Suite de Joseph Delorme/Stances d’Amaury

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STANCES D’AMAURY


Et l’Univers, qui, dans son large tour,
Voit courir tant de mers et fleurir tant de terres,
Sans savoir où tomber, tombera quelque jour !

Maynard.


Volupté, Volupté traîtresse,
Qui toujours reviens et séduis,
Qui, sur le soir de la jeunesse,
Encore appesantis mes nuits ;

Qui n’as qu’à vouloir ton esclave,
Et, comme autrefois, l’enlaçant,
Ô Fais fuir l’étude déjà grave
Et le calme recommençant ;

Désastre, amertume et ruine,
Plaie à des flancs toujours rouverts,
Si j’ai senti ton mal qui mine
Et tous les dons que tu nous perds,


Oh ! du moins, Volupté fatale,
Il est en toi de grands secrets
Car trop d’innocence s’exhale
Souvent en trop joyeux attraits ;

De ton délire une âme avare
Garde à tout des voiles plus beaux :
Et, comme au printemps qui répare,
Des fleurs dérobent les tombeaux.

Chaque illusion renaît vite
Au cœur sobre et longtemps sevré ;
On aime, on s’enchante, on s’irrite ;
On renage au fleuve azuré.

Oh ! du moins, Volupté pâlie,
Tu romps toute fausse lueur ;
Par toi, quelle mélancolie,
Reflet plus vrai, sinon meilleur !

Comme, après ta mordante rage
Et tes vifs aiguillons passés,
Dans la langueur qui suit l’outrage,
Le lendemain des sens lassés,

Oh ! comme alors la vue errante
Saisit le monde en un vrai jour !
Quelle lumière indifférente
Glisse, pénètre tour à tour,

Ôte son fard à chaque aurore,
Nous fait voir au changeant tableau
La fleur mourir après éclore,
Et le gravier dans la belle eau !


Comme on sent la mort sous la vie !
Comme on n’épouse aucune ardeur !
Comme le peu que signifie,
Entêté de sa propre odeur,

L’orgueil humain avec ses haines,
Et les mensonges des partis,
Et tant d’assertions hautaines,
Ne nous sont que bruits amortis !

Quelle lente et ferme sagesse
Vaudrait pour son plus chaste amant
Ce jour aisé qui nous caresse
Comme un astre pâle et clément,

Comme un astre sans étincelle,
Sans terreur ni feux courroucés,
Mais funèbre, et qui nous révèle
La fin des mondes commencés ?

Penser rêveur et non morose,
Et qui nous incline à la mort !
Tendre tiédeur qui nous dispose
Et qui détache sans effort !

Oh ! sous le couchant qui s’abaisse,
Ces soirs des jours voluptueux,
Avec douceur, avec tristesse,
L’œil en pleurs, comme on consent mieux,

Comme on consent, de la colline,
À descendre aussi pas à pas
Le déclin où tout s’achemine,
La pente où ne manquera pas


Tout ce qui fut beau, ce qu’on aime,
Objets légers, êtres plus chers,
Pyrrha, Lydé, Laure elle-même,
Où va lui-même l’Univers !