Stendhal - Vies de Haydn, de Mozart et de Métastase, 1928, éd. Martineau/Lettre XVII

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Texte établi par Henri MartineauLe Divan (p. 174-175).

LETTRE XVII

Salzbourg, le 30 mai 1809.

Mon cher Louis,


Il me restait à vous parler de la Création. C’est le plus grand ouvrage de notre compositeur ; c’est le poëme épique de la musique. Vous saurez que j’ai fait confidence des épîtres que je vous écris à une de mes amies de Vienne, réfugiée dans ces montagnes, ainsi que plusieurs des premières familles de cette malheureuse ville. Le secrétaire de cette amie transcrit mes lettres, et m’évite ainsi le plus grand des ennuis, selon moi, qui est de revenir deux fois sur les mêmes idées. Je lui disais que je serais obligé de sauter à pieds joints la Création, que je n’ai entendue qu’une ou deux fois : « Eh bien ! m’a-t-elle répondu, c’est moi qui ferai cette lettre à votre ami de Paris. » Comme je lui faisais quelques petites objections de politesse : « Me croyez-vous donc incapable d’écrire à un aimable Parisien qui vous aime, vous et la musique ? Allez, monsieur, vous corrigerez tout au plus dans ma lettre quelques fautes de langue ; mais tâchez de ne pas trop gâter mes idées, voilà tout ce que je vous demande. »

Comme vous voyez, ce préambule est une trahison. Ne manquez pas de me répondre à l’occasion de la lettre sur la Création, et surtout critiquez impitoyablement : dites-moi que mon style est efféminé, que je me perds dans de petites idées, que je vois des effets qui n’ont jamais existé que dans ma tête : surtout répondez promptement, pour éviter toute idée d’accord entre nous. Vos critiques nous vaudront ici des accès de vivacité charmants.