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ma mère ; mon père s’occupa de moi, m’entoura et mit sa passion à m’instruire. Je savais déjà bien le latin et le grec ; avec lui j’appris vite l’hébreu, le sanscrit, et enfin le persan et l’arabe. Vers vingt ans j’étais si chauffé qu’il osait m’associer à ses travaux. Il s’amusait à me prétendre son égal et voulut m’en donner la preuve. L’''Essai sur les cultes Phrygiens'', qui parut sous son nom, fut mon œuvre; à peine lavait-il revu ; rien jamais ne lui valut tant déloges. Il fut ravi. Pour moi, j’étais confus devoir cette supercherie réussir. Mais désormais je fus lancé. Les savants les plus érudits me traitaient comme leur collègue. Je souris maintenant de tous les honneurs qu’on me fit... Ainsi j’atteignis vingt-cinq ans, n’ayant presque rien regardé que des ruines ou des livres, et ne connaissant rien de la vie ; j’usais dans le travail une ferveur singulière. J’aimais quelques amis (vous en fûtes), mais plutôt l’amitié qu’eux-mêmes mon dévouement pour eux était grand, mais c’était besoin de noblesse ; je chérissais en
ma mère ; mon père s’occupa de moi, m’entoura et mit sa passion à m’instruire. Je savais déjà bien le latin et le grec ; avec lui j’appris vite l’hébreu, le sanscrit, et enfin le persan et l’arabe. Vers vingt ans j’étais si chauffé qu’il osait m’associer à ses travaux. Il s’amusait à me prétendre son égal et voulut m’en donner la preuve. L’''Essai sur les cultes Phrygiens'', qui parut sous son nom, fut mon œuvre ; à peine l’avait-il revu ; rien jamais ne lui valut tant d’éloges. Il fut ravi. Pour moi, j’étais confus de voir cette supercherie réussir. Mais désormais je fus lancé. Les savants les plus érudits me traitaient comme leur collègue. Je souris maintenant de tous les honneurs qu’on me fit… Ainsi j’atteignis vingt-cinq ans, n’ayant presque rien regardé que des ruines ou des livres, et ne connaissant rien de la vie ; j’usais dans le travail une ferveur singulière. J’aimais quelques amis (vous en fûtes), mais plutôt l’amitié qu’eux-mêmes ; mon dévouement pour eux était grand, mais c’était besoin de noblesse ; je chérissais en

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L'IMMORALISTE

ma mère ; mon père s’occupa de moi, m’entoura et mit sa passion à m’instruire. Je savais déjà bien le latin et le grec ; avec lui j’appris vite l’hébreu, le sanscrit, et enfin le persan et l’arabe. Vers vingt ans j’étais si chauffé qu’il osait m’associer à ses travaux. Il s’amusait à me prétendre son égal et voulut m’en donner la preuve. L’Essai sur les cultes Phrygiens, qui parut sous son nom, fut mon œuvre ; à peine l’avait-il revu ; rien jamais ne lui valut tant d’éloges. Il fut ravi. Pour moi, j’étais confus de voir cette supercherie réussir. Mais désormais je fus lancé. Les savants les plus érudits me traitaient comme leur collègue. Je souris maintenant de tous les honneurs qu’on me fit… Ainsi j’atteignis vingt-cinq ans, n’ayant presque rien regardé que des ruines ou des livres, et ne connaissant rien de la vie ; j’usais dans le travail une ferveur singulière. J’aimais quelques amis (vous en fûtes), mais plutôt l’amitié qu’eux-mêmes ; mon dévouement pour eux était grand, mais c’était besoin de noblesse ; je chérissais en