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— C’est mon oncle, murmura Vital en respirant, vous vous étiez donc enfermée ? Il ne manquait plus que ça !...

Angélique avait subitement changé de contenance. Elle n’attendait pas M. de Saint-André avant midi, et ce retour imprévu la mettait en désarroi. Néanmoins elle se composa rapidement une physionomie de circonstance, posa un doigt sur sa bouche en lançant un regard significatif à Vital, puis, rasant les murs, à pas de velours, elle se glissa jusqu’au bout de la salle et tourna la malencontreuse clef. La porte s'ouvrit comme poussée par un vent violent, et Jean de Saint-André entra, furibond.

Il avait plus de cinquante-cinq ans, la tête haute, le corps droit, le ventre légèrement obèse. Il portait beau, comme on dit vulgairement, et avait dû, trente ans auparavant, être un de ces hommes pour qui les femmes se retournent involontairement, et sous le regard desquels elles rougissent sans savoir pourquoi. Sa poitrine bombée jouait à l’aise dans sa veste de chasse déboutonnée ; sa tête renversée en arrière, était couverte d’une forêt de cheveux grisonnants ; ses courtes moustaches taillées en brosse lui donnaient un faux air militaire ; des fibrilles rouges, marbrant les ailes d’un nez bourbonien ainsi que le tour de deux yeux allongés, d’un bleu froid, aux sourcils minces, annonçaient un viveur qui a abusé de tous les plaisirs. Le front fuyant, le regard effronté, les lèvres serrées et méchantes, ne prévenaient pas en faveur de la franchise et de la générosité du personnage.

A peine entré, Jean de Saint-André, apercevant son neveu et remarquant la mine déconfite d’Angélique, partit d’un éclat de rire trop bruyant pour ne pas être forcé.

— Comment, dit-il à Vital, c’est toi que je surprends en conversation criminelle avec Angélique ?

— Oh ! monsieur, par exemple ! protesta la gouvernante d’un ton pudiquement indigné.

— Dame, je ne suppose pas que vous vous soyez enfermés pour dire votre chapelet !

— Je ne sais comment cela s’est fait, répliqua perfidement Angélique... En entrant, M. Vital aura probablement tourné la clef sans s’en apercevoir.

— Moi ? s’écria Vital ébaubi, allons donc !

— Ne te démène pas tant, reprit l’oncle en ricanant, le cas n’est pas pendable... Et toi, dinde, au lieu de prendre des airs effarouchés, va à ta cuisine, et soigne mon déjeuner... Je crève de faim !

Angélique, obéissant à cette injonction, s’était esquivée sans bruit par une porte latérale ; mais une fois dehors, elle appliqua prudemment son oreille contre la cloison, car elle était peu rassurée, au fond, sur la tournure qu’allait prendre l’explication entre l’oncle et le neveu.

Jean de Saint-André avait le verbe haut et sa voix perçait l'épaisseur de la porte :

— Ah ! mon gaillard, disait-il, tu chasses sur mes terres ?... Un autre pourrait prendre la chose de travers, mais je suis bon diable. Il faut que les enfants s’amusent !

— Je vous affirme, mon oncle, que vous vous trompez ! protestait de nouveau Vital.

— Va donc, reprenait l’autre énergiquement, je n’ai pas la berlue !... Mais, je te le répète, je suis bon prince... Entre camarades, il ne faut pas être susceptible ; à charge de revanche, si l’occasion se présente... Si tu as du goût pour Angélique, ne fais pas la petite bouche, je te donne carte blanche.

— Merci, répondit sèchement Vital, je n’aime pas les vieux restes !

Cette réplique arriva distinctement à Angélique à travers les fentes de la porte, et, dans l’ombre, ses joues se colorèrent, ses yeux lancèrent des étincelles. Haineuse et le cœur en rage, elle s’enfuit dans sa cuisine, tandis que Vital prenait son chapeau et tournait les talons.

— Eh bien ! c’est tout ce que tu avais à me dire ? s’exclama Jean de Saint-André, étonné du peu de succès de ses ouvertures.

Vital, se rappelant la requête qu’il était était venu adresser à son oncle, s’arrêta d’un air perplexe, puis songeant sans doute qu’après cette scène désagréable, le moment de parler n’était pas opportun, il continua de descendre le perron, traversa la cour et se dirigea vers le pavillon qu’il occupait avec sa sœur.

L’habitation, composée d’un rez-de-chaussée et d’un premier étage, enclavés dans la cour du parc, n’avait pas grande apparence. Au temps de la prospérité des Saint-André, ce pavillon servait à loger le régisseur. Maintenant il était occupé par les représentants de la branche cadette : Vital et sa sœur Charmette. Le vieux Saint-André avait eu deux fils : Jean, l’aîné, et Vivien, qu’on avait dès le principe destiné à la prêtrise, mais qui, n’ayant pas la vocation, s’était engagé à vingt ans, contre le gré de sa famille, et, à peine lieutenant, s’était marié en Afrique. Il y était mort ainsi que sa femme, laissant deux orphelins que le grand-père Saint-André avait élevés à Grimonbois. Toutefois, ce dernier, qui avait de tout temps tenu à faire un aîné, en dépit du nouveau Code, et dont le mariage de Vivien avait déçu les calculs, s'était arrangé en mourant pour que sa fortune restât presque intégralement entre les mains de Jean. Par son testament, il n'avait laissé aux enfants de Vivien qu’une nue propriété, réservant l’usufruit de tous ses biens au profit