« Page:Tolstoï - Qu’est-ce que l’art ?.djvu/29 » : différence entre les versions

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au monde un spectacle plus répugnant. J’ai vu un ouvrier en injurier un autre parce qu’il pliait sous le poids d’un fardeau, ou, à la rentrée des foins, le chef du village gronder un paysan pour une maladresse ; et j’ai vu les hommes ainsi injuriés se soumettre en silence ; mais quelque répugnance que j’aie eue à assister à ces scènes, ma répugnance était atténuée par le sentiment qu’il s’agissait là de travaux importants et nécessaires, où le moindre
au monde un spectacle plus répugnant. J’ai vu un ouvrier en injurier un autre parce qu’il pliait sous le poids d’un fardeau, ou, à la rentrée des foins, le chef du village gronder un paysan pour une maladresse ; et j’ai vu les hommes ainsi injuriés se soumettre en silence ; mais quelque répugnance que j’aie eue à assister à ces scènes, ma répugnance était atténuée par le sentiment qu’il s’agissait là de travaux importants et nécessaires, où le moindre manquement pouvait amener des suites fâcheuses.
manquement pouvait amener des suites fâcheuses.


Mais ici, dans ce théâtre, que faisait-on ? Pourquoi travaillait-on, et pour qui ? Je voyais bien que le chef d’orchestre était à bout de ses nerfs, comme l’ouvrier que j’avais rencontré derrière la scène : mais au profit de qui s’était-il énervé ? L’opéra qu’il faisait répéter était, comme je l’ai dit, des plus ordinaires ; j’ajouterai cependant qu’il était plus profondément absurde que tout ce qu’on peut rêver. Un roi indien désirait se marier ; on lui amenait une fiancée ; il se déguisait en ménestrel ; la fiancée s’éprenait du ménestrel, en était désespérée, mais finissait par découvrir que le ménestrel était le roi son fiancé ; et chacun manifestait une joie délirante. Jamais il n’y a eu, jamais il n’y aura des Indiens de cette espèce.
Mais ici, dans ce théâtre, que faisait-on ? Pourquoi travaillait-on, et pour qui ? Je voyais bien que le chef d’orchestre était à bout de ses nerfs, comme l’ouvrier que j’avais rencontré derrière la scène : mais au profit de qui s’était-il énervé ? L’opéra qu’il faisait répéter était, comme je l’ai dit, des plus ordinaires ; j’ajouterai cependant qu’il était plus profondément absurde que tout ce qu’on peut rêver. Un roi indien désirait se marier ; on lui amenait une fiancée ; il se déguisait en ménestrel ; la fiancée s’éprenait du ménestrel, en était désespérée, mais finissait par découvrir que le ménestrel était le roi son fiancé ; et chacun manifestait une joie délirante. Jamais il n’y a eu, jamais il n’y aura des Indiens de cette espèce.

Dernière version du 13 février 2019 à 09:50

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au monde un spectacle plus répugnant. J’ai vu un ouvrier en injurier un autre parce qu’il pliait sous le poids d’un fardeau, ou, à la rentrée des foins, le chef du village gronder un paysan pour une maladresse ; et j’ai vu les hommes ainsi injuriés se soumettre en silence ; mais quelque répugnance que j’aie eue à assister à ces scènes, ma répugnance était atténuée par le sentiment qu’il s’agissait là de travaux importants et nécessaires, où le moindre manquement pouvait amener des suites fâcheuses.

Mais ici, dans ce théâtre, que faisait-on ? Pourquoi travaillait-on, et pour qui ? Je voyais bien que le chef d’orchestre était à bout de ses nerfs, comme l’ouvrier que j’avais rencontré derrière la scène : mais au profit de qui s’était-il énervé ? L’opéra qu’il faisait répéter était, comme je l’ai dit, des plus ordinaires ; j’ajouterai cependant qu’il était plus profondément absurde que tout ce qu’on peut rêver. Un roi indien désirait se marier ; on lui amenait une fiancée ; il se déguisait en ménestrel ; la fiancée s’éprenait du ménestrel, en était désespérée, mais finissait par découvrir que le ménestrel était le roi son fiancé ; et chacun manifestait une joie délirante. Jamais il n’y a eu, jamais il n’y aura des Indiens de cette espèce.