Souvenirs du Baron Hüe/Chapitre XI

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Texte établi par André de MaricourtCalmann-Lévy (p. 257-273).


Chapitre XI


(Janvier 1805-octobre 1814).


François Hüe à Londres, puis à Hambourg. — Séjour à Hartwel. — La vie privée de Louis XVIII. — Mesures d’économie prises par Hüe. — Retour en France.

Après avoir quitté Mittau, je me rendis à Londres pour donner le jour aux pages que j’avais écrites sur les dernières années du règne et de la vie de mon malheureux Roi. Lorsque j’avais entrepris de rassembler ces tristes souvenirs, la France couverte de ruines fumait encore du sang des victimes immolées à la fureur des partis.

Ce fut au bruit des armes, au son du tocsin que je traçai les premières lignes de ce récit. Combien de fois, dans la prison de la Force, l’apparition subite d’inquisiteurs sanguinaires soudoyés pour épier les sentiments secrets, pour interroger les pensées m’avait forcé de détruire mon ouvrage ! Enfin, je le terminai mais en me réservant de lui donner plus de développement lorsque cela me serait possible.

Quand je rejoignis Madame à Huningue je laissai mon manuscrit en France. Peu de temps après, ma famille le confia à un étranger, M. d’Auewerck, qui partait en Angleterre. Il le conserva pendant trois mois et ne put me le faire parvenir à Vienne qu’au mois de juillet 1796 par l’intermédiaire de M. de Damas[1]. Une fois que je fus en possession de ces feuilles, j’aurais voulu céder au désir de faire publier ces vestiges des malheurs d’une famille que pleurait l’Europe entière, mais je rencontrai là bien des difficultés.

Les intrigues des subalternes qui étaient voués seulement au comte d’Avaray en arrêtèrent longtemps la publication. On avait fait craindre à M. d’Avaray qu’elle ne réveillât en faveur de Madame, duchesse d’Angoulême, un intérêt qui était au détriment du Roi Son oncle. Quelle absurdité ! Il me coûte de dire qu’un sieur Mariala, qui rédigea le journal de Cléry, abusa, lors de ce travail, de la confiance avec laquelle je lui avais prêté, à Vienne en Autriche, le manuscrit de mon ouvrage.

En 1798, je fis une tentative pour obtenir l’autorisation de le publier, mais aucun succès ne couronna mon entreprise, et M. le comte d’Artois m’adressa la lettre suivante au sujet du refus que j’essuyai du Roi :

Édinburgh, le 3 janvier 1798.
(Reçu à Vienne, le 5 février 1798. Note de Hüe.)

« J’ai tardé à vous répondre, mon cher Hüe, parce que j’attendais de savoir par vous ce que le Roi vous aurait fait connaître sur la publication de votre ouvrage. Mais si mon frère a pensé qu’il n’était pas encore temps de divulguer ce qui doit produire, un jour, un si grand effet sur les Français, je veux au moins que vous sachiez directement que votre conduite si noble et si touchante pour mon trop malheureux frère vous a acquis à mon affection et à mon intérêt des droits imprescriptibles et que je me trouverais heureux de vous en donner la preuve dans toutes les circonstances.

» Ce sera toujours avec le même plaisir que je vous renouvellerai, mon cher Hüe, l’assurance de ma bienveillante affection.

» charles philippe. ».

Enfin en arrivant à Londres j’avais obtenu la permission de publier, mais au prix de quelles difficultés[2] !

Mon manuscrit était précédé d’une adresse aux Français qui déplut à M. d’Avaray à cause de quelques expressions telles que celles de patriotes qui pouvaient se prendre en mauvaise part. Enfin, j’avais cru inutile de dire aux lecteurs, en rappelant la convocation des États Généraux, que, seul, le bureau de Monsieur avait voté le redoublement du Tiers. M. le comte d’Avaray, malgré mes représentations et celles de M. le duc d’Havré, me contraignit à faire usage de cette phrase aussi inutile qu’inconvenante. Je demeurai en Angleterre pendant près de deux ans jusqu’au jour où M. le comte d’Avaray m’écrivit de Mittau, le 3 mars 1807, une lettre qui me parvint le 28 avril suivant et qui m’annonçait ma nomination au poste confidentiel occupé jusqu’alors par M. le comte de Gimel[3].

M. de Gimel était chargé dans la ville d’Hambourg, d’aller percevoir et encaisser les fonds que l’Espagne y faisait payer pour aider à la subsistance de la famille royale et de distribuer aux émigrés les secours que leur accordait le Roi. J’écrivis pour demander qu’un autre que moi fût nommé à ce poste que mon extrême fatigue me donnait la crainte de ne pouvoir remplir. On insista, j’obéis. Cette soumission m’a coûté cher ! Mon séjour à Hambourg fut bien difficile et j’y séjournai pendant plusieurs mois dans une situation où la plus grande réserve ne me mit pas toujours à l’abri des dangers[4]. À l’époque où l’Espagne cessa le payement qui était fait à la famille de Madame, je fus rappelé. La crainte de nouveaux chagrins me faisait désirer de ne pas revenir ; mais Madame en quittant Mittau, chargea ma femme qui venait me voir à Hambourg de me ramener ou elle serait. Après un voyage mouvementé, je revins auprès de cette princesse qui se trouvait alors à Hartwel en compagnie de son oncle et du duc d’Angoulême.

Je trouvai beaucoup de monde dans l’entourage du Roi, en arrivant à Hartwel, en 1807. Pour pouvoir loger toute la cour dans cette demeure seigneuriale on avait dû diviser la maison en pièces de médiocre étendue et établir des baraquements dans les communs[5].

Sa Majesté y menait la vie simple d’un grand seigneur anglais. La promenade et la lecture occupaient ses heures de loisir tandis que son inépuisable charité et celle de Madame ouvraient leurs bourses et leurs cœurs aux nombreuses infortunes qu’ils soulageaient.

La présence d’un nombre considérable de grands, seigneurs établis à Hartwel donnait quelque éclat a la résidence royale. Le Roi avait auprès de lui Monseigneur, duc d’Angoulême, et Madame, Monseigneur le duc de Berri et monsieur le prince de Condé. Le comté d’Artois résidait plus habituellement à Londres. Les capitaines des gardes du Roi étaient les ducs de Gramont et d’Havré et les premiers gentilshommes, les ducs de Fleury et d’Aumont. Les visites que Sa Majesté recevait le plus habituellement étaient celles de MM. de Flamarens, de Colbert, de Belbeuf, de Villedieu, Amelot, d’Argentré, de Laurentie, de Dillon et Lamarche, évêques français qui s’étaient réfugiés à Londres après la conclusion du concordat.

Ayant repris mon poste de commissaire général que le Roi daigna me restituer, je dus seconder ses vues d’économies, pour faire face aux dépenses qui s’imposaient à sa dignité royale, alors que ses revenus s’élevaient à peine a six cent mille livres par an. Sur cette somme Sa Majesté donnait au duc d’Angoulême une pension annuelle de cent mille livres et la même somme pour ses aumônes à l’archevêque de Reims, M. de Talleyrand-Périgord, et il distribuait de larges aumônes aux officiers français ruinés par l’émigration. Le Roi me donna donc bientôt l’ordre d’établir à Hartwel, comme il l’avait fait a Mittau, une économie sévère, entendant toutefois les concilier avec sa dignité royale.

Ce règlement fut dressé sous la forme suivante :

« Le Roi, voulant établir dans sa maison un ordre et une économie sévères, entendant toute fois les concilier avec la dignité convenable, ordonne ce qui suit :

» I. — Sa Majesté veut qu’à compter du 1er avril prochain jusqu’au 1er octobre suivant, il soit payé à chaque maître pour son éclairage la somme de huit schillings par mois et celle de cinq schillings aussi par mois, pour chacun de leurs domestiques et que chacune desdites sommes soit augmentée d’un tiers depuis le 1er octobre jusqu’au 1er avril. L’éclairage continuera d’être fourni en nature, mais avec la plus stricte économie aux gens de bouche, de cave et d’office du Roi et aux valets de pied et gens d’écurie de Sa Majesté.

» II. — Chaque maître ayant reçu précédemment sous sa responsabilité deux paires de draps, deux taies d’oreillers et six Serviettes, et chaque domestique deux paires de draps et six torchons, tous lesquels objets ont été fournis de la lingerie du Roi, les maîtres et domestiques représenteront les dits objets dans l’état où ils peuvent être ou diront ce qu’ils sont devenus avant qu’il soit pourvu au remplacement de ceux qui se trouveront manquer. Les dits maîtres et domestiques continueront de payer de leurs deniers le blanchissage du linge qui leur est prêté. Les gens de bouche, d’office et de cave du Roi, et les valets de pied et gens d’écurie de Leurs Majestés recevront en argent, comme par le passé, le prix du blanchissage du linge qui leur est fourni de la lingerie et, à cet effet il leur sera payé par mois la somme de deux schillings.

» III. — La dame Guignet, ayant sous sa garde et surveillance immédiate le linge qui appartient au Roi, sauf celui dont le sieur Guignet a le maniement journalier pour le service de la personne du Roi, remettra chaque trois mois, en état énonciatif, la quantité de chaque espèce de linge de corps du Roi. Le raccommodage et entretien continueront d’en être faits par la dame Risbourg.

» IV. — Le Roi maintient l’article de son règlement du 18 septembre 1801 par lequel Sa Majesté a supprimé le payement de tous médicaments qui seraient fournis aux personnes de sa maison. Sa Majesté continue de se réserver de venir au secours de ceux dont une maladie grave exigerait beaucoup de drogues et, dans ce cas, l’état de fourniture en serait arrêté par son médecin et payé des deniers de la caisse du Roi.

» V. — Les déjeuners particuliers donnant lieu a beaucoup d’abus, le Roi défend très expressément au chef d’office de fournir ailleurs que sur la table de Sa Majesté, sauf le cas d’indisposition, tout café et boisson quelconque d’agrément.

» VI. — Le Roi défend au chef de cuisine de fournir dans les chambres tout repas quelconque, si ce n’est dans le cas d’indisposition marquée, ou de cause valable, mais, dans l’un ou l’autre cas, il ne pourra le faire sans en avoir reçu l’ordre exprès. Mêmes défenses sont faites au sommelier du Roi pour le vin confié à sa garde.

» VII. — La table d’office sera composée des sieurs et dames Mouillard, Baüer, Risbourg, Français, Gouvernot, Lefèvre, Pierre, Armand, la dame Pierre, la Marie (?) et des femmes de chambre de mesdames la comtesse de Narbonne, duchesse de Sérent, comtesse de Damas et mademoiselle de Choisy.

» VIII. — Chacun désormais payera ses ports de lettres. Celles qui sont portées chez le Comte de la Châtre continueront d’être insérées dans le paquet qu’il expédie pour le service du Roi. »

En récompense des modestes services que je pouvais lui rendre Sa Majesté m’adresse le 1er janvier 1810 le billet suivant écrit de sa main.

« J’assure à M. Hüe, voulant de plus en plus l’attacher à ma personne, une des charges de mon premier valet de chambre et, pour lui donner une marque de l’estime particulière que je lui porte, je le charge spécialement d’exercer les fonctions de trésorier général de ma maison. »

Ces bontés du Roi attirèrent sur moi le courroux du gouvernement inique qui pesait alors sur la France. Quelle ne, fut pas ma stupeur, en apprenant en 1810, qu’après avoir obtenu un arrêt qui me mettait à l’abri des lois sur l’émigration, je figurais sur la liste des émigrés depuis 1807 sous le nom de Hüe, valet de chambre de la comtesse de Lille, demeurant à Altona !

Mon frère[6], sorti des cachots où la Terreur l’avait plongé et qui était demeuré, en France, plaida ma cause de la manière qui suit :

Pétition de M. l’Abbé Hüe à son excellence M. le Ministre des relations extérieures, Jean-Baptiste Hüe, prêtre ordonnateur administrateur des hospices de Fontainebleau et administrateur général de leurs dépenses.
« Monseigneur,

» Le décret impérial du 15 novembre 1807 porte, comme maintenu sur la liste des émigrés, Hüe à la résidence d’Altona, qualification de valet de chambre de madame la comtesse de Lille. Ce décret est rendu sur le sénatus-consulte du 6 floréal an X qui accorde amnistie pour fait d’émigration à tout individu qui en est prévenu et qui n’est pas rayé définitivement et maintient ceux de cette classe qui le premier vendémiaire an XI n’auraient pas satisfait aux conditions qui y sont fixées.

» François Hüe, mon frère, a été suivant l’acte du Directoire exécutif et la Déclaration du ministre de l’Intérieur, dont je joins ici copie légale, autorisé à suivre Marie-Thérèse-Charlotte, fille du dernier Roi, à l’accompagner à Vienne et même à rester auprès d’elle, sans que l’on puisse lui opposer les lois de la République française contre l’émigration pour raison de voyage, à condition qu’il ne pourra rentrer en France sans aucune autorisation expresse du gouvernement français.

» François Hüe n’a jamais été et n’est point valet de chambre de madame la comtesse de Lille, j’ai l’honneur de supplier Votre Excellence de déclarer en faire déclarer par qui il appartiendra que François Hüe porté dans la déclaration du ministre de l’Intérieur du 27 frimaire an IV, n’est pas le Hüe porté sur la liste des émigrés maintenus au 15 novembre 1807.

» Mon espérance est d’autant plus fondée qu’elle repose sur la sagesse et la justice du gouvernement qui n’a pu vouloir maintenir sur la liste des émigrés un homme qui n’a jamais été porté sur aucune et qui n’a pu l’être puisqu’il n’est sorti de France qu’en vertu d’une permission, je pourrais presque dire d’un ordre du gouvernement.

» J’ai l’honneur…, etc.
» hüe. »

Pour toute réponse mon frère reçut communication de la note suivante :

« M. Hüe avait été effectivement autorisé à accompagner la fille de Louis XVI à Vienne. À cet égard, il serait ridicule de l’assimiler aux émigrés. Mais l’autorisation qui lui fut donnée dans le temps ne lui accordait ni la faculté de s’attacher particulièrement au comte de L’Isle, ni celle de se rendre l’agent de la correspondance et des manœuvres des Princes. »

Cette vexation, dont je m’honorais plus que je ne m’en indignais puisqu’elle était une preuve de mon attachement bien naturel à mes princes légitimes, fut bientôt suivie d’un acte également arbitraire.

En 1813, ma femme obtint de Madame la permission de rentrer pendant quelque temps sur le sol de France où l’attiraient des affections et des intérêts de famille[7]. À peine était-elle arrivée à Calais qu’elle fut appréhendée au corps, conduite en prison, détenue pendant un mois et renvoyée à Paris où elle demeura sous la plus étroite surveillance. Le 14 octobre 1813 le gouvernement de l’usurpateur m’adresse la note suivante :

« M. Hüe est informé que sa femme en débarquant en France a été arrêtée et détenue pendant un mois après lequel temps elle a obtenu de se rendre auprès de sa mère pour y rester en surveillance, sans qu’elle sache s’il lui sera permis de le rejoindre. Le gouvernement est violemment courroucé contre M. Hüe pour s’être attaché à M. le comte de Lille lorsqu’il n’avait que l’agrément d’accompagner madame d’Angoulême et de rester auprès d’elle. C’est donc à cette princesse que doivent être reprochées toutes les disgrâces et les malheurs que l’on éprouve. Si au défaut de son frère à qui Louis XVI avait légué M. Hüe, elle eut acquitté sa dette, le gouvernement ne reprocherait rien à M. Hüe contre lequel il est extrêmement irrité.

» Il faut que M. Hüe s’abstienne de tout autre chose que de donner des nouvelles à madame Hüe ! »

Malgré le courroux des séides de Bonaparte, je ne tins aucun compte des observations qui m’avaient été faites et je continuai mon service auprès du Prince jusqu’au jour béni où je pus rentrer sur le sol de mes pères en compagnie d’un Roi dont l’inaltérable confiance ne s’était jamais lassée et qui, le 25 avril 1811, mit pied à terre à Calais et, rendu à l’affection de son peuple, put remercier sur la côte française le souverain Maître des Peuples et des Rois.

  1. Madame François Hüe se plaignait amèrement des emprunts faits au manuscrit de Hüe dans le Journal de Cléry. Cléry, qui rédigea son journal à Mittau, sur le conseil de la princesse de Hohenlohe et fut aidé sans doute par le nommé Mariala, homme d’affaires du duc d’Arenberg, ignora probablement la source de ces emprunts faits par Mariala. Quoiqu’il n’y eût pas une grande sympathie entre lui et Hüe, qui fut peut-être moins récompensé de ses services que le valet de chambre de Louis XVI, Cléry conserva toujours de bons rapports avec François Hüe et lui offrit même, en 1799, un exemplaire de son Journal.
  2. L’ouvrage de Hüe, qui obtint beaucoup de succès en Angleterre et en France, était précédé de cette belle dédicace adressée à sa femme :

    « Sois à jamais le modèle des épouses, mon amie, tu liras ces récits des malheurs de la famille la plus auguste et la plus infortunée : tu les répéteras à cet enfant, gage de notre union……

    » Tu embraseras son cœur de ce fidèle amour que j’eus pour ceux que je servais. Il partagera nos sentiments, il les transmettra tant qu’une génération naîtra de nous, et si jamais il a un maître tel que fut le mien, dis lui qu’alors il se souvienne de son père. »

    Cf. à l’appendice les lettres de différents souverains que Hüe reçut à l’occasion de la publication de son ouvrage.

  3. Voici quelle était la teneur de cette lettre :

    « Monsieur,

    » N’ayant qu’un instant avant le départ du courrier, je m’empresse, conformément aux ordres du Roi, de vous faire part que l’estime et l’affection de notre auguste maître vient de vous nommer à la mission vacante par la mort de Monsieur le comte de Gimel, dont Sa Majesté vient d’être instruite. Ce fidèle et dévoué serviteur ne peut être remplacé d’une manière plus satisfaisante dans un poste important que par l’homme que Louis XVI a désigné lui-même à la confiance de son frère. Le Roi me charge spécialement de vous dire, Monsieur, qu’il vous aurait donné sur-le-champ ce témoignage de sa main s’il n’était dans l’impossibilité d’écrire par l’effet de la goutte. Le prochain courrier vous portera des instructions.

    Agréez, etc… »
  4. Hüe courut à Hambourg les dangers les plus grands. Le Sénat de la ville ne voulut pas le reconnaître comme agent d’un prince détrôné et lui enjoignit, au contraire, de se constituer prisonnier dans une forteresse, ou de sortir du territoire sans passeport et sans escorte. Ces conditions ne pouvant convenir au caractère dont il était revêtu, il prit le parti de se tenir dans la ville où sa femme l’avait rejoint. Il y passa environ neuf mois, à la faveur d’un passeport que lui délivra M. de Bourrienne, ministre de l’Empereur. Le danger de sa position le détermina enfin à quitter Hambourg, et ce ne fut qu’à l’abri d’une frêle barque et au péril de sa vie qu’il put aborder en Hollande.
  5. Louis XVIII fit peindre, sous la Restauration, les vues de ses différentes résidences en exil et les offrit à François Hüe en même temps qu’un service de Sèvres sur lequel étaient reproduits les mêmes motifs. Le château d’Hartwel, bâtiment sans style et sans grandeur, apparaît dans cette collection entouré de maisonnettes et de baroques qui donnent à la résidence l’aspect étrange d’un campement ou d’une colonie naissante.
  6. Jean-Baptiste Hüe, né en 1760 à Fontainebleau, chanoine de Saint-Denis, secrétaire général de l’ordre des Trinitaires pour la rédemption des captifs, administrateur des hospices de Fontainebleau, chapelain du roi Louis XVIII après 1815, mourut en 1835, après avoir essuyé la seconde révolution de 1830 qui le priva encore une fois de ses fonctions. Il avait été, sous la Terreur, incarcéré à Fontainebleau, dans la même prison que M. Gillet de la Renommière, capitaine des chasses royales à Fontainebleau, que ses filles et que la comtesse du Tillet, née Sigy. De cet écrou devait résulter un double hymen. Madame du Tillet fit, en 1805, le mariage d’un de ses jeunes amis, M. de Mazenod, avec la fille de M. de la Renommière. Et en 1828. l’abbé Hüe bénit l’union de leur fille, Louise de Mazenod avec son neveu André Hüe.

    L’abbé Hüe contait souvent, qu’entrées en prison au moment de leur croissance, mesdemoiselles de la Renommière avaient vainement demandé au comité révolutionnaire de leur octroyer des vêtements. La réponse ayant été négative, elles sortirent de prison, après le 9 thermidor, vêtues de robes qui leur tombaient aux genoux.

    L’abbé Hüe était fort lie avec l’abbé Edgeworth de Firmont et avec l’abbé Liautard, fondateur du collège Stanislas, parrain d’une fille d’André Hüe, qui se souvient avoir vu, dans son enfance cet « aimable vieillard, doué d’une rare corpulence, d’un regard malin et d’un aspect affable et bienveillant ». « Il a formé beaucoup d’hommes de bien. Ses pensées étaient profondes. J’ai vu peu de prêtres dont la piété fût plus aimable et la charité plus grande », écrivait, en 1887, la baronne André Hüe au sujet de M. Liautard.

  7. Pendant son séjour à Hartwel où elle occupait les fonctions de dame lectrice du Cabinet, madame Hüe, que la duchesse d’Angoulême honorait d’une dilection toute particulière, reçût d’elle un précieux cadeau : C’est le « Journal des événements qui se sont passés pendant la captivité du Temple ». Dans ce curieux manuscrit écrit en entier de la main du comte de Provence, sous la dictée de sa nièce, il ne faut chercher aucune trace visible d’émotion. Le style en est sec, net et précis. Nature digne et fière, madame Royale répugnait aux manifestations de « sensibilité » qui furent, si l’on peut ainsi parler, le snobisme de son époque.