Stendhal - De l’amour, I, 1927, éd. Martineau/Préface 1

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Texte établi par Henri MartineauLe Divan (Ip. 1-2).

PRÉFACE
DE LA PREMIÈRE ÉDITION[1]

C’est en vain qu’un auteur sollicite l’indulgence du public, le fait de la publication est là pour démentir cette modestie prétendue. Il a meilleure grâce de s’en remettre à la justice, à la patience et à l’impartialité de ses lecteurs. Mais c’est surtout à cette dernière disposition que l’auteur du présent ouvrage en appelle. Ayant souvent ouï parler en France d’écrits, d’opinions, de sentiments vraiment français, il a raison de craindre que présentant les faits vraiment comme ils sont, et ne montrant d’estime que pour les sentiments et les opinions vrais partout, il n’ait armé contre lui cette passion exclusive que nous voyons ériger en vertu depuis quelque temps, quoique son caractère soit fort équivoque. En effet, que deviendraient l’histoire, la morale, la science même, et les lettres, s’il les fallait vraiment allemandes, vraiment russes ou italiennes, vraiment espagnoles ou anglaises, aussitôt qu’on aurait franchi le Rhin, les montagnes ou la Manche ? Que penser de cette justice ou de cette vérité géographique ? Lorsque nous voyons des expressions telles que celles de dévouement vraiment espagnol, vertus vraiment anglaises employées sérieusement dans les discours des patriotes étrangers, il serait bien temps de se défier du sentiment qui en dicte autre part de toutes semblables. À Constantinople et chez tous les peuples barbares, cette partialité aveugle et exclusive pour son pays est une fureur qui veut du sang ; chez les peuples lettrés, c’est une vanité souffrante, malheureuse, inquiète, aux abois dès qu’on la blesse le moins du monde.

Extrait de la préface du Voyage en Suisse, de M. Simond, pages 7 et 8.

  1. Cette préface figure seule dans la première édition de l’Amour, Mongie 1822.
    N. D. L. E.