Suite de Joseph Delorme/À mon cher Marmier

La bibliothèque libre.


À MON CHER MARMIER


Je me laisse emporter à mes flammes communes
Mathurin Régnier.


Oh ! oui, comme autrefois, comme aux jours de folie,
Comme aux jours si légers de Rose, hélas ! vieillie,
Ami, par un matin de ce Paris d’été,
Sous ce soleil si chaud au cœur ressuscité,
Oh ! oui, vous m’avez vu suivre encore à la trace
La beauté passagère, et de perfide race,
Dont le premier abord me renversa soudain :
Et vous m’avez surpris rebroussant mon chemin,
Brusquant votre rencontre au coin de cette rue,
De peur de laisser fuir sa démarche apparue.
Ainsi je suis, Ami ; malgré tant de retours,
De projets d’être mieux, ainsi je suis toujours,
Surtout quand le Printemps, si chanté de nos pères,
À tout jamais puissant par les mêmes mystères,
Arrive, et de sa sève emplit mon œil baigné,
Et redore un duvet à mon front couronné.
Le cœur s’ouvre, et les sens qui disaient d’être sage,
Conseillers attiédis, gais flatteurs, n’ont plus d’âge :
Pleins du philtre immortel qui revient les charmer,
Leur jeune voix murmure, et nous tente d’aimer,
D’aimer, comme on aimait dans la Grèce amoureuse,
Un pied blanc, un beau sein, une démarche heureuse,
De fins cheveux brillants relevés, — sans songer
Si l’étreinte est fidèle, ou le nœud mensonger.

Et si l’âme incertaine, à tant de grâce unie,
Se dit Glycérion, Cinthie ou Philénie.

Eh bien, j’ai voulu suivre ! Au Luxembourg voisin
Demi-barricadé, curieuse, au jardin,
Elle allait ; en-entrant, je l’ai quasi pressée ;
Elle allait lentement, et point embarrassée,
Sans donner espérance, et sans se retourner,
Hors une longue fois pour voir se dessiner
La salle neuve ; encor sa lèvre fit la moue.
Plus loin, vers le bassin où le cygne se joue,
Seule, je la laissai suivre le grand contour,
Et pas à pas serrant le côté le plus court,
Comme l’enfant discret flatte un cygne qui nage,
À travers l’eau limpide admirant son image,
Un moment, je crus bien qu’elle avait tressailli,
Qu’un lien invisible, entre nous établi,
Me l’allait enchaîner ; car, d’un tour plus docile,
Elle revint, reprit le passage et la ville ;
Et moi, plus confiant, je la couvais de l’œil,
Et marquais mon esclave en rêvant à l’accueil.
Mais, du pâle Odéon quittant la colonnade,
Voilà qu’un cavalier à la moustache fade,
Fort absent jusqu’alors, traversa brusquement,
Et d’un hardi regard, ou d’un propos charmant,
L’effraya, la gagna,… que sais-je ? en une allée,
Quand plus près j’accourais, l’ombre était envolée.
Lui, resta quelque temps dehors, l’air assuré.
Fûmes-nous éconduits ?… me fut-il préféré ?

Oh ! tout le jour, Ami, de cette quête ardente,
Après mainte heure encor de retour et d’attente,
Ami, je souffris bien, navré, brûlant de feux,
Ne voyant rien de beau parmi les plus beaux yeux,

Ne voyant, ne voulant que ceux du matin même,
Et criant dans mon cœur : N’ai-je plus rien qu’on aime
N’ai-je plus cet éclair, ce front épanoui,
Ce sourcil qui fit dire à plus d’une : « C’est lui !
« (Comme on le dit de vous, jeune encore avec grâce),
« C’est lui dont Ja douceur décèle plus d’audace,
« De flamme : je le veux, et seul, et mon désir
« L’aime au premier regard, et le sait bien choisir.
« Avec lui je veux vite, en une heure divine,
« Dussé-je une autre fois ne jamais le revoir,
« Boire à toutes les fleurs où l’abeille butine,
« Et briser ma moisson d’amour avant ce soir ! »