Sur la mort de mon frère/10

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Émile-Paul frères (p. 77-79).


Point de consolations


Consolation à tout, sauf à la mort. Car, partout l’espérance, — sauf à la mort. Je ne dis point pour moi, — ni à ma mort ; mais à la mort de mon amour.

Il s’en va, — et je demeure.

Nul répit, nul espoir, nul remède. Nul lendemain à ce jour. Nul soulagement à cela.

Pas même que je meure.

Pour me venir en aide, ils m’ont dit : — L’amour qu’il vous portait faisait partie de sa vie à tel point que nous ne pouvons concevoir ce qu’il eût été sans vous, ni ce qu’il aurait pu faire s’il avait dû vous perdre.

— Comment dès lors concevoir que je vive sans lui ? Et, dites-moi, pourquoi faire ? Comme, à soixante et quatre-vingts ans, un vieillard voudrait que l’homme fût toujours chaste, le sage, comblé de biens et qui se préfère à tous, ne croit pas à la douleur inconsolable de l’amour dans la mort. Je n’attends rien de ces sages ; je n’attends rien de la raison : elle n’écoute qu’elle ; c’est une comédienne enivrée de son rôle ; c’est son éternelle vanité.

La raison ne croit pas à la douleur : parce qu’elle l’ignore.

S’il était des consolations, je m’en donnerais bien. Je prierais mon amour de m’en donner, s’il pouvait. Mais, si lui-même ne peut, où en chercher ?

Ha, je sais qu’il n’est point de consolations. Pourtant, j’en cherche.

Puis, je m’en fais reproche ; c’est que je suis trop sûr de n’en trouver jamais. Je fuis l’oubli : je suis assez fort pour haïr l’oubli plus que ma souffrance. Je ne veux pas être distrait : c’est encore que je ne puis pas l’être. Mais parfois, je voudrais entendre une harmonie à la désolation de mon chant.

Tous les livres sont vides. Toutes les paroles sont du vent.

Nul secours, en rien. Quelquefois même, c’est pis : la bonté m’importune. Les meilleurs me frappent, pour me panser. La main qui me touche renouvelle ma blessure.

Je suis dans la mort. En moi, vous touchez la mort, prenez garde.

Donnez moi de sa joie, s’il l’a : j’aurai la joie. S’il revient à la vie, j’aurai la vie. Pouvez-vous nous rendre la vie ? — Ha, laissez-moi. Je ne puis être consolé.