Sur l’oreiller (Gilkin)

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La NuitLibrairie Fischbacher (Collection des poètes français de l’étranger) (p. 55-56).




SUR L’OREILLER



Ma veilleuse est morte et le jour
Tourmente mon carreau livide.
Mon pauvre oreiller veuf d’amour,
J’entends, j’entends bien qu’il se vide.

J’entends le murmure que font
Des bruissements de plumages
Voletant, heurtant le plafond
D’un doux brouillard plein de ramages.

Mon silence écoute. J’entends
Des phrases de songe et de fièvre,
Des soupirs, des cris haletants,
Des baisers d’équivoques lèvres,

Et tout ce passé proféré
Sur cet oreiller de caresses
Où j’agonisais, enivré
De trop d’ivresses pécheresses.

Oui, par ce froid matin lustral,
S’envolent ces folles paroles,
Ouvrant leur pennage augurai
Vers d’orientales corolles :

Couroucous aux cous smaragdins,
Languides tourterelles roses,
Et, pour l’effroi des clairs jardins,
Noirs corbeaux qui mangent des roses.

Mais les tiennes, doux être aimé
Entre tous, tes douces paroles
S’élèvent dans l’air parfumé
Et tout palpitant d’auréoles,

— Tes paroles, anges soyeux,
Aux longues ailes de mystère,
Baisers profonds nés pour les cieux,
Où les lèvres font la lumière !

Adieu ! Par ce matin lustral,
Forçant la fenêtre livide,
Un souffle d’hiver augural
Enfle seul mon oreiller vide.