Souvenirs du Baron Hüe/Appendice

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Texte établi par André de MaricourtCalmann-Lévy (p. 287-330).

Appendice
et pièces justificatives


Lettres reçues par François Hüe
au sujet de la publication
des « Dernières années de Louis XVI »

Lettre du duc de Bourbon[1].
Londres, le 25 février 1807.

Je vous remercie, monsieur, de l’ouvrage que vous m’avez envoyé, où vous tracez d’une manière si touchante et si honorable pour votre cœur les malheurs de notre infortuné maître. Je l’ai lu avec le vif intérêt qu’il mérite sous tant de rapports et je profite en même temps, de cette occasion pour vous renouveler, monsieur. l’assurance de la bien sincère estime que vous m’avez inspirée et mon affection pour vous.

l. h. j. de bourbon.
Lettre de Mademoiselle de Condé, ancienne abbesse de Remiremont[2].
Le 15 mars 1807.
Loué soit le T. S. S.

J’ai reçu, monsieur, l’intéressant ouvrage que vous avez bien voulu m’envoyer et si je ne vous ai pas remercié plus tôt, c’est que je me suis laissé aller au charme douloureux qui enchaînait mon cœur et qui l’a fait se livrer à une lecture qu’on ne peut quitter facilement. Que n’ai-je point éprouvé, en voyant retracés les malheurs et les vertus des plus augustes victimes, par le pinceau d’un attachement aussi par que constant et courageux ? Ce sentiment, monsieur, qui vous a si bien caractérisé, est fait pour assurer ceux de la parfaite et sincère estime dont je trouve un grand plaisir à vous renouveler les assurances et dont je désire que vous ne cessiez jamais d’être bien convaincu.

s. joseph de la Miséricorde,
(dans le monde) louise-adélaïde de bourbon.

Je vous prie, lorsque vous écrirez à madame Hüe, de lui dire mille choses de ma part.

Lettre du roi de Sardaigne, Victor-Emmanuel[3].

J’ai lu, ainsi que la Reine[4], mon épouse, et la princesse Béatrix[5], ma fille, avec autant de sensibilité que d’intérêt l’histoire des dernières années du règne et de la vie de Louis XVI que vous avez rédigée, monsieur, comme témoin oculaire et serviteur fidèlement dévoué de ce digne et malheureux Souverain et, en vous remerciant de votre attention à en faire parvenir un exemplaire à toute ma famille, je me fais un plaisir de vous assurer des sentiments d’estime particulière que m’inspirent pour vous votre zèle et courageux dévouement au service d’un si regrettable maître, surtout dans les temps dangereux de ses derniers malheurs, et je prie Dieu qu’il vous aye en sa sainte garde.

v.-emmanuel.
Cagliari, le 9 juin 1811.
Lettre de Frédéric-Guillaume de Prusse[6].

Monsieur Hüe, je sais apprécier l’intention qui vous a dicté la lettre que vous m’avez écrite le premier de mars. J’y suis sensible et j’accepte avec d’autant plus de plaisir l’exemplaire de l’ouvrage que vous m’avez envoyé qu’il me confirme dans la bonne opinion que votre talent et vos sentiments m’avaient inspirés. En vous assurant que je serai charmé de trouver l’occasion de vous en marquer ma bienveillance, je prie Dieu qu’il vous ait en sa sainte et digne garde.

frédéric-guillaume.
Bartenstein, le 8 mars 1807.

En recevant les Dernières années de Louis XVI, l’empereur François[7]d’Autriche ne répondit point en personne à François Hüe, mais il lui voulut bien envoyer un présent, témoignage de sa reconnaissance, comme il apparaît par la lettre suivante :

Sa Majesté l’Empereur d’Autriche a daigné me charger de vous remettre de sa part la boîte[8] que vous trouverez ci-jointe. Recevez-la, monsieur, comme un témoignage de l’accueil gracieux que cet auguste souverain vient de faire à votre intéressant ouvrage que vous lui avez soumis ainsi que du plaisir que lui a fait votre attention d’en faire parvenir aussi un exemplaire à LL. AA. II. et RR. Monseigneur l’archiduc, grand prince héréditaire et Madame l’archiduchesse[9].

Très charmé d’être l’organe de ce gracieux sentiment de mon auguste maître, j’ai l’honneur d’être, avec la considération la plus distinguée, monsieur,

Votre très humble serviteur,
th. young,
Secrétaire intime de S. M. l. et R.
Vienne, le 8 juillet 17807 (sic.).
Lettre de l’archiduc Charles d’Autriche.
Vienne, le 26 juin 1807.

Monsieur, j’ai reçu avec reconnaissance l’ouvrage que vous m’avez adressé, avec votre lettre du 1er mars. C’est une marque d’attention à laquelle j’ai été d’autant plus sensible que les sentiments qui vous ont dirigé sont infiniment respectables.

charles.
Lettre de M. Silvestroph,
secrétaire de la Reine douairière de Suède[10].
1er juin 1807.

Sa Majesté la reine, ayant reçu, monsieur, votre lettre en date du 1er mars et l’ouvrage intéressant que vous venez de consacrer à la mémoire de l’en votre maître, m’a ordonné de vous marquer sa satisfaction et de vous faire parvenir la médaille ci-jointe comme un témoignage des sentiments avec lesquels elle a reçu cette marque d’attention de votre part.

Lettre du baron de Ramet,
gouverneur du prince de Prusse.
21 juillet 1807.

S. A. R. monseigneur le prince royal[11] a reçu, monsieur, l’intéressant livre que vous avez eu l’attention de lui envoyer et me charge de vous témoigner, monsieur, sa sensibilité de votre obligeance.

Permettez qu’en ma qualité de son gouverneur, je vous en marque ma reconnaissance particulière. Mon prince lira un jour votre livre, ce livre qui inspire tant d’intérêt, aux lecteurs de toutes les classes, quelle impression ne fera-t-il passer le rejeton des rois, attaché depuis des siècles à l’auguste maison de Bourbon par les liaisons les plus intimes d’alliance et d’amitié !

Les sensations vives qu’éprouvera son jeune cœur y graveront profondément les utiles leçons que fournit cette lecture aux princes destinés à régner. Il y verra à quel point de véritable grandeur peut parvenir un souverain à l’école du malheur. Il y puisera la conviction intime et consciente que, même pour les maîtres de la terre, un seul sujet fidèle et attaché comme vous peut devenir d’un prix inestimable.

Votre livre vous donne, monsieur, des droits à l’estime des âmes honnêtes de tous les pays et de tous les temps. Agréez, etc…

Lettre de la duchesse d’Angoulême.
Gosfield Hall. Essex, le 1er novembre 1808.

Les témoignages de satisfaction qui furent donnés en mon nom à M. Hüe, lors de l’envoi qu’il me fit d’un exemplaire de son ouvrage ne lui étant pas parvenus par la difficulté des correspondances, je veux lui expédier de ma propre main que j’ai lu cet ouvrage avec le plus vif intérêt. J’y ai reconnu la loyauté de l’auteur et la marque du dévouement et de l’attachement qu’il a toujours témoignés au Roi mon frère et de celui qu’il conserve à sa mémoire et porte à toute ma famille.

marie-thérèse-charlotte
Lettre de la baronne du Coëtlosquet[12].
Metz, le 27 septembre 1814.

Trouvez bon, monsieur, que le petit neveu de l’ancien évêque de Limoges vienne vous remercier du témoignage que vous avés rendu a la mémoire de ce saint Prélat[13] ; vous le louez côme il mérittoit de l’être sur sa doctrine et sa vertu. Ah ! que cet héritage est doux à recueillir ! Aucune révolution ne peut l’enlever ! Mon vertueux mari, le baron du Coetlosquet sçavoit en connaître le prix et il avoit inspiré le même sentiment à ses enfants. Pourquoi la mort prématurée nous prive telle de le voir témoin du bonheur de la France ! Mais cette mort sainte précédée d’une vie chrétienne, la déjà réuni à son oncle. Ainsi je dois chercher à modérer mes regrets et espérer que du haut du ciel, il veillent ensemble sur leurs rejettons et obtiendront a mes fils de marcher sur leurs traces. J’aurai une véritable consolation, Monsieur, d’apprendre que vous avez bien voulu accueillir l’aîné et que vous le verrés avec le même sentiment que lui accordent ceux qui ont connu son grand oncle et son père.

J’hésitois, Monsieur, à avoir l’honneur de vous écrire dans la crainte de vous importuner, mais il y a des sentiments irrésistibles et de ce nombre est celui que j’ai éprouvé à me rapprocher de vous et de vous présenter mon fils après la lecture de votre excellent ouvrage. Il doit attendrir tous les François, mais plus particulièrement encore les Coëtlosquet qui y trouvent le patron de leur famille peint d’une manière si vraye et si digne de lui.

J’ai l’honneur d’être, Monsieur, etc.

Lettre du maréchal Dutheil[14].

Monsieur, j’achève la lecture de votre intéressant ouvrage sur les dernières années de la vie d’un Monarque dont vous fûtes un des plus zélés serviteurs. Il n’est aucun français qui ne soit profondément touché de votre récit et lorsque dans un siècle nos neveux jetteront les yeux, sur cette sanglante époque de notre histoire, ils remarqueront, sans doute, que l’honneur français et l’humanité avaient encore des autels dans le cœur de quelques fidèles serviteurs.

Votre ouvrage sera un répertoire aussi utile qu’honorable à consulter pour les familles qui, sous Louis XVI, ont donné des preuves de dévouement. On regrettera néanmoins quelques lacunes que j’ose ne permettre de vous indiquer, parce que leur rétablissement donnera à votre ouvrage un nouveau degré d’intérêt.

On ne conçoit pas comment après avoir rendu compte de la lettre si honorable du chef de la Vendée[15], vous ayez passé sous silence la conduite si noble et si courageuse de la ville d’Orléans qui fut, quoiqu’on en ait dit, la seule ville qui ait osé réclamer la mise en liberté de madame la duchesse d’Angoulême.

Cette adresse était l’ouvrage d’un digne serviteur du Roy, M. de Mersen, ex-législateur, alors procureur général d’Orléans et, depuis, proscrit pour ses opinions royalistes au 18 fructidor.

Je sais, que ce vertueux citoyen a été présenté à Madame Royale, mais comme il est sans intrigue, à peine les journaux qui ont rendu compte de sa démarche, en parlent-ils aujourd’hui.

Il est digne, monsieur, des hommes qui approchent le souverain et madame la duchesse d’Angoulême d’appeler leur attention sur la conduite héroïque de M. de Mersen qui, je crois, mériterait d’être anobli (il n’est pas gentilhomme).

Il serait essentiel de joindre cette adresse de la ville d’Orléans à la suite du testament de Louis XVI.

Cette pièce inspirée par les sentiments et le courage a été déjà insérée dans la troisième édition de l’Orpheline du Temple.

En admettant cette addition, je présume que vous considérez aussi comme une tâche honorable celle de faire connaître à Sa Majesté la noble conduite de M. de Mersen. Vous pouvez, à cet égard, consulter la table du Moniteur et la Bibliographie moderne (au nom de M. de Mersen).

Comme ancien serviteur du Roy, comme ayant trouvé un azyle à Orléans sous le règne de la Terreur, j’acquitte la dette de la reconnaissance envers M. de Mersen qui jusqu’ici n’a point été récompensé après trois proscriptions.

J’ai l’honneur d’être, avec considération, Monsieur, votre très humble serviteur.

a. dutheil,
Ancien maréchal de camp.
Rue de Mont-Rouge n° 60.
Lettre de madame de Luchapt.

Monsieur, les événements appartiennent à l’histoire et à l’histoire qui s’en empare, mais les faits sont la propriété de ceux qui y ont figuré.

J’ai lu votre inimitable et bien touchant récit des dernières années de notre malheureux roi. La douleur d’un côté et l’horreur de l’autre sont les sentiments qui s’emparent de l’âme, en voyant tant de vertus et de constance la proie des brigands. Mais jugez, monsieur, ce que doit éprouver une femme qui, à chaque page, croit y trouver le nom de son mari et de son beau-frère et qui voit qu’ils ont été oubliés.

C’est du fond de sa tombe, monsieur, que mon mari vous crie de ne pas lui ôter l’honneur. C’est sa veuve, c’est son fils unique qui vous demandent justice. Mais je dois m’expliquer.

Mon mari servait dans les gardes du corps dans les affreuses journées des 5 et 6 octobre. M. de Luchapt, mon mari, M. de Larie, mon beau-frère, M. d’Afflon, officier, et deux autres gardes dont je ne me rappelle pas le nom, étaient au poste de l’appartement de la Reine[16], pressés de toutes parts, ils y entrèrent pour la faire lever et l’engager à se retirer chez le roi. Quelques minutes après, le roi y entra par une autre issue et demanda la Reine. Sachant qu’elle était sauvée, il reprit le même chemin et mon mari lui demanda la permission de le suivre et de mourir à ses côtés, ce qui fut fait.

M. du Repaire, ami intime de mon mari, a été criblé de blessures à l’escalier de marbre et non à la porte de l’appartement. Mon mari, heureux en remplissant son devoir, d’avoir été utile à Sa Majesté ne parloit nullement de sa conduite ; il y étoit encore engagé par M. du Repaire, son ami, qui lui écrivoit continuellement d’attendre pour donner le récit de tout ce qui lui étoit arrivé. Enfin M. du Repaire réclama de l’amitié le détail circonstancié de tous les événemens arrivés à mon mari dans cette nuit désastreuse. Ils lui furent encore demandés par M. le comte d’Agoult. Mon mari fit tout passer à son ami.

Quelque temps après, mon mari reçut de madame Noll, veuve Thibaut, première femme de la Reine, une lettre écrite par ordre de cette Princesse infortunée, pleine de satisfaction de sa conduite, et l’annonce d’une pension de 100 francs sur sa cassette.

J’ai cette pièce entre les mains et un certificat qui constate tout ce que j’ai l’honneur de vous mander.

Comment se fait-il, Monsieur, que je voie le nom de MM. du Repaire et Miomandre à la place de celui de mon mari et de mon beau-frère, morts tous deux à l’armée de Condé. Cette mort serait-elle un terme même du souvenir de leur conduite, et ne l’auroit-on connue que pour m’en punir dans la révolution par toutes les horreurs dont j’ai été la victime ? Je ne puis le croire. La parfaite connaissance que j’ai, Monsieur, de votre justice m’avait engagée à me présenter chez vous pour vous porter mes titres, mais, au moins dix fois, j’ai été malheureuse, j’ai donc pris le parti de vous écrire tous ces détails, vous priant, au nom de l’honneur, d’y avoir égard, et de ne pas priver mon fils du seul héritage qui lui reste de son père. J’ai l’honneur, etc.

Veuve de luchapt.
Rue de Marivaux, n° 7.
Ce 14 septembre 1814.
Lettre de la duchesse de Tourzel[17].
22 septembre 1815.

Je suis infiniment sensible à votre souvenir, Monsieur, et je vous prie de recevoir tous mes remerciemens pour l’ouvrage que vous m’avés envoyé et qui aura un double intérêt pour moi par mon ancienne et constante estime pour l’auteur de l’ouvrage.

Permettés-moi de vous exprimer une petite peine que j’ai éprouvée en le feuilletant, c’est d’y avoir vu oublier mon fils qui n’a, non seulement jamais quitté la personne du roi, mais qui même, par suite d’une circonstance particulière, a passé toute la matinée du jour où il a été au Temple auprès de sa personne, et où il obtint du roi de demander encore qu’il l’y accompagnât, il ne le quitta, n’ayant pu obtenir cette permission, qu’un quart d’heure avant qu’il montât en voiture sur l’ordre exprès de ce bon prince qui lui dit :

« N’attendés pas le dernier moment, ce serait trop dangereux » et il ajouta : « Je vous ordonne de vous retirer. C’est peut-être le dernier ordre que vous recevrés de moi. » Il lui fit l’honneur de l’embrasser ainsi que toute la famille royale et le força de le quitter, baigné de larmes comme vous le croyés bien, et le cœur navré de douleur. Je suis fâché de vous faire une observation qui, je suis sûre, vous peinera ; car je suis bien sûre qu’elle est une distraction, mais mon cœur ne le pourrait passer sous silence, et soyés assuré que je n’en conserverai pas moins pour vous les sentimens que vous me connaissés, et avec lesquels je suis, très parfaitement Monsieur, votre très humble, etc.

croy de tourzel.

Je demande pardon à M. Hüe de ma petite observation d’hier. J’ai vu aujourd’hui un autre article où mon fils n’avait pas été oublié et je m’empresse à réparer une erreur qui aurait affligé un aussi bon cœur que le sien si elle avait existé dans un ouvrage fait pour consacrer le dévouement des fidèles serviteurs de notre bon Roi. Je lui renouvelle, etc.

croy d’havré, marquise de tourzel.
Lettre de M. de Fontanes.
Paris, 30 novembre 1814.

J’aurais prévenu, Monsieur, le désir que vous me faites l’honneur de m’exprimer. Je ne connais rien de plus propre à former l’âme de la jeunesse que le récit touchant des vertus et des malheurs de Louis XVI. Ce sera donc avec un véritable empressement que je mettrai entre les mains de nos élèves les mémoires dont vous avez bien voulu m’adresser un exemplaire. Ils y puiseront l’amour de la Religion et du Roi et trouveront dans l’auteur même qui les publie le modèle de la fidélité qu’ils doivent tous au Prince.

Je vais inviter MM. les recteurs des Académies à comprendre ces mémoires parmi les ouvrages qui doivent être distribués en prix dans tous les lycées et les collèges de l’Université.

Recevez, Monsieur, l’assurance de ma considération la plus distinguée.

fontanes[18]

Toutes les lettres de M. Hüe lors de la publication de son ouvrage ne sont point lettres de louanges. Quelques-unes contiennent de douloureuses récriminations. M. Hüe a oublié des faits mémorables ! M. Hüe n’a pas nommé tout le monde ! Et on ne lui ménage point les hyperboles pour le ramener à des sentiments meilleurs. Citons comme exemple cette lettre curieuse et touchante de la Maréchale de Rochambeau[19].

À Rochambeau, par Vendôme.

Vous, Monsieur, qui êtes si parfaitement bon, vous voudrez bien me permettre sans rancune de vous exposer une erreur que je viens de trouver à la page 79 du livre Dernières années de Louis XVI qui pèse infiniment sur mon cœur et qui ne rend pas justice aux sentimens, au respect et à la reconnaissance et à l’attachement que feu mon époux et moi ont toujours conservé pour toute la famille royale dont voici la preuve. Louis XVI fit appeler trois fois aux tuilleries mon époux pour le nommer commandant de l’armée du nord. Sur ses refus et représentation que le maréchal de Broglie étoit plus capable que lui, il eut la bonté de le prendre par le bras, de le lui serrer et lui dit : je ne connais personne en qui j’ai plus de confiance. Ce mot exprimé avec tant de bonté lui rappela toutes les obligations de respect pour obéir, il revint chez lui et me dit, ma tête répond de cet ordre et je me soumets à tout. Vous savez, Monsieur, que six mois après, il fut heureusement rappelé et remplacé par Lakener et nous partîmes tout de suite pour venir et rester ici. Louis XVI a eu la bonté de faire copie sur les originaux qu’il avoit dans son cabinet deux superbes tableaux, l’un de la prise de l’armée angloise dans l’Amérique septentrionale qu’il commandait et le second la prise d’Yorcktown[20] que le roi Louis XVI eut la très grande bonté de lui envoyer avec un médaillon où est écrit : « Donné par Louis XVI à M. le comte de Rochambeau » et après cela, toujours par cette même bonté, maréchal de France, j’ai en le bonheur de les conservé en les cachant soigneusement ; mon époux et moi depuis sa démission de l’armée du nord nous n’avons (pas) quitté Rochambeau. Je comprends dans cet espase neuf mois d’emprisonnement que M. de Rochambeau a passé à la consiergerie, menacé chaque jour d’estre conduit à l’échafaud qu’il n’a échappé que par miracle par la mort de Robespierre. D’après cet exopsé (sic) véritable, vous jugez, Monsieur, que vous ne pouvez vous dispenser si votre exelente ouvrage a une nouvele édition de corriger cette erreur en séparent mon époux de tous ceux qui ont figuré dans les nombreuses scènes de la révolution dont il a bien pensé être la victime. Monsieur votre réponse portera quelques consolations à sa malheureuse veuve. Voulez-vous bien en recevoir d’avance les assurances de ma reconnaissance ainsi que les sentimens de considération de vénération que vous méritez a tant de titres et que je me feré toujours un devoir de vous rendre.

Voilà mes sincéres et véritables sentimens avec lesquelles je suis, Monsieur, votre très humble et trés obéissant

La Maréchale de rochambeau.

Les États-Unis d’Amérique envoyant à mon époux deux piesttes de canon avec leurs affûts que le roi Louis XVI eut la bonté d’envoyer à Rochambeau, M. Grégoire[21] qui ce disoit évêque de Blois les fit prendre et envoyé à Blois.

Je ne suis pas encore consolé de cette dernière adversité ne m’étant jamais revenus[22].

Ces lettres furent accompagnées de bien d’autres dont l’énumération serait ici de lecture fastidieuse[23].

Portrait de M. Hüe par sa femme Henriette Hutin.
parallèle fait à mon insçu
par ma femme entre moi et cléry
(Note de François Hüe.)
M. HÜE

L’article du testament de Louis XVI qui concerne M. Hüe, prouve l’estime qu’en faisait le malheureux monarque. La Reine et madame Élisabeth l’appréciaient aussi et lui donnèrent en plusieurs occasions des témoignages de confiance qu’il pourrait citer. Les premiers coups de la révolution menaçant le bonheur et la sécurité de la famille royale, elle sentit plus que jamais le prix des personnes dont la fidélité, le dévouement croissaient avec leurs peines et leurs dangers. M. Hüe qui ne respira que pour la servir et que son zèle retint sans intervalles auprès d’elle lui donna dans toutes les circonstances des preuves d’un attachement sans bornes. C’est sans doute ce qui le fit choisir comme premier valet de chambre du Dauphin, choix toujours important, et qui eût alors l’approbation de toutes les personnes qui pensaient que ce précieux ne devait être confié qu’à un homme dont le cœur et les principes étaient purs.

Le désastre du 10 août auquel M. Hüe échappa miraculeusement le sépara de la famille royale, mais, le lendemain, dès six heures du matin, il avait repris son poste aux Feuillants et rendit au Roi le service le plus essentiel à la sûreté du moment. Il brûla dans une des cellules, et presque sous les yeux des gardiens inquiets, des papiers que Louis XVI avait cachés sur lui ; il fut du nombre des

personnes que le Roi demanda pour le suivre au Temple et la dernière qui lui fut enlevée le 2 septembre au soir. Enfermé dans un cachot pendant quinze jours, jugé, enfin rendu à la liberté, M. Hüe chercha par tous les moyens imaginables celui de servir de loin les infortunés du service desquels il avait été arraché. Son amour augmentant toujours avec leurs malheurs, il brava tous les dangers pour parvenir à la Conciergerie où la Reine reçut tous les jours par lui des nouvelles de sa famille.

Emprisonné une deuxième fois pendant près d’un an, à peine est-il libre qu’il trouva moyen de se rendre utile à Madame Royale et lorsqu’elle eût la liberté de se promener dans le jardin du Temple, M. Hüe qui avait loué un petit appartement dont les fenêtres donnaient sur le jardin, s’y montrait soir et matin, avec les personnes qui osèrent se montrer attachées à cette princesse. Le gouvernement jeta un voile sur ce culte des âmes sensibles et ne gêna point l’hommage silencieux et triste rendu par le malheur à la fidélité. Madame demanda au Directoire que M. Hüe la suivit.

Il quitta Paris avec elle, en emportant le juste tribut d’admiration que les révolutionnaires ne purent refuser à son courage et à son dévouement à ses maîtres. Il arriva à Vienne où Madame consentit à lui voir associer M. Cléry. En ne voyant aucune nuance entre eux, le public dût croire que les services qu’ils avaient rendus à la famille royale en France et leurs opinions ainsi que leur conduite pendant la révolution étaient également purs. Ce qui lui était réservé à Mittau ne devait pas lui faire oublier toutes les humiliations qu’il avait reçues dans la capitale de l’Autriche. Avec le titre d’une belle place que le Roi lui donna comme récompense, on n’a jamais voulu voir en lui qu’un commis, ou de M. le duc d’Aumont, ou de M. de Villéon, ou de M. de Thouvenay. M. le marquis de Bonnay, ancien membre de l’Assemblée constituante, s’est aussi permis la même prétention !!! Cette situation détestable l’a laissé en but à une multitude de mauvais procédés ; on n’a tenu aucun compte de son empressement à faire ce qui était agréable à tout le monde et les refus que commandait la position du Roi lui ont été reprochés comme des fautes capitales. À ces chagrins qui lui étaient personnels, il fallut bientôt en ajouter d’autres qui étaient plus poignants.

Avant son départ de Vienne, ne pouvant avoir aucune place dans la maison de Madame, il avait offert a S. A. R. le service de madame Hüe. Il ne savait pas alors que dans la maison de la fille de Louis XVI, on n’admettait aucune différence entre sa coëffeuse et la femme de M. Hüe. Lorsque M. l’abbé Marie chargé à Mittau de présenter l’état de la maison de Madame crut devoir proposer une nuance (?), Madame n’y consentit qu’avec peine disant qu’elle ne voulait pas près d’elle une madame Campan.

La femme de M. Hüe une madame Campan ! Sa femme qui avait harcelé le gouvernement pour s’enfermer au Temple avec Madame qui sacrifia parents, amis, fortune pour voler auprès de cette princesse et la servir dans son exil. Ce que M. Hüe pensa alors, ce qu’il craignait ne s’est que trop réalisé ; il était pourtant loin de prévoir que les humiliations réservées à sa femme augmenteraient de jour en jour et seraient portées au point où il les a vues au moment de son départ. Il est difficile de ne pas voir que M. Hüe a été le jouet d’une fortune aveugle qui se plait à tromper les hommes[24].

État des diamants de la Couronne.

Paris, le 22 janvier 1818.

Je soussigné, garde général des meubles et diamants de la Couronne, certifie que M. Hüe, premier valet de chambre du Roi, m’a remis en présence de MM. le baron de Villedavray, Ménière, Oiselle, Grouvelle, Lazard et Bapst 1° une malle, 2° un nécessaire, 3° un écrin renfermant les diamants, perles, pierreries et bijoux de la couronne que nous transportons au garde-meuble où M. Hüe sera présent à l’ouverture qui sera faite des dites malles, nécessaires et écrins pour constater ce qu’ils renferment.

Le chevalier de radulph de gournay.

L’an 1818, le 22 janvier, en conformité des ordres de M. Jean-Baptiste François de Chardebeuf, comte de Pradel, directeur général du ministère de la maison du roi. Devant M. Armand Thierry, baron de Ville d’Avray, premier valet de chambre du roi, intendant du garde-meuble, Alexandre, Louis-Camille Asseline, secrétaire trésorier de la garde-robe de sa Majesté en l’absence de M. le comte de Blacas, grand maître de la garde-robe,

B. Pierre, chevalier de Radulph de Gournay, garde général des meuble et diamants de la Couronne, inspecteur en chef, Jacques Evrard Bapst faisant fonction de joailler du roi, Paul Nicolas Minière, joailler, inspecteur des diamants de la Couronne, assistés de M. Jean-François-Gabriel de Cambes, chef de division au ministère de la maison du roi, s’est présenté M. Hüe, premier valet de chambre du roi, trésorier général de la maison militaire de Sa Majesté demeurant aux Tuileries, lequel a dit que les 15 et 19 mars 1815 les diamants, perles, pierreries et bijoux de la Couronne détaillés dans l’état qu’il a présenté avaient été extraits du Trésor de la liste civile par ordonnance du roi, en date du 19 mais 1815 et confiés à sa garde, etc… Sont intervenus les sieurs Chattes Ouizille, expert de la couronne, Jacob Lazard et Jean-François Grouvelle, joailler à Paris, qui ont rédigé un procès-verbal trop long pour être inséré ici avec détails des objets remis à M. Hüe, d’où il résulte que dans les colliers, boucles d’oreilles, ceintures, diadèmes, couronnes, parures, agraffes, etc…, composant le trésor de la couronne il existe : 4769 diamants dont plusieurs très gros entre autres le Régent,1770 pierres et perles, 54 saphirs, 211 turquoises, 236 rubis, 324 améthystes et un nombre innombrable de petits diamants non comptés, employés dans l’ornementation, plus 105 épis de diamants, 12 palmes de diamants, plaques d’or, croix, décorations, etc., paquets de diamants et de pierres précieuses non montées, estimés les uns 175,089 fr. 21, et les autres 39,302 francs.

(Suivent les signatures.)
Notice biographique sur son père rédigée par André baron Hüe et signée par la duchesse d’Angoulême[25].
faits relatifs à mon père durant la dernière année qu’il eut l’honneur d’être attaché au service du roi Louis XVI

Mon père, honoré de la recommandation du Louis XVI dans son testament, a été attaché depuis l’année 1785 au service de ce prince. Il mérite ses bontés et celles de la Reine qui aimait à lui confier son fils, Monseigneur duc de Normandie, ensuite Dauphin et depuis la mort de Louis XVI, connu sous le nom de Louis XVII. Dès la première année de la révolution, mon père ne quitta presque plus le Roi à toutes-les époques qui troublèrent la tranquillité de la famille royale ou l’exposa à quelque danger, il fut constamment auprès d’elle pendant la nuit du 5 au 6 octobre, il veilla à la porte du Roi et le lendemain le suivit à Paris. Lors du retour de Varennes, il parvint à rester dans le jardin des Thuilleries malgré la consigne de n’y laisser entrer personne. Il y attendit l’arrivée du Roi qui descendit de voiture au bas de la terrasse. Mon père reçut dans ses bras monseigneur le Dauphin et le porta dans les appartements du Roi ; le 20 juin 1792, mon père fut chargé de veiller sur ce pré-, cieux dépôt.

Il passa la nuit du 9 au 10 août auprès de Louis XVI et n’a échappé à la mort, dans l’instant où le Roi se rendit à l’Assemblée, qu’en se jettant d’une fenêtre dans le jardin des Thuilleries, qu’il traversa sous le feu qui renversait une quantité considérable de Suisses. Poursuivi au delà de ce jardin, il se réfugie dans un bateau, ensuite il fut obligé de se jetter dans la rivière d’où, quelques heures après, il sortit pour se rendre à sa maison située place du Carrousel, il la trouva en feu.

Sans azile, n’osant en demander à personne, mon père erra dans Paris, jusqu’au lendemain 6 heures du matin, qu’à travers mille dangers, il pénétra dans le jardin des religieux feuillands et jusque dans la cellule où le Roi et la famille royale étaient détenus. Le Roi qui était encore couché, lui tendit la main et sûr de son zèle ne craignit pas de lui confier des papiers de la plus haute importance pour la sûreté de la famille royale. Le 10 août, le Roi avait sur lui ces papiers qu’il avait cachés soigneusement dans son lit. Mon père les reçut de sa main pour les brûler, ce qu’il fit. Le 14 août, mon père suivit la famille royale au Temple. Il y resta seul de tous les serviteurs de la famille royale jusqu’au 27, jour de l’arrivée de Cléry. Le 2 septembre, deux officiers municipaux arrêtèrent mon père aux côtés du Roi pour, disaient-ils, le conduire à la prison de la Force. Ils changèrent de résolution et le conduisirent à la Commune de Paris.

Il subit un long interrogatoire avant d’être jetté dans un cachot d’où il vit et entendit massacrer des prisonniers.

Le 17 septembre suivant, mon père ayant subi un nouvel interrogatoire fut mis en liberté. Peu de temps après, il établit une correspondance avec la famille royale et, malgré les plus grands dangers l’a entretenue avec la Reine lorsqu’elle a été conduite à la Conciergerie. Ce fut par lui que, jusqu’à sa mort, la Reine reçut des nouvelles de ses enfants et de madame Élisabeth.

Le 16 octobre 1703, mon père fut arrêté de nouveau et conduit successivement pendant onze mois dans quatre prisons différentes. Il ne recouvra sa liberté que six semaines après la mort de Robespierre.

Lorsqu’il fut permis à Madame, fille de Louis XVI, de se promener dans le jardin du Temple, mon père profita de la liberté donnée à cette auguste et malheureuse princesse, pour lui donner de nouvelles preuves de son zèle, en lui procurant de correspondre avec sa famille, de donner de ses nouvelles et de recevoir des siennes. Madame, du moment où sa longue captivité cessa, daigna demander que mon père la suivit à Vienne. Mon père l’a suivie dans cette ville, ensuite à Mittau et, présentement, est à Varsovie avec Madame.

La description de ces faits que le fils de M. Hüe m’a mis sous les yeux est d’une exacte vérité.

marie-thèrèse.L’abbé edgeworth de firmont.
(Sceau en cire rouge de Madame, duchesse d’Angoulême.)
Varsovie, ce 1 octobre 1803.
Lettre d’André Hüe à François Hüe son père et réponse de celui-ci[26].
Trimestery, le 23 août 1810.
(Reçu le 25 octobre, répondu le 20 novembre. Note de François Hüe.)

Mon cher papa, j’ai reçu votre lettre, en date du 27 juin. Le malheur arrivé à ma chère maman m’a fait infiniment de peine[27]. Il faut espérer cependant, que la fortune qui nous fut jusqu’ici si contraire nous deviendra un jour favorable ; ma résolution lorsque je suis entré au service anglais n’a jamais eu d’autre but que de servir en quelque manière que ce fût, les droits de mon Roy. Je compte donc y attendre que des événements qui ne sont pas impossibles me permettent de servir sous des drapeaux que la Révolution a renversés. Je vous prie de témoigner à Sa Majesté combien je suis sensible à la recommandation dont elle a bien voulu m’honorer.

Vous me mandez dans votre lettre qu’il est presque impossible d’avancer un officier aux dépens d’un autre, mais cela est seulement dans son propre régiment, mais passer de lieutenant, capitaine dans un autre régiment sont des choses qui se voyent tous les jours et, pour preuve, c’est que nous en avons reçu 6. Je suis lieutenant depuis quatre ans et ne suis encore que le 11e dans la colonne, ce qui rend mon avancement dans la colonne, non pas impossible, mais du moins très reculé. Veuillez donc, mon cher papa, supplier Sa Majesté de me demander une compagnie dans un régiment étranger. Il y en a tant qu’il est presque probable que cette demande ne sera pas refusée à Sa Majesté.

Le major Renaud m’a dit, il y a quelques temps, que lorsque vous auriez retiré les cent louis que vous avez eu la bonté de m’avancer, vous auriez la bonté de me rendre la pension que vous me faisiez alors ; faites-moi le plaisir de me mander dans votre lettre si cela est. Les changements continuels que fait le bataillon de chasseurs, car nous en sommes déjà depuis un an et demi à notre 17e cantonnement, m’ont fait dépenser beaucoup plus d’argent que je ne l’aurais fait au régiment, qui n’a changé que deux fois pendant ce temps. Quant à la chasse, elle ne me fait pas faire de grandes dépenses, mais je ne pourrai pas y aller cet hiver si vous ne me faites pas faire une paire de platines, celles qui sont à mon fusil, qui, du reste, est très bon étant en trop mauvais état, et qu’il ne se trouve pas un armurier dans toute la Sicile qui y soit capable de faire les pièces qui y manquent.

Adieu, mon cher papa, témoignez à tous mes amis combien je suis sensible à leur souvenir et soyez sûr que ma conduite sera telle que vous le désirez.

Nous passons toujours les nuits sous les armes dans l’attente du général Murat qui nous a menacés de sa visite. Adieu, je vous embrasse tendrement.

andré hüe, lieutenant.

François Hüe répondit à son fils, dans les termes suivants :

Hartwel-House, Buckingham Shire 20 9-1810.
Hartwel-House, Buckingham-Shire, 20 novembre 1810.

Tu dois croire, mon cher enfant, que la résolution si noblement et si fortement énoncée par ta lettre du 23 août dernier flatte autant mon orgueil que mes principes de fidélité à la mémoire de Louis XVI et de très respectueux dévouement au Roi, qu’il faut espérer que la divine Providence replacera un jour sur le trône de ses pères. Non, tu ne dois jamais combattre sous les drapeaux de la rébellion. C’était et ce sera mon opinion jusqu’à mon dernier soupir. Et quand je te fis le tableau de la position pécuniaire si différente aujourd’hui de ce qu’elle aurait été sans notre exécrable révolution, quand je te laissais l’arbitre de ton sort, alors que je t’écrivais par cette lettre à laquelle tu réponds de manière à me convaincre que tu portes et porteras avec honneur un nom qui a pu acquérir un peu de célébrité et que je te transmettrai sans tache, alors, dis-je, que je t’écrivais que, dans quelque lieu que tu portes tes pas, ma vive tendresse t’y suivrait, c’était assez te dire que je ne quittais pas le chemin de l’honneur, et t’inviter, presque, à m’y suivre, malgré les épines dont cette route est hérissée. Des considérations me forcèrent, en quelque sorte, à te faire des questions sur les projets que tu aurais eus, peut-être, parce qu’il n’est pas donné à tous les hommes de sacrifier la fortune à un sentiment, plus ou moins fort chez la plupart d’entre eux.

Partagé entre mon devoir de père et mon religieux attachement à la maison de France, je n’aurais pas voulu me mettre dans le cas de me reprocher, ce dont tu es incapable, mais de penser au-dedans de toi-même que, sous la crainte de me déplaire, tu te serais occupé des moyens de réparer, dans ta patrie, la fortune dont tu dois la perte à la religieuse observance de mes sermens. Tu es digne de moi, mon enfant. Ta lettre que j’ai baisée, me le prouve. Je te presse de nouveau contre mon cœur. Je te donne de nouveau ma bénédiction.

Parlons chasse maintenant ! Ma précédente lettre t’aura annoncé, mon enfant, que j’avais chargé M. de Besson de t’acheter chez le meilleur armurier de Londres deux platines de fusil, l’une droite et l’autre gauche, parce que j’ai du supposer que ton fusil était à deux coups. Il a fait aussi l’emplette de poudre à tirer, dont il a fait mettre dans un baril, et, si bien arrangée que j’espère quelle t’arrivera sans humidité. Je regrette de ne pouvoir manger de ta chasse, et surtout de ces bonnes cailles que j’aime beaucoup et qui doivent être bonnes dans le pays que tu habites. Si ce cuistre de Murat se trouvait au bout de ton fusil, ne le manque pas. Mais ne men fais pas l’envoi. Car, autant j’aime le gibier, autant je déteste les bêtes puantes, de l’accabit surtout de cet ancien garçon d’écurie et de sa détestable famille, car cette canaille n’a pas craint de se faire oindre de l’huile sainte, et Dieu n’a pas tonné !

J’ai prévenu aussi dans ma dernière lettre la demande que tu me fais, relativement à ta pension. C’est le 31 décembre prochain que j’aurais remboursé à un de mes amis les 100 louis que je t’avançai pour payer une dette d’honneur. Tu peux donc compter affirmativement sur les 2 louis que le Roi veut bien te faire donner par mois, à titre de haute paye. Quant aux deux autres que je prenais sur le traitement de ta mère et sur le mien, je ferai pour mon fils bien aimé tout ce que ma position actuelle me permettra. Je te disais aussi par ma dernière lettre que je ne faisais que l’avance du prix des deux platines du fusil et de la poudre à tirer, ne pouvant, aujourd’hui que je suis seul, faire face à tout ce qui concerne tes intérêts pécuniaires. Je te donnais presque le denier de la veuve en t’envoyant 12 louis comme récompense de ta conduite militaire lorsque tu pris l’île de Sainte-Maure.

J’admirais tout à la fois le bon officier et le procédé d’un cœur sensible, puisque tes soins contribuaient à arracher des mains d’une soldatesque effrénée des officiers qu’ils voulaient massacrer. Sois victorieux, c’est un de mes vœux, mais respecte constamment le malheur de celui que tu soumets à tes armes. Honor miseris est une maxime qu’il ne faut jamais perdre de vue. Ta bonne maman regardera comme une consolation du malheur qui lui a ravi la majeure partie des débris de sa fortune l’envoi que je t’ai demandé pour elle, d’une mèche de tes cheveux, et moi je te demande de m’envoyer ton portrait que je mettrai sur une boëte à tabac dont j’use aujourd’hui comme remède pour mes yeux. Tu me fais cet envoi que si tu trouvais un bon peintre, je n’aime ni la caricature, ni les croûtes. C’est moi qui payerai ce portrait d’une de mes bagues de diamant que je vendrai, avec le prix duquel je ferai monter aussi le portrait sur une boëte simple, mais analogue à ce que j’ai de plus cher au monde.

Je finis par où j’aurais dû commencer, je veux dire la protection dont le Roi daigne t’honorer.

Sa Majesté a bien voulu te recommander encore dernièrement à M. le comte de La Châtre, son ministre confidentiel auprès du gouvernement britannique. Un beau jour, celui de ton avancement peut-être, luira peut-être pour toi, mais il faut l’attendre. Un roi sans trône, sans pouvoir, recevant un asile chez des étrangers, exige par le respect que doivent lui porter ses fidèles sujets dont je vois, avec plaisir, que tu fais nombre, qu’on ne compromette pas une dignité que le plus simple délai à lui accorder une demande juste, ne peut que compromettre infiniment. Ne perds donc pas courage, et sois assuré que ton bon père qui est aidé de quelques appuis, veille sur toi. Ce ne serait pas au strict devoir de ma part, que ta bonne conduite me porterait à ne rien négliger pour ton avancement. Une circonstance amenée par le hasard a fait que le Roi a pris connaissance de ta lettre et ma réponse. Madame duchesse d’Angoulême en a pris aussi connaissance et je suis en droit de t’assurer que tu t’es acquis des titres à leur bienveillante affection. Ton ami Perronet[28] va être forcé de quitter le service d’Autriche d’après un ordre de l’empereur d’Allemagne qui enjoint à tout français à son service d’aller servir sous les drapeaux de l’usurpateur. Ô honte éternelle pour ce monarque ! Je crois que Perronet passera en Suisse et que son père essayera de le placer au service de Sa Majesté britannique. Adieu, mon cher enfant, je te serre encore contre mon cœur. J’omettais de te dire que tu es inscrit au bureau de la guerre sur la liste des postulants. Le nombre en est de 80. M. le comte de La Châtre suivra ta demande. Ainsi je t’invite de nouveau à la patience.

Lettre de Madame la baronne Hüe à Madame, duchesse d’Angoulême[29]
Madame.

J’étais prévenu par les médecins sur l’extrême danger de mon mari. Lui seul en ignorait la gravité, quand une note insérée dans les journaux est venue le mettre dans le secret de sa situation et le frapper de la plus douloureuse pensée en lui faisant connaître qu’on désignait à ses places un autre que son fils. Serait-ce donc le sinistre présage d’un malheur dont M. Hüe et sa famille seraient menacés ? Si, ce que je ne puis croire, telle était la détermination du Roi, je sais qu’il faut respecter ses décrets, en silence, mais je dois recourir à la prière et faire connaître à Madame que, lorsqu’originairement mon mari fut nommé a la place de premier valet de chambre de Louis XVII, alors dauphin, il était absent et que cette faveur, non sollicitée, fut l’effet de l’estime et de la confiance éprouvées du Roi et de la Reine, et de la conviction qu’ils avaient du dévouement de M. Hüe pour ses augustes maîtres, ainsi que des qualités, je dirais même des vertus qu’exigeait cette place.

M. Thierry[30] avait occupé le même poste auprès du roi Louis XVI, encore enfant, ce qui l’a naturellement porté à celui de premier valet de chambre du Roi. La justice de Sa Majesté l’a rendu à son fils, ainsi que l’intendance du garde meuble de la couronne. M. le comte de Blacas avait offert à M. Hüe, en dédommagement de la place de trésorier général de la maison du Roi, dont il avait la promesse de la main de Sa Majesté, mais dont les fonctions ont été continuées par M. de la Bouillerie, une autre place dont un autre titulaire était encore en vie. Au lieu de cette dernière, M. Hüe a eu en compensation l’emploi de trésorier de la maison militaire. M. Hüe aurait préféré vivre sans emploi, plutôt que d’accepter celui qu’il croirait devoir appartenir à un autre. Jamais son caractère de probité et sa délicatesse dans les procédés ne peut se démentir et s’il pouvait pressentir un avenir humiliant pour son fils, dont il atteste la fidélité, le dévouement et le zèle pour le service du Roi et de son auguste famille, il lui resterait encore trop de jours à en souffrir. J’implore en sa faveur la bonté, l’auguste protection de Madame contre l’intrigue qui déjà, peut-être, s’agite autour de lui…

Paris, 9 septembre 1818.
Lettre de madame Hüe au comte de Pradel,
ministre de la maison du Roi[31] (s. d.).


Monsieur le Comte,

Mon malheur est consommé. M. Hüe n’existe plus. C’est le 19 janvier qu’il est mort et c’est le 21 qu’il a été inhumé à la suite du service annuel pour le feu Roi. Lui seul n’a pu se croire si proche de sa fin. Il n’a été averti du danger de son état qu’au moment d’être administré et c’est dans cette trompeuse tranquillité que jusqu’à ses dernières heures il ne s’est occupé que du détail journalier de ses emploi. Alors il ne lui restait plus ni force ni courage pour recommander au Roi sa malheureuse famille. Quelques heures avant, Sa Majesté avait fait demander l’apport des registres de caisse qui ont été à l’instant mis sous ses yeux, elle a pu juger par elle-même du mérite et de la scrupuleuse exactitude de M. Hüe. Une vérification faite depuis, par des commissaires nommés à cet effet, a dû lui en donner une nouvelle assurance.

J’étais instruite en secret, des épargnes que M. Hüe se plaisait à accumuler pour subvenir aux besoins pressants dans lesquels le Roi pourrait se trouver, elle se montait, je crois, à 2 000 400 francs à part des sommes en or renfermées dans 6 barils. M. Hüe m’a souvent répété : si je venais à te manquer, tu porteras au Roi un bon portefeuille, il y verra avec quelle sollicitude j’ai géré ses affaires. Sa Majesté ne t’abandonnera pas.

Je crains bien, monsieur le Comte, que l’espoir sur lequel mon mari se rendait avec la confiance d’une âme pure, ne soit cruellement trompé. J’ai eu l’honneur de voir le Roi au moment où je venais de perdre M. Hüe. Oserais-je le dire ? Pas un mot de regret pour le mari, pas un regard de pitié pour la veuve désolée. Sa Majesté m’a répété que M. Hüe avait trois belles places ; le serrement de cœur que j’éprouvai ne m’a pas donné la faculté de donner au Roi une juste idée de la position de mon mari. Je vais la faire connaître à Votre Excellence. M. Hüe avait un traitement de 15 000 francs pour chacune des places de premier valet de chambre et de trésorier de la maison militaire, une retenue de 3 000 francs sur chacune réduisait à 24 000 francs le produit des deux sur lequel mon mari prenait encore 1 800 francs pour les employés de son bureau, car on avait diminué de 3 000 la somme qui lui était alouée pour ses frais. Il est vrai que M. le comte de Pradel donnait depuis 2 ans une forte gratification pour le travail extraordinaire qu’exigeait l’emploi des fonds privés. Cette place était donc gratuite et le Roi mieux instruit n’aurait pu la compter que pour telle. Cependant cette gestion était celle qui plus que l’autre donnait par ses détails un travail continuel et demandait une attention fatiguante, aussi est-ce celle qui a le plus contribué au dépérissement de sa santé en lui ôtant tout loisir de jouir de quelque repos. Esclave de ses devoirs, rien n’a pu le déterminer à quitter son bureau pour aller à la campagne chercher l’air dont il avait besoin et un logement, qu’il pût atteindre sans monter 100 marches ce qui épuisait le peu de forces qui lui restait. Il n’a cessé de travailler qu’en cessant de vivre. J’ai crû devoir entrer dans ces détails pour que Votre Excellence daigne faire connaître au Roi la position de la veuve de M. Hüe chargée de l’entretien de sa mère et de son oncle, tous deux dans un âge très avancé. La générosité de M. Hüe a jusqu’ici suffi à leurs besoins. La munificence du Roi laissera-t-elle la famille de l’homme dont il est superflu que je rappelle les services pendant 20 ans au-dessous de l’idée qu’on a dû se faire de la justice et des nobles sentiments de Sa Majesté.

C’est vous, monsieur le Comte, que je prie, dans ces tristes circonstances d’être l’arbitre de mon sort et le plus ferme appui de mes espérances parce que vous avez su apprécier l’homme dont la mort me réduit au désespoir.

hutin hüe.

Immédiatement après la mort de Hüe, les journaux publièrent un grand nombre d’articles nécrologiques, de biographies et de pièces de vers à sa mémoire dont nous ferons grâce au lecteur. Rappelons seulement ce passage des Annales politiques du 21 janvier 1819 : « M. Hüe était le distributeur des aumônes secrètes de Sa Majesté. C’est par ses mains que les secteurs de la bienfaisance du prince arrivaient au pauvre honteux et à l’indigent. Il ne laissait jamais une pétition ni une lettre sans réponse et souvent nous l’avons vu, sortant de table, se mettre à son bureau, examiner les nombreuses demandes qui lui étaient adressées tous les jours et ne se délasser du travail pour le bien qu’il avait fait que par le travail pour le bien qu’il allait faire. Que de larmes il a taries ! que de services il a rendus sans ostentation, avec une intarissable bonté, avec une fatigue perpétuelle et qui sans nul doute a avancé le terme de ses jours. On croit pouvoir affirmer que M. Hüe n’avait pas un seul ennemi. Ses amis étaient nombreux… Aucune vie n’a été plus remplie de vertus et d’honneur. »

Extraits du Journal tenu par Louise de Mazenod, baronne Hüe, pendant les premiers temps de son séjour à Saint-Cloud et rédigé sous forme de lettres à sa mère Henriette Gillet de la Renommière, dame de Mazenod[32].

1er juillet 1823. — La voilà donc terminée, cette première journée de Saint-Cloud où tout est nouveau pour moi, où j’ai été examinée par chacun, où j’ai déjeuné à la table du château avec contrainte, où enfin je me suis occupée de mon emménagement, en regardant par la fenêtre et me disant : « Quel plaisir de quitter les Tuileries, de respirer un air pur, de promener ma vue sur ce magnifique tapis de verdure. Beaux marronniers, superbes marronniers ! que vous avez de charmes pour moi ! Je ne puis profiter de votre ombre bienfaisante. Elle est réservée à nos princes, mais au moins tout ici est tranquille et je puis contempler le ciel, ma pensée s’élèvera plus facilement vers l’auteur de la nature. Je m’y retirerai souvent seule pour réfléchir à Dieu, a mes parents, à mes amis de Seine-et-Marne. »

2 juillet. — Bonheur d’habiter Saint-Cloud. Oui, c’est avec plaisir que je connais Saint-Cloud. Déjà je me promets mille jouissances de cette aimable solitude. Puisse-t-elle être ainsi nommée par moi. Après le déjeuner, j’ai vu le jeune duc de Bordeaux[33] et Mademoiselle descendre chez le roi. Je me suis mise ensuite à l’ouvrage. J’ai été dérangée par le duc de Damas[34] qui, en homme galant et poli, a voulu me présenter de suite à la duchesse. Je n’étais pas en toilette, cependant il a fallu profiter de cette offre. Mon amour propre en eût souffert s’il eût fallu paraître devant une femme hautaine et fière.

Madame de Damas est tout le contraire, l’accueil que j’en ai reçu m’a donné la juste preuve de sa simplicité et surtout de sa bonté. Je suis revenue on ne peut plus contente. J’ai passé le reste de la journée gaiement et utilement. J’ai vu notre roi, madame la dauphine et si, dans la journée, j’ai eu à compter quelque contrariété,

ce sont les petits dérangements qui m’ont empêché de donner à ma bonne mère de plus longs détails sur mes actions.

4 juillet. — Disons un mot de la journée d’hier. Je ne suis pas sortie le matin, il pleuvait. Je me suis occupée toute la journée de manière à ne pas m’ennuyer. Le soir, mon frère Édouard et M. de Sasselange[35] sont venus dîner avec nous. C’était un jour maigre. On ne servait pas de viande à la table. Aussi était-elle déserte. Le dîner ne fut pas long. Je sortis ensuite avec mon frère et M. de Sasselange. Nous parcourûmes quelques allées du parc où mes deux jeunes gens s’amusèrent beaucoup de la prodigieuse quantité de lapins que nous y vîmes. Cette promenade agréable dans le moment fut pourtant pour moi la source de quelque chagrin. Voici ce que c’est. Entraînée par le plaisir de trouver dans mon frère et mon parent une société qui me convenait, je parlai beaucoup, je ne ménageai pas assez la charité. Je fus vaine, étourdie.

En un mot, ma conscience fut alarmée de tout mon babillage et je résolus de tout vous avouer comme à ma meilleure amie.

…7 juillet. — J’ai fait aujourd’hui une lecture… Ces points vous étonnent, ma chère maman. En effet, vous saurez qu’un mauvais roman était la lecture que j’avais commencée et dont la perversité me fit rejeter loin de moi ce qui sans gâter mon âme, ne pouvait que la salir.

— Comment est-il possible, disais-je ce matin à André, que l’homme ait l’esprit assez impur, assez détestable pour écrire et répandre un tel mélange de scandale, de libéralisme et d’hypocrisie ?

— Tel est le monde, me répondit-il. Telles sont beaucoup de femmes à Paris.

Le monde est donc une abomination ? Heureux celui qui, élevé loin du monde, peut trouver son bonheur dans une morale simple et pure en même temps qu’il ignore la perversité, le désordre affreux dont le récit n’est qu’un scandale. Voilà, bonne mère, les pensées qui m’ont occupée ce matin.

Ce soir, j’ai vu le roi, le dauphin, la dauphine et madame de Berri. Comme cette dernière courait avec son chien ! Comme elle semblait contente de sa liberté ! Cette promenade de nos princes ressemblait beaucoup à une réunion de famille. Et cela me fit plaisir pour eux…

9 juillet. — Ce matin, j’ai visité le Trocadéro. C’est un endroit du parc fort élevé, distribué dans le genre d’un jardin anglais entouré d’un treillage.

Au milieu est un pavillon en coutil bleu chamarré en dedans de diverses couleurs et meublé de sophas, fauteuils et tables champêtres.

Plusieurs fontaines se trouvent sur le Trocadéro qui est cependant un lieu assez aride. On remarque aussi un autre petit pavillon d’une forme chinoise ouvert d’un seul côté et dirigé sur une machine où le jeune duc de Bordeaux s’exerce à tirer au pistolet.

Une grande quantité d’arbres sont étiquetés, même les plus communs de nos forêts. Sans doute cette méthode est pour instruire nos jeunes princes du nom de chacun de ces arbres.

Rentré au château, j’ai reçu la visite de M. de Trogoff, gouverneur de Saint-Cloud. C’est un homme qui m’a semblé assez simple. J’ai vu aussi M. de la Bourdonnais[36], qui est entré un instant, en sortant de chez le roi. Je laisse à vous, ma bonne mère, le soin de le juger. Sa démarche est fière, ses questions brèves. Au reste il a été poli. J’avais à faire une visite de redevance qui me tenait fort à cœur. Je me suis donc costumée pour la rendre au plus vite. J’ai trouvé dans madame Collignon[37] beaucoup d’affabilité. J’ai tâché de suivre cette méthode dont je vous ai souvent entendu parler et plus souvent encore dont vous m’avez donné l’exemple. J’ai écouté et laissé parler.

Pour finir ma journée, j’ai vu de ma chambre les princes qui folâtraient devant le roi comme nous jadis devant bon-papa.

14 juillet. — Le Roi a chassé. Pendant ce temps je suis sortie dans le parc avec André. Nous avons visité les cascades, lieu charmant où malgré la chaleur affreuse de midi nous soutiens une agréable fraîcheur émanant des eaux jaillissantes que l’on faisait jouer pour les préparer au lendemain, jour de la Saint-Henri. Nous avons prolongé notre promenade dans des endroits sombres par la hauteur des arbres qui s’y trouvent. Là, nous avons assisté aux exercices d’un jeune écuyer de la Dauphine, M. O’Héguerty[38] qui, fier de son talent, domptait un jeune cheval destiné à la Princesse.

15 juillet. — Au milieu de la belle fête dont j’ai fait un petit récit à Bonne maman, mon esprit y était à peine. le regrettais ma campagne si calme où j’ai si souvent goûté le bonheur d’être à moi, le bonheur de la réflexion… et par dessus tout, celui d’être avec une mère que je chérirai toujours.

16 juillet. — Ma journée a été employée utilement pour ma layette et pour me délasser des fatigues d’hier. La seule chose dont je puisse vous faire mention est quelques instants passés avec M. O’Héguerty, jeune homme étourdi selon l’opinion de ses camarades. M. O’Héguerty ne veut pas se marier. On croit dans le monde que c’est pour jouir de sa liberté. Point du tout, ce jeune homme connaît le monde depuis sa tendre jeunesse. Il ne s’abuse pas sur le peu de ressources que l’homme de bien peut trouver dans une femme mondaine. Il est dégoûté de la fausseté du monde. Il en connaît toute l’illusion. Enfin, en l’écoutant, il me semblait trouver un raisonnement comme je souhaiterais en entendre toujours et je me félicitais plus que jamais d’avoir les idées que je ne dois qu’à vous.

18 juillet. — J’ai eu aujourd’hui la visite de M. Alibert[39], célèbre médecin, auteur de la Physiologie des passions. Mon frère Édouard était avec moi ; nous étions fort attentifs aux raisonnements de cet homme dont le physique annonce un esprit vif et ardent. La conversation tomba sur le bonheur du mariage, sujet bien propre à captiver mon attention !

D’abord, je trouvai que ses réflexions avaient beaucoup d’analogies avec celles que fait, si je ne me trompe, Milady Montaigue. « Le bonheur, consiste, dit-il, dans l’assortiment de caractère et de goûts, dans cette union de sentiments et de pensées qui fait que l’homme et la femme ne forment plus, pour ainsi dire qu’une seule âme s’aimant l’un et l’autre par-dessus tout ce que l’on peut aimer sur la terre et passant sa vie à se donner des marques réciproques d’affection. »

Voici jusqu’à présent des idées que j’approuve… mais continuons : « Pour être heureux, il faut être riche, sans la richesse point d’union, point d’accord. Il faut que le mari soit à même par sa fortune de prévenir les moindres désirs de sa femme.

» Un cachemire, un bijou de tel prix qu’il soit étant remarqué la veille doit être le lendemain dans la toilette de « Madame ».

Dernière pensée qui me semble bien tenir à l’idée que les gens du monde se font du bonheur. Après cela, M. Alibert se tournant du côté de mon mari et de moi, voulant nous donner des avis à cause de notre inexpérience, me prouva combien il paraissait peu chrétien et peu bienveillant à l’égard des femmes.

Je l’avoue, j’ai jugé simplement par mon cœur pour combattre le système de M. Alibert contre la richesse, système qui quoique bien extraordinaire peut avoir de malheureux exemples. Je connais à peine le monde, il le connaît depuis sa jeunesse. Et c’est sans doute pour l’avoir trop connu que M. Alibert a, selon moi, une fausse idée du bonheur. Il parle d’un bijou, d’un schall comme les objets du bonheur. Il oublie la vertu, les principes religieux et, selon moi, voilà le fondement du bonheur auquel je joindrai les premières réflexions de M. Alibert qui m’ont, ainsi qu’à mon frère, semblé justes. À vous, ma bonne mère, la décision, car en tout vous serez ma boussole.

18 juillet. — Ce matin c’était la messe du Roi. Les toilettes y sont brillantes, les dames debout par respect pour le Roi, la musique merveilleuse, selon le monde, mais, suivant ma petite décision, trop mondaine et surtout chantée par des gens trop mondains. Comment se peut-il que nos Princes, si chrétiens, trouvent dans cette messe de quoi satisfaire leur piété ? Il est vrai que, seuls dans leur tribune, ils ne sont distraits que selon leur volonté. Dans l’intérieur de la chapelle, il n’y a, au contraire, aucun recueillement. Il semble que le Roi soit le seul adoré. Tous les regards sont portés sur lui. On tourne le dos à l’autel et la curiosité tient lieu de dévotion. Je voudrais être assez forte pour rester recueillie au milieu de tout le bruit. Peut-être m’y accoutumerai-je ?

J’ai fait aujourd’hui des visites et une surtout qui m’a intéressée. Je voulais connaître une jeune femme dont on m’avait fait l’éloge sans le vouloir.

Madame d’Acher Montgascon[40], dit une dame que je connais à peine, mais dont le ton ne me plaît pas, est une bonne petite femme, mais toute adonnée à la dévotion et voyant très peu de monde.

Comme le mari de cette jeune femme mange à notre table, et qu’André ne semblait pas s’opposer à ce que je fis cette connaissance, je fus aujourd’hui faire ma première visite. Plusieurs fois, j’avais aperçu madame d’Acher à la chapelle. Elle était en deuil et je savais que c’était de sa mère. Je la trouvai aujourd’hui, dans le même costume et avec cet air de douceur mêlée de tristesse que j’avais remarquée en elle.

Après avoir causé de son enfant[41] qui, par son extrême délicatesse, lui a causé déjà bien des tourments, elle me parla de tous les chagrins qui l’éloignaient maintenant du monde où les peines sont un instant prises en pitié, mais, où elles trouvent bien vite un contraste excédant. Cette jeune femme a perdu successivement ses frères et sœurs. Ils étaient sept et ne sont restés que deux. Le dernier chagrin de cette intéressante personne est la mort d’une mère bonne comme la mienne. Je suis restée longtemps auprès d’elle et j’espère la connaître davantage et vous en parler quelquefois.

19 juillet. — Le Roi a chassé. J’en ai profité pour me promener avec André dans le parc. À peine rentrée, j’ai reçu des visites de Paris. M. de Manne[42], bibliothécaire du Roi, est venu apporter des livres à mon mari, lesquels furent cause d’une discussion entre ces messieurs et moi. Je fis de sérieux reproches à M. de Manne sur la qualité des livres qu’il confiait à mon mari. Il me répondit que ne les ayant pas lus, sa conscience n’était pas engagée. Cependant, dit-il, je sais que ces livres sont infâmes et je ne les prêterais pas à un jeune homme, mais à l’âge de M. Hüe on peut sans risquer, lire un tel livre et, même d’un mauvais livre, il peut résulter un bon fruit. L’homme raisonnable, dit il, conçoit de l’éloignement. pour le mal. Les exemples de dépravation et d’immoralité que nous trouvons dans les livres doublent l’horreur qu’il a pour le crime.

Mon mari, fort de l’avis de M. de Manne, ainsi que de quelques autres messieurs, soutenait ce système en, ajoutant que les mauvais livres ne lui avaient jamais fait de mal. Et d’ailleurs, dit-il, lorsqu’on a l’esprit assez fort pour s’en amuser, ils ne sont point dangereux. Je rassemblai tous les arguments qui me vinrent à l’esprit pour combattre sen opinion et lui demander ainsi qu’à ces messieurs : « Si vous jugiez votre estomac assez fort pour supporter une dose de poison et qu’il n’y eut que votre volonté pour vous forcer à l’avaler, risqueriez-vous cette épreuve ? »

M. Hüe m’assura qu’il le ferait, mais bon nombre de ces messieurs qui étaient d’abord de son côté passèrent du mien, en approuvant ma réflexion. Je vous l’avoue, ma bonne mère, mon amour propre fut trop flatte de ce succès. J’aurais du réfléchir combien j’avais peu réussi puisque mon mari ne semblait pas convaincu. Sa réponse était celle d’un mari. Celles de ces messieurs venaient de leur politesse.

24 juillet. — Déjà quatre jours sans un mot sur le petit cahier ! Ah ! ma fille, cela n’est pas bien.… Cherchons donc dans notre mémoire ce qui peut vous occuper. Que vous dire, chère maman, de la visite d’une solliciteuse sans fin, ou plutôt sans fin de paroles. Une femme bavarde et singulière restée chez moi pendant tout le temps que mon mari était chez le Roi et qu’il eut à son retour bien de peine a faire partir, en m’engageant a me défier d’elle. En un instant, je sus tous les noms, prénoms, aventures, malheurs, bonheurs, tout, tout, ce que peut éprouver une femme par son mari et ses enfants et sa famille. Ce à quoi, je lui donnai des consolations religieuses mais peu ou point comprises : « Dieu sera juste, me disait cette femme courroucée contre l’un, contre l’autre ! » À souhaiter, madame, qu’il le soit pour vous et que sa miséricorde s’étende sur vos parents coupables, » lui dis-je enfin.

Vint ensuite M. D…, gentilhomme ordinaire du Roi, qui, dit-on, fut le plus grand bavard possible. Depuis huit ans ce Monsieur est attaqué d’une extinction de voix qui augmente tous les ans. Maintenant, à peine peut-il se faire entendre ; et il parle toujours. Comme il mange à notre table, où plusieurs convives sont fort plaisants, il est pour eux un sujet d’amusement. Au reste, M. D… est d’un caractère excellent et s’amuse de la gaîté de ces messieurs.

À d’autres jours d’autres remarques. En attendant qu’il y en ait à faire, pensons à notre bonne mère.

28 juillet. — Vous saurez, ma mère, que j’ai été fort occupée tous ces jours-ci d’un livre intitulé la Physiologie des passions par M. Alibert. La conversation que j’avais eue avec lui dernièrement et dont je vous ai fait mention ci-dessus, m’avait prévenu contre son ouvrage, que je craignais même d’ouvrir, pensant qu’il pouvait être matérialiste et irréligieux. Avant hier M. Alibert m’apporta son ouvrage pendant une visite de mon frère Édouard. Nous nous empressâmes de lire les premières pages avec une méfiance bien naturelle aux enfants d’une mère pieuse comme la nôtre. Nous le jugeâmes sévèrement, je l’avoue. Mais ayant continué ensemble, nous trouvâmes dans ce livre, non seulement une élocution brillante, mais une définition précise et claire de la conscience, de la raison, de la volonté, de la mémoire, etc., puis des réflexions religieuses qui prouvent un esprit éclairé et une âme entraînée vers le bien, au milieu d’un monde où elle a puisé de fausses idées qui la retiennent encore…

10 août. — Nous sommes aujourd’hui au 10 août. Que de choses se sont passées ces jours-ci. Avant hier j’ai commencé à m’apercevoir que je suis à la cour par le mouvement qui se fait ici. Un changement de ministère ! Quelle occupation pour les esprits. Que d’allants et venants, tous préoccupés du même sujet, mais chacun par des idées différentes. Déjà les nouveaux ministres sont désignés. Chacun se courbe à leur approche, tous les visages semblent gracieux à leur arrivée et chacun songe à profiter de leur faveur.

Jetez un coup d’œil de ce côté. Quel est ce personnage dont la mine est allongée ? Où va-t-il ? Qui le connaît ici ? Mais chut ! En voici un autre, puis deux, puis trois, puis un grand nombre qui semblent ne faire qu’un, par la ressemblance et la même expression de physionomie. Aussi les salue-t-on en corps. Ce n’est plus le salut de la veille. Tout est pour les nouveaux ministres. Ils sont disgrâciés ceux-ci ! on leur tourne le dos ! Heureux si cette exemple de l’instabilité humaine servait de leçon aux nouveaux venus qui, comme les premiers, auront leur fin !

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J’ai le cœur bien gonflé et songe sans cesse à la mort de ma bonne maman[43] ! Je vois les larmes de ma famille. Je médite sur la brièveté du temps, la longueur de l’éternité ! Oh ! monde que tu es peu de chose à celui qui te quitte ! Combien alors, nous sont indifférents les peines qui dans la vie nous ont tenu le plus au cœur ! Que reste-t-il des jouissances passées ? Si ce n’est celles que nous ont procurées nos bonnes œuvres. Un seul instant va détruire toutes les illusions de la vie ! Oh ! décrets de la Providence je vous adore, mais en considérant votre mystère, mon âme est saisie de respect et de frayeur, j’humilie ma tête coupable et je me jette dans les bras de votre infinie miséricorde.

Je songe aussi, en évoquant le souvenir de ma grand’-mère bien aimée que l’enfant que Dieu me donnera bientôt, devra aussi mourir ! S’il profite des grâces que Dieu me promet pour lui, son tour viendra d’être heureux. Peut-être comme nous, aura-t-il bien des épreuves à subir sur cette terre ? Comme moi, il donnera des larmes à la mémoire de ses parents[44] ! Puissè-je alors, en le précédant, trouver grâce devant le Seigneur. Voici le souhait que je forme et c’est à Saint-Cloud, entourée du monde et de ses vanités, c’est à Saint-Cloud où je me trouve pourtant une solitude que je viens à le former ! Et à qui dois-je cette faveur ? À ma bonne mère qui forma mon esprit et mon cœur, aussi se dirigent-ils, sans cesse, vers elle comme l’oiseau se dirige vers le feuillage protecteur quand il est incommodé des rayons du soleil.

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fin.
  1. Louis-Henri-Joseph, duc de Bourbon, prince de Condé, né en 1756, fils du prince de Condé et père de l’infortuné duc d’Enghien, émigra, commanda plusieurs fois l’armée royale sans succès, revint en France en 1814, tenta vainement de soulever la Vendée, et mourut tragiquement à Saint-Leu en 1830. Il avait connu Hüe à la cour de Vienne.
  2. Louise-Adélaïde de Bourbon-Condé, dite Mademoiselle de Condé, sœur du précédent, née en 1757, abbesse de Remiremont en 1786 et, depuis la Restauration, supérieure des religieuses de l’Adoration perpétuelle du Saint-Sacrement, décédée au Temple à Paris, en 1824, laissant une grande réputation de vertus et de piété.
  3. Victor-Emmanuel Ier, né en 1750, mort en 1824. Deuxième fils de Victor-Amédée III il succéda en 1802 à son frère Charles-Emmanuel IV, abdiqua en 1821 et mourut en 1824. Il était fort hostile aux idées libérales et à la Révolution française. Par le mariage de ses sœurs, il était beau-frère de Louis XVIII et de Charles X.
  4. Marie-Thérèse-Jeanne-Josèphe d’Autriche-Modène, née en 1773, fille de l’archiduc Ferdinand d’Autriche et nièce de la reine Marie-Antoinette.
  5. Marie-Béatrice-Victoire-Joséphine, née en 1792, morte en 1810, avait épouse son cousin François IV d’Autriche-Este, duc de Modène, dont elle eut, entre autres, la comtesse de Chambord.
  6. Frédéric-Guillaume III de Prusse, né en 1770, mort en 1840, roi de Prusse en 1797. — Cf. plus haut : Séjour du roi à Memel, p. 234.
  7. François Ier, né en 1768, mort en 1835, neveu de Marie-Antoinette.
  8. Nous ne savons quelle était cette « boîte » dont on a perdu le souvenir dans la famille Hüe.
  9. Le futur empereur Ferdinand Ier, alors âgé de treize ans, et sa sœur Marie-Louise, âgée de quinze ans, qui devint, par la suite, femme de Napoléon Ier.
  10. Sophie-Madeleine, princesse de Danemark, née en 1746, mariée en 1766 au roi Gustave III de Suède, veuve en 1792, aïeule du suivant. Elle adressa à Hüe un portrait de son petit-fils.
  11. Gustave, prince Wasa, fils de Gustave IV roi de Suède, ne parvint jamais au trône. Il suivit dans la retraite son père, qui se vit, par suite de son impopularité, contraint à abdiquer en 1809, et entra au service de l’Autriche, en qualité de feld-maréchal.
  12. Baronne de Coëtlosquet, née Lasalle.
  13. Jean-Gilles du Coëtlosquet, né en 1690, évéque de Limoges jusqu’en 1758, précepteurs de Louis XVI et de ses frères.
  14. Vicomte Dutheil de la Rochère.
  15. Charette.
  16. Cf., pour ces faits, la Procédure criminelle instruite au Châtelet de Paris, sur les faits d’octobre 1789 (1790).
  17. Cf. Mémoires de la duchesse de Tourzel.
  18. À ces lettres adressées à Hüe sont jointes une quantité d’autres de Royer-Collard, Villenave, du cardinal de Bausset, etc., une lettre du vicomte de Rivarol, frère du fameux écrivain, qui se plaint de n’avoir pas vu nommer dans les Dernières années de Louis XVI « le comte de Rivarol qui fut le seul écrivain osant au commencement de la Révolution défendre le Roi ! » enfin une correspondance de MM. de Tilly, de Clermont-Gallerande, des députés Cahier et Feydel formant un véritable dossier sur la Révolution.
  19. Il s’agit ici de la veuve de Jean-Baptiste-Donatien de Vimeur, comte de Rochambeau, gouverneur d’Artois et de Picardie, maréchal en 1791, le fameux héros des guerres d’Amérique, condamné à mort pendant la Terreur, sauvé par la chute de Robespierre, mort en 1807.
  20. La fameuse capitulation de Cornwalis à Yorktown, 1781.
  21. Le fameux abbé Grégoire qui prêta, le premier, le serment à la Constitution civile du Clergé.
  22. Nous avons conservé l’orthographe de cette lettre, mais, en faisant remarquer le caractère fantaisiste dont elle est empreinte, il serait oiseux d’ajouter qu’elle n’est pas personnelle à la maréchale de Rochambeau, femme de grande naissance et de haute éducation. On sait assurément que les grandes dames du xviiie siècle ne s’arrêtaient point aux minutieux détails de la langue française et usaient souvent de l’orthographe du cœur.
  23. Mentionnons seulement une lettre du duc d’Orléans, plus tard le roi Louis-Philippe, en date du 25 juin 1807, lui parlant de son « dévouement pour le Roi, qui ajoute encore à satisfaction qu’il ressent de tous les sentiments que Hüe manifeste pour lui ».
  24. Ce portrait de M. Hüe est suivi d’une biographie de Cléry, dont les terme sont trop pamphlétaires pour que nous les reproduisions ici. Madame Hüe reproche au valet de chambre de Louis XVI ses liaisons avec les Jacobins tels que Dorat-Cubières, son attitude à la Journée des Poignards, le rôle qu’aurait tenu sa femme (chanteuse distinguée) dans une fête de la Déesse Raison, la bienveillance de la comtesse de Provence qui l’admit une fois à sa table, etc. Hâtons-nous d’ajouter que nous n’entendons nullement diminuer l’admirable dévouement de Cléry, en disant quelques mots des reproches que madame Hüe lui adresse à l’insu de son mari. C’est dans un froissement d’amour-propre qu’il faut chercher l’origine de ce conflit. À tort, sans doute, on a parlé de l’ingratitude proverbiale des Bourbons. Cléry n’eut point à en souffrir. Il reçut les récompenses que méritait son attachement sans bornes a ses maîtres. Madame Hüe n’eut pas à se louer autant de leur générosité. Elle vit, Cléry, homme de grand cœur, mais de petite naissance, recevoir des honneurs dont son mari fut privé. Il n’en faut point davantage pour expliquer un pamphlet qui est un véritable document de la psychologie des cours.
  25. Ce fut sur la seule présentation de cette pièce que, âgé de quinze ans, André Hüe obtint, en 1811, une lieutenance en Angleterre.
  26. En 1810, François Hüe, voulant éprouver son fils qui guerroyait en Sicile, au service de l’Angleterre, ou voulant peut-être sacrifier a la plus chère de ses convictions, la plus chère de ses tendresses, lui fit une proposition pour le moins singulière : celle de servir sous les ordres de « Buonaparte ». Nous croyons devoir transcrire ici, sans commentaires, la réponse que lui fit son fils et la lettre de François qui suivit cette dernière. Elles sont la plus parfaite image de l’état d’esprit des émigrés, état d’esprit que nous pouvons à peine concevoir et que nous ne pouvons encore juger avec sérénité. Alors qu’on entend un Français de caractère aussi pacifique et doux que le fut M. Hüe, parler avec aisance de tuer Murat « comme une bête puante », et cela dans une lettre où, par ailleurs, il exprime les sentiments les plus chevaleresques, on conçoit mieux que jamais que le devoir, en matière politique, est de nature essentiellement « ondoyante et diverse ».
  27. Nous ignorons à quel événement il est fait allusion ici.
  28. Fils du premier valet de chambre du Roi, plus tard, premier valet de chambre lui-même.
  29. À peine Hüe avait-il quitté la Cour pour n’y plus revenir, que le Roi chercha, sollicité de toutes parts, à disposer de ses charges dont son fils avait cependant promesse de survivence. C’est alors que madame Hüe écrivit en ces termes à Madame.
  30. Thierry, baron de Ville-d’Avray, dont il a déjà été parlé plus haut.
  31. Aussitôt après le décès de Hüe, Louis XVIII s’empressa de disposer de sa charge de trésorier de la cassette. Vainement, madame Hüe en demanda-t-elle l’office pour son fils André. Sa requête fut inutile.
  32. Archives de la famille Hüe. Louise-Élisabeth de Mazenod (1808-1893) était mariée depuis 1828 à André, baron Hüe, capitaine aux mousquetaires, chevalier de Saint-Louis, premier valet de chambre de Charles X. La situation de son mari la retenait depuis quelques mois à la Cour, tantôt aux Tuileries, tantôt a Saint-Cloud, quand elle écrivait ce journal à sa mère demeurée en Seine-et-Marne.
  33. Madame Hüe possédait à Saint-Cloud une fort belle chatte jouissant de l’affection particulière du duc de Bordeaux qui venait fréquemment lui offrir ses caresses. On le savait dans l’entourage de madame Hüe et on profitait des heures de récréation du jeune prince pour venir la visiter, afin de le rencontrer.
  34. Le duc de Damas dont il a été plusieurs fois question dans le cours de cet ouvrage était alors premier gentilhomme de la chambre du duc d’Angoulême.
  35. Le marquis Saignard de Sasselange, allié de la famille de Mazenod.
  36. Le comte Arthur de La Bourdonnaye, gentilhomme de la chambre du Roi.
  37. Première femme de chambre de la duchesse d’Angoulême.
  38. Le vicomte O’Héguerty, écuyer cavalcadour de madame la duchesse d’Angoulême, fils du comte O’Héguerty, écuyer-commandant du Roi.
  39. Le célèbre baron Alibert (1766-1837), premier médecin du Roi, médecin en chef de l’hôpital Saint-Louis.
  40. Femme d’un huissier de la chambre du duc d’Angoulême.
  41. Le baron d’Acher de Montgascon, ministre plénipotentiaire, marié plus tard à mademoiselle Laurens de Waru, et ensuite à mademoiselle de La Loyère.
  42. Conservateur-directeur de la Bibliothèque du Roi (aujourd’hui Bibliothèque Nationale.)
  43. Thérèse de Cugnières, veuve de Louis-F.-S.-C. de Mazenod, garde du corps du Roi, chevalier de Saint-Louis, morte le il août 1829.
  44. Ce fut ce fils, Alfred Hüe, né en 1880 qui précéda sa mère dans le tombeau. Il mourut à Paris le 10 décembre 1850.