, et surtout je n’avais pas mon égal pour me chauffer au soleil. — Le base-ball aussi m’intéressait fort. Il y avait, dans un coin de la cour, une vieille balle qui n’était pas un objet d’une petite antiquité. De mémoire de prisonnier, on n’avait pas connaissance d’en avoir vu d’autre en l’établissement. Telle quelle, elle faisait notre bonheur… Dame ! quand on ne peut se payer le champagne, on fait comme M. Morin, on boit du lager ; et quand on ne peut jouer au billard avec les ministres, on joue au base-ball comme on peut, avec des voleurs ordinaires. Cela vaut encore mieux que rien.

Hélas, ce bonheur même était de courte durée. Onze heures avaient à peine sonné, qu’il nous fallait rentrer, pour jusqu’au surlendemain, dans les corridors humides du 17. Puisque l’on nous avait envoyés à l’ombre !

À midi, l’on apportait les victuailles ordinaires. Assis à la table commune, je jouissais longuement de voir l’Italien s’empiffrer, — tout en se grattant. Je n’avais ensuite, jusqu’au moment d’entrer en cellule pour la nuit, d’autre plaisir que d’arpenter sans fin les corridors. Exercice encore plus épuisant, dans l’état où j’étais, que la lecture même du Centurion, et qui m’obligeait fréquemment à m’aller jeter sur mon grabat, pour prendre un peu de repos…

Entre quatre et cinq heures, cependant, comme approchait le moment d’être mis sous verrous, vous m’eussiez presque toujours trouvé debout dans le corridor numéro 1, qui est celui du sud. Là, le front collé contre la vitre et les yeux fixés sur l’admirable paysage de la campagne québecquoise, que termine au loin la ligne bleue des montagnes, je m’évadais en esprit de ma geôle pour aller courir la prétentaine parmi les champs et les bois… Un clocher, incendié par le soleil de juin, marquait çà et là l’emplacement d’un village. — Les heureuses gens qui vivent là ! pensais-je. Ils n’ont jamais vu de gouverneur et ils ne savent peut-être même pas ce que c’est qu’un juge. M. Morin n’est point chargé de veiller sur leurs jours et le skelley leur est inconnu… — Droit en face de nous, de l’autre côté du fleuve, on apercevait distinctement la gare de la Pointe-Lévis, et, courant au long de la côte, la voie de l’Intercolonial. Des convois y passaient à toute heure du jour, que l’on voyait venir de fort loin dans la campagne. C’est ainsi que chaque après-midi j’assistais à l’arrivée du train de Montréal… De temps en temps, un clair bateau remontait le fleuve : « Encore un que je ne prendrai pas ! » me disais-je.

C’est à quoi se bornaient, je crois, toutes mes distractions. Ah ! pardon, j’oubliais la principale : les visites.

Deux fois par semaine, — le mardi et le vendredi, — j’avais permission de recevoir des visiteurs. Alors, je descendais pour quelques minutes au parloir. Voici comment la chose se passa la première fois… et toutes les autres fois :

Un garde, envoyé par le gouverneur, se présentait à la porte du 17 et, d’une voix retentissante, s’écriait :

— Fournier… au parloir !

Fournier, justement ému par cet appel, quittait précipitamment Molière ou M. Faguet. Il jetait un dernier coup d’œil sur sa livrée, fixait solidement sur sa tête le panama d’infamie, et, d’un pas tranquille, se rendait au parloir.

Imaginez un réduit humide et très ténébreux, de huit pieds de profondeur par dix de largeur… Sur vous s’est refermée une porte massive, et vous vous trouvez en face d’une grille aux barreaux serrés qui, tout d’abord, vous empêche complètement de voir quoi que ce soit…

Mais peu à peu vos yeux se font à l’obscurité, et vous distinguez, à six pieds environ devant vous, une autre grille, tout aussi serrée, et, derrière cette grille, votre visiteur.

Alors, la conversation s’engage…

Le malheur, c’est que deux ou trois autres prisonniers, alignés à vos côtés devant les barreaux, reçoivent également des visiteurs. Pour se faire entendre, tous crient à haute voix… Vous criez vous aussi. Et cela fait le plus beau charivari du monde.

C’est alors, mon cher lecteur, qu’il vous aurait fallu me voir ! Ah ! pour crier je n’avais pas mon pareil…

— C’est vous, monsieur Landry ? disais-je au sénateur, que j’apercevais vaguement dans la pénombre.

— Oui, c’est moi… Mais ce n’est pas vous, n’est-ce pas ?… Ôtez donc votre chapeau, au moins, que l’on vous reconnaisse.

Ôter mon chapeau !… Il n’y pensait pas, le sénateur : c’était mon plus bel ornement !

Tout de même, on causait… Politique, et cætera. Toujours en présence de deux ou trois détenus et d’une demi-douzaine de gardes.

Mais, hélas, ces bonheurs étaient de la prison, « où les plus belles choses, a dit Malherbe, ont le pire destin »… : à la fin du compte un collaborateur de M. Morin me venait toucher à l’épaule. — « Le gouverneur dit que c’est assez. Il a peur que vous vous fatiguiez. »

Alors :

— Bonjour, sénateur… m’écriais-je.

Et je remontais mélancoliquement au 17.

* * *

Dites donc, lecteur… comment auriez-vous aimé cela, vous ?