Stendhal - Vies de Haydn, de Mozart et de Métastase, 1928, éd. Martineau/Lettre XX

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Texte établi par Henri MartineauLe Divan (p. 220-235).

LETTRE XX

Halein, le 5 juin 1809.

Mon cher Louis,


Deux ans après la Création, Haydn, animé par le succès et encouragé par son ami Van Swieten, composa un nouvel oratorio, les Quatre Saisons. Le baron descriptif en avait tiré le texte de Thompson. Il y a moins de sentiment que dans la Création ; mais le sujet admettait la gaieté, la joie des vendanges, l’amour profane ; et les Quatre Saisons seraient la plus belle chose du monde, dans le genre de la musique descriptive, si la Création n’existait pas.

La musique y est plus savante et moins sublime que dans la Création. Elle surpasse cependant sa sœur aînée en un point : ce sont les quatuors. Du reste, pourquoi blâmer cette musique ? Elle n’est pas italienne, dit-on : à la bonne heure. J’avoue que la symphonie convient aux organes difficiles à émouvoir des Allemands ; mais nous en profitons. C’est ainsi que, dans les arts, il n’est pas mal que chaque pays ait une physionomie particulière. Les jouissances du monde entier s’en augmentent. Nous jouissons des chants napolitains de Paisiello et des symphonies allemandes de Haydn. Quand verrons-nous Talma, après avoir joué un jour Andromaque, nous montrer le lendemain le malheureux Macbeth entraîné au crime par l’ambition de sa femme ? Il faut savoir que les Macbeth, Hamlet, etc., de M. Ducis, sont de fort bonnes pièces, sans doute, mais ressemblent autant aux pièces du poëte anglais qu’à celles de Lope de Vega. Il me semble que nous en sommes, pour les pièces romantiques, précisément au même point où nous nous trouvions il y a cinquante ans pour la musique italienne. On criera beaucoup ; il y aura des pamphlets, des satires, peut-être même des coups de bâton de distribués dans quelque moment où le public, dans une profonde tranquillité politique, sera juge compétent en littérature. Mais enfin ce public, excédé des plats élèves du grand Racine, voudra voir Hamlet et Othello. La comparaison ne cloche qu’en un seul point : c’est que ces pièces ne tueront point Phèdre et Cinna, et que Molière restera sans rival, par la raison simple qu’il est unique.

Le texte des Quatre Saisons est un pauvre texte. Quant à la musique, figurez-vous une galerie de tableaux différents par le genre, le sujet et le coloris. Cette galerie est divisée en quatre salles ; au milieu de chacune d’elles paraît un grand tableau principal.

Les sujets de ces quatre tableaux sont pour le premier : la neige, les aquilons, le froid et ses horreurs.

Pendant l’été, la tempête ; dans l’automne, la chasse ; et pour l’hiver, la soirée des villageois.

On voit d’abord qu’un habitant d’un climat plus fortuné n’aurait pas mis la neige et les horreurs de l’hiver dans la peinture du printemps. Suivant moi, c’est un assez triste commencement d’ouvrage. Suivant les amateurs du genre, ces sons rudes préparent merveilleusement au plaisir qu’on aura par la suite.

Avec vous, mon ami, je ne suivrai point pied à pied les Quatre Saisons.

Haydn, dans la peinture du soleil d’été, a été obligé de lutter contre le premier lever du soleil dans la Création : et cet art, qu’on veut faire descriptif, est si vague, si antidécrivant, que, malgré les soins incroyables que s’est donnés le premier symphoniste du monde, il est tombé un peu dans la répétition. L’abattement, l’anéantissement de tout ce qui respire, et même des plantes, pendant la grande chaleur d’un jour d’été, est parfaitement bien rendu. Ce tableau, très vrai, finit par un silence universel. Le coup de tonnerre qui commence la tempête vient rompre ce silence. Ici Haydn est dans son fort : tout est feu, cris, rumeur, épouvante. C’est un tableau de Michel-Ange. Cependant la tempête finit, les nuages se dissipent, le soleil reparaît, les gouttes d’eau dont sont chargées les feuilles des arbres brillent dans la forêt, une soirée charmante succède à l’orage, la nuit vient, tout est silencieux ; de temps en temps seulement le gémissement d’un oiseau nocturne et le son de la cloche éloignée,

Che pare il giorno pianger che si muore,

viennent rompre le silence universel.

Ici l’imitation physique est portée aussi loin qu’elle peut aller. Mais cette peinture tranquille fait une fin peu frappante pour l’été, après le morceau terrible de la tempête[1].

La chasse du cerf, qui ouvre l’automne, est un sujet heureux pour la musique. Tout le monde se rappelle l’ouverture du Jeune Henri.

Les vendanges, où des buveurs chantent d’un côté, pendant que la danse occupe les jeunes gens du village, forment un tableau agréable. Le chant des buveurs est mélangé avec l’air d’une danse nationale de l’Autriche, arrangée en fugue. L’effet de ce morceau plein de verve est très piquant, surtout dans le pays. On le joue souvent en Hongrie pendant les vendanges. C’est la seule fois, je crois, que Haydn, en imitant directement la nature, se soit fait un moyen de succès des souvenirs de ses compatriotes.

Les critiques reprochèrent aux Quatre Saisons d’avoir encore moins de chants que la Création, et dirent que c’était une pièce de musique instrumentale, avec accompagnement de voix. L’auteur vieillissait. On lui objecte aussi, assez ridiculement suivant moi, d’avoir mêlé un peu de gaieté à un sujet sérieux. Et pourquoi sérieux ? Parce que la pièce de musique s’appelle oratorio. Le titre peut être mal choisi ; mais la symphonie qui n’émeut pas bien profondément n’est-elle pas trop heureuse d’être gaie quelquefois ? Les frileux lui reprochent, avec plus de raison, d’avoir mis deux hivers dans une seule année.

La meilleure critique qu’on ait faite de cet ouvrage est celle que Haydn m’adressa lorsque j’allai lui rendre compte de la représentation qu’on venait d’en donner au palais de Schwartzenberg. Les applaudissements avaient été unanimes. Je me hâtai de sortir pour aller faire mon compliment à l’auteur. Je commençais à peine à ouvrir la bouche, que le loyal compositeur m’arrêta :

« J’ai du plaisir que ma musique ait plu au public mais de vous je ne reçois pas de compliment sur cet ouvrage. Je suis convaincu que vous sentez vous-même que ce n’est pas là la Création ; et la raison, la voici. Dans la Création, les personnages sont des anges ; ici, ce sont des paysans. » Cette objection est excellente, appliquée à un homme dont le talent était plutôt le sublime que le tendre.

Les paroles des Quatre Saisons, assez communes en elles-mêmes, furent platement traduites en plusieurs langues. On mit la musique en quatuors et quintettes, et elle servit plus que celle de la Création aux petits concerts d’amateurs. Le peu de mélodie qui s’y trouve étant davantage dans l’orchestre, en ôtant les voix, le chant reste presque en entier. Au reste, je suis probablement mauvais juge des Quatre Saisons. Je n’ai entendu cet oratorio qu’une fois, et encore étais-je fort distrait.

Je disputais avec un Vénitien assis à côté de moi, sur la quantité de mélodie existant dans la musique vers le milieu du dix-huitième siècle. Je lui disais qu’il n’y avait guère de chant dans ce temps-là, et que la musique n’était sans doute alors qu’un bruit agréable.

À ces mots, mon homme bondit sur sa chaise, et se mit à me conter les aventures d’un de ses compatriotes, le chanteur Alessandro Stradella, qui vivait vers 1650.

Il fréquentait les maisons les plus distinguées de Venise, et les dames de la première noblesse se disputaient l’avantage de prendre de ses leçons. Ce fut ainsi qu’il fit la connaissance d’Hortensia, dame romaine qui était aimée d’un noble vénitien. Stradella en devint amoureux, et n’eut pas de peine à supplanter son rival. Il enleva Hortensia, et la conduisit à Rome, où ils se firent passer pour mariés. Le Vénitien, furieux, mit sur leurs traces deux assassins, qui, après les avoir cherché inutilement dans plusieurs villes d’Italie, découvrirent enfin le lieu de leur retraite, et arrivèrent à Rome un soir que Stradella donnait un oratorio dans la belle église de Saint-Jean de Latran. Les assassins résolurent d’exécuter leur commission lorsqu’on sortirait de l’église, et entrèrent pour veiller sur une de leurs victimes, et chercher si Hortensia ne serait point parmi les spectateurs.

À peine eurent-ils entendu pendant quelques instants la voix délicieuse de Stradella, qu’ils se sentirent attendris. Ils eurent des remords, ils répandirent des larmes, et enfin ne songèrent plus qu’à sauver les amants dont ils avaient juré la perte. Ils attendent Stradella à la porte de l’église ; ils le voient sortir avec Hortensia. Ils s’approchent, le remercient du plaisir qu’il vient de leur donner, et lui avouent que c’est à l’impression que sa voix a faite sur eux qu’il est redevable de son salut. Ils lui expliquent ensuite l’affreux motif de leur voyage, et lui conseillent de quitter Rome sur-le-champ, pour qu’ils puissent faire croire au Vénitien qu’ils sont arrivés trop tard.

Stradella et Hortensia se hâtèrent de profiter du conseil, et se rendirent à Turin. Le noble Vénitien, de son côté, ayant reçu le rapport de ses agents, n’en devint que plus furieux. Il alla à Rome se concerter avec le père même d’Hortensia. Il fit entendre à ce vieillard qu’il ne pouvait laver son déshonneur que dans le sang de sa fille et de son ravisseur. Ce père dénaturé prit avec lui deux assassins, et partit pour Turin, après s’être fait donner des lettres de recommandation pour le marquis de Villars, qui était alors ambassadeur de France à cette cour.

Cependant la duchesse régente de Savoie, instruite de l’aventure des deux amants à Rome, voulut les sauver. Elle fit entrer Hortensia dans un couvent, et donna à Stradella le titre de son premier musicien, ainsi qu’un logement dans son palais. Ces précautions parurent suffisantes, et les amants jouissaient depuis quelques mois d’une parfaite tranquillité, quand, un soir, Stradella, qui prenait l’air sur le rempart de la ville, fut assailli par trois hommes qui le laissèrent pour mort avec un coup de poignard dans la poitrine. C’était le père d’Hortensia et ses deux compagnons, qui se réfugièrent aussitôt au palais de l’ambassadeur de France. M. de Villars, ne voulant ni les protéger après un crime qui avait fait autant de bruit, ni les livrer à la justice après leur avoir donné un asile, les fit évader quelques jours après.

Cependant, contre toute apparence, Stradella guérit de sa blessure, et le Vénitien vit échouer ses projets pour la seconde fois, mais sans abandonner sa vengeance. Seulement, rendu prudent par le manque de succès, il voulut prendre des mesures plus assurées, et se contenta pour le moment de faire épier Hortensia et son amant. Un an se passa ainsi. La duchesse, de plus en plus touchée de leur sort, voulut légitimer leur union et les marier. Après la cérémonie, Hortensia, ennuyée du séjour du couvent, eut envie de voir le port de Gênes. Stradella l’y conduisit, et le lendemain de leur arrivée ils furent trouvés poignardés dans leur lit.

On fixe cette triste aventure à l’an 1670. Stradella était poëte, compositeur, et le premier chanteur de son siècle.

Je répliquai au compatriote de Stradella que la seule douceur des sons, quand ils seraient privés de toute mélodie, donne un plaisir bien réel, même aux âmes les plus sauvages. Lorsqu’en 1637 Murad IV, après avoir pris Bagdad d’assaut, ordonna qu’on fît main basse sur tous ses habitants, un seul Persan osa élever la voix : il s’écria qu’on le conduisît à l’empereur, qu’il avait des choses importantes à lui communiquer avant de mourir.

Arrivé aux pieds de Murad, Scakculi (tel était le nom du Persan) s’écria, la face contre terre : « Seigneur, ne fais pas périr avec moi un art qui vaut tout ton empire ; entends-moi chanter, et puis tu ordonneras ma mort. » Murad ayant fait un signe de consentement, Scakculi sortit de dessous sa robe une petite harpe, et improvisa une espèce de romance sur la ruine de Bagdad. Le farouche Murad, malgré la honte qu’éprouve un Turc à laisser paraître la moindre émotion, répandit des larmes et fit cesser le massacre. Scakculi le suivit à Constantinople, comblé de richesses ; il y introduisit la musique persane, dans laquelle aucun Européen n’a jamais pu distinguer un chant quelconque.

Je crois voir dans Haydn le Tintoret de la musique. Il unit, comme le peintre vénitien, à l’énergie de Michel-Ange, le feu, l’originalité, l’abondance des inventions. Tout cela est revêtu d’un coloris aimable, qui donne de l’agrément aux moindres parties. Il me semble cependant que le Tintoret d’Eisenstadt était plus profond dans son art que celui de Venise ; surtout il savait travailler lentement.

La manie des comparaisons s’empare de moi. Je vous confie mon recueil, à condition cependant que vous n’en rirez pas trop. Je trouve donc que

Pergolèse et Cimarosa 
sont les Raphaël de la
musique.
Paisiello est 
Le Guide.
Durante, 
Léonard de Vinci.
Hasse, 
Rubens.
Hændel, 
Michel-Ange.
Galuppi, 
Le Bassan.
Jomelli, 
Louis Carrache.
Gluck, 
Le Caravage.
Piccini, 
Le Titien.
Sacchini, 
Le Corrège.
Vinci, 
Fra Bartolomeo.
Anfossi, 
L'Albane.
Zingarelli, 
Le Guerchin.
Mayer, 
Carle Maratte.
Mozart, 
Le Dominiquin.

La ressemblance la moins imparfaite est celle de Paisiello et du Guide. Quant à Mozart, il faudrait que le Dominiquin eût eu un caractère encore plus mélancolique pour lui ressembler entièrement.

Le peintre a eu l’expression, mais elle s’est à peu près bornée à celle de l’innocence, de la timidité et du respect[2].

Mozart a peint la tendresse la plus passionnée et la plus délicate dans les airs :

Vedrò mentr’io sospiro,

Du comte Almaviva,

Non so più cosa son, cosa facio,

De Chérubin,

Dove sono i bei momenti,

De la comtesse,

Andiam, mio bene,

De Don Juan,

la grâce la plus pure dans

La mia Doralice capace non è,

De Cosi fan tutte,

et dans

Giovanni, che fate all’ amore,

De Don Juan.

La beauté et l’air de bonheur des figures de Raphaël se reconnaissent bien dans les mélodies de Cimarosa.

On sent que les figures qu’il a peintes dans l’infortune sont ordinairement heureuses. Voyez Carolina, dans le Mariage secret. Celles de Mozart, au contraire, ressemblent aux vierges d’Ossian, de beaux cheveux blonds, des yeux bleus, souvent remplis de larmes. Elles ne sont peut-être pas aussi belles que ces brillantes Italiennes ; mais elles sont plus touchantes.

Entendez le rôle de la comtesse, chanté dans les Noces de Figaro par madame Barilli ; supposez-le joué par une actrice passionnée, par madame Strina-Sacchi, belle comme mademoiselle Mars, vous direz avec Shakspeare.

Like patience sitting on her tomb.

Les jours de bonheur, vous préférerez Cimarosa ; dans les moments de tristesse, Mozart aura l’avantage.

J’aurais pu allonger ma liste en y plaçant les peintres maniéristes, et mettant à côté de leurs noms ceux de Grétry et de presque tous les jeunes compositeurs allemands et italiens. Mais ces idées sont peut-être tellement particulières à celui qui les écrit, qu’elles vous sembleront bizarres.

Le baron de Van Swieten voulait faire faire à Haydn un troisième oratorio descriptif, et il y aurait réussi ; mais la mort l’arrêta. Je m’arrête aussi, après avoir parcouru avec vous le recueil de toutes les compositions de mon héros.

Qui m’eût dit, en vous écrivant pour la première fois sur Haydn, il y a quinze mois, que mon bavardage se prolongerait autant ?

Vous avez eu la bonté de ne pas trop vous ennuyer de ces lettres, et elles m’ont procuré deux ou trois fois par semaine une distraction agréable. Conservez-les. Si jamais je vais à Paris, je les relirai peut-être avec plaisir.

Adieu.
  1. Je prie qu’on me permette une répétition. J’ai envie de citer une lettre que j’envoyais en original à mon ami, en même temps que celle-ci. Elle fut écrite en français par une aimable chanoinesse de Brunswick * que nous pleurons aujourd’hui.
    Elle finissait ainsi une lettre sur Werther, qui, comme on sait, est né à Brunswick, et était le fils de M. l’abbé de Jérusalem. Elle décrivait exactement, à ma demande, l’espèce de goût que Werther avait pour la musique.
    « ..... La musique étant l’art qui peint le mieux les nuances et dont les descriptions suivent ainsi le plus loin les mouvements de l’âme, je crois distinguer la sensibilité à la Mozart de la sensibilité à la Cimarosa.
    « Les figures comme celle de Whilhelmine de M*** et de l’ange du tableau du Parmesan que j’ai dans ma chambre ** me semblent annoncer de ces êtres dont la force est surmontée par la sensibilité, qui, dans leurs moments d’émotion, deviennent l’émotion elle-même. Il n’y a plus de place pour autre chose ; le courage, le soin de la réputation, tout est, non pas surmonté, mais banni. Tel serait, je crois, le joli ange dont je vous parle chantant aux pieds d’une marraine adorée :

    Voi che sapete.

    « Les peuples du Nord me semblent être les sujets de cette musique : Which is their queen.
    « Quand vous connaîtrez mieux l’Allemagne, et que vous aurez rencontré quelques-unes des malheureuses filles qui, chaque année, y périssent d’amour, ne riez pas, monsieur le Français, vous verrez le genre de pouvoir que notre musique exerce sur nous. Voyez, le dimanche soir, à Hantzgarten, et dans ces jardins anglais où toute la jeunesse des villes du Nord va se promener le soir des jours de fête ; voyez ces couples d’amants, prenant du café à côté de leurs parents, tandis que des troupes de musiciens bohêmes jouent avec leurs cors leurs valses et leur musique lente et si touchante ; voyez leurs yeux se fixer ; voyez-les se serrer la main par-dessus la petite table, et sous les yeux de la mère, car ils sont ce qu’on appelle ici promis ; eh bien ! une conscription enlève l’amant, sa promise n’est pas au désespoir, mais elle est triste ; elle lit des romans toute la nuit ; peu à peu elle est attaquée de la poitrine, et elle meurt sans que les meilleurs médecins aient trouvé un remède à ce mal-là. Mais rien ne paraît à l’extérieur. Vous l’aviez vue quinze jours auparavant chez sa mère, vous offrant du thé ; vous ne l’aviez trouvée que triste ; vous demandez de ses nouvelles : « La pauvre une telle ! vous répond-on ; elle est morte de chagrin. » Ici une telle réponse n’a rien d’extraordinaire. « Et le promis, où est-il ? — À l’armée, mais on n’a plus de ses nouvelles. »
    Voilà les cœurs que Hændel, Mozart, Boccherini, Benda, savent toucher.
    Ces femmes brunes et pleines d’énergie que produit le Midi de l’Europe doivent aimer la musique de Cimarosa. Elles se poignarderaient pour un amant vivant, mais ne se laisseraient pas mourir de langueur pour un infidèle.
    Les airs de femmes de Cimarosa et de tous les Napolitains annoncent de la force même dans les moments les plus passionnés. Dans les Nemici generosi, qu’on donna à Dresde il y a deux ans, notre Mozart eût fait une chose divinement tendre de

    Non son villana, ma son dama.

    Cimarosa a fait de cette déclaration un petit air léger et rapide, parce que la situation l’exigeait ; mais une Allemande n’eût pas prononcé ces paroles sans larmes…
    * Une note manuscrite de Stendhal sur l’exemplaire Mirbeau indique qu’il s’agit ici de Mme Philippine de Bulow, la belle sœur de son ami Strombeck, qu’il avait connue à Brunswick. N. D. L. E.
    ** C’était une copie de la Madonna al longo collo, qui est au musée de Parts, n° 1070. Il s’agit de l’ange qui est à la droite de Marie et qui regarde le spectateur.
  2. Voir les Deux jeunes Filles innocentes et craintives, n° 914, du Musée, où l’on peut remarquer que la gaieté manque aussi au Dominiquin. Les anges, qui devraient exprimer les mystères joyeux, n’ont point l’air heureux.
    Voir aussi la Jeune Femme amenée au Tribunal d’Alexandre, n° 919.