Souvenirs de quarante ans/20

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XVIII


Bientôt le bruit se répandit que la famille royale rentrait en France, que Louis XVIII était rappelé au trône.

Vous connaissez mon dévouement pour cette auguste et malheureuse famille. Ce retour si longtemps inespéré me semblait tenir du miracle. Je croyais être le jouet d’un rêve.

J’allais donc revoir cette infortunée princesse, dont j’avais été la compagne à Versailles et aux Tuileries, pendant son enfance, que j’avais suivie au Temple, que j’y avais revue avant son départ pour l’Allemagne, dont, pendant quinze ans, j’avais été séparée, mais que mon cœur, accoutumé à souffrir de tout ce qu’elle souffrait, avait accompagnée partout !

On m’écrit de Paris que monsieur le duc et madame la duchesse d’Angoulême doivent débarquer à Bordeaux : il n’en fallut pas davantage ; sur-le-champ je pars pour Bordeaux.

Madame la duchesse d’Angoulême n’était point à Bordeaux. Monsieur le duc d’Angoulême venait d’y arriver ; il m’apprend que sa femme vient d’Angleterre avec le Roi, et qu’elle se rendra directement à Paris. Il m’engage à ne pas tarder à l’aller rejoindre et me donne une lettre pour elle. Des obstacles imprévus ayant ralenti mon voyage, je craignais d’arriver trop tard pour être des premières à me jeter dans ses bras quand j’entrai à Paris.

Elle n’y était point encore : mais on l’attendait à Compiègne, où elle devait arriver le lendemain ; je partis aussitôt pour Compiègne.

Le marquis de la Suze, mon vieil ami, ayant appris mon arrivée, vint me voir aussitôt, et, me reconnaissant des droits à être logée au Château, il me fit, en sa qualité de grand maréchal des logis, donner un appartement.

Le lendemain, toutes les personnes venues au-devant du Roi étaient réunies dans un des grands salons. Les courriers se succédaient de quart d’heure en quart d’heure. Enfin un dernier courrier annonça que l’arrivée était prochaine. On se lève, on forme la haie. Vous savez que je ne me mets guère au premier rang. J’étais derrière, à l’écart : mes jambes fléchissaient sous moi, mon cœur battait bien fort. Tout à coup les portes s’ouvrent, une voix retentissante jette ces mots qui depuis si longtemps n’ont pas été prononcés en France : Le Roi ! À ces mots, je me sentis troublée jusqu’au fond de l’âme. Tous les souvenirs de ma jeunesse me refluaient à la mémoire. Le passé redevenait l’avenir. Je ne voyais plus, je n’entendais plus : cependant un cri : Ah ! c’est Pauline ! me rappelle à moi-même : je me trouve dans les bras de cette chère princesse qui fondait en larmes ; les miennes coulaient en abondance ; la tête appuyée sur mon épaule, elle resta quelques moments sans parler : puis, me prenant par la main, elle me conduisit au Roi, qui était assis au milieu du salon, et lui dit avec vivacité : « Sire, voilà Pauline ! » Le Roi me prit la main, la posa sur son cœur et me dit : « Vous n’êtes jamais sortie de là, ma chère Pauline, je vous revois avec grand plaisir. »

Rentrée dans ses appartements, madame la duchesse d’Angoulême me fit appeler dans son cabinet : alors mille questions se succédèrent sur moi, sur votre père, sur vous, mes enfants... Quel touchant intérêt, quelle aimable sollicitude elle me témoigna ! Jamais princesse ne sut aimer avec plus de cœur ceux qui lui étaient dévoués. Après avoir épuisé toutes les questions que sa bonté et son amitié lui suggérèrent sur tout ce qui m’intéressait, elle me dit avec une émotion extrême : « Ma chère Pauline, vous me mènerez au tombeau de mon père... »

Il faut que vous sachiez, mon enfant, que j’avais, une des premières, connu l’emplacement où avaient été déposés les restes du roi Louis XVI, qu’une des premières je l’avais visité. J’avais même cueilli sur le gazon qui le couvrait quelques fleurs que j’avais envoyées dans une lettre à madame la duchesse d’Angoulême, encore à Mittau à cette époque, en lui donnant quelques détails sur un objet si intéressant pour elle.

Avant d’aller plus avant, je veux mettre sous vos yeux un petit écrit qui vous fera connaître l’ancien état du terrain sur lequel s’élève aujourd’hui la chapelle expiatoire de la rue d’Anjou.