Sur le Front anglais (juin 1916)/02

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Sur le Front anglais (juin 1916)
Revue des Deux Mondes6e période, tome 40 (p. 345-377).
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SUR LE FRONT ANGLAIS
(JUIN 1916)

II [1]


QUELQUES METHODES

On nous emmène loin pour nous montrer une base. C’est l’un des ports de mer, riches en docks, casernes, dépôts, ateliers, où la force britannique se pose, s’assemble et s’organise avant de monter vers le front.

Une telle visite, parait-il, est indispensable ; on nous l’a répété, et j’ai senti que les Anglais sont très fiers de ces bases.

Nous ne devrions penser qu’à ce que nous allons voir ; mais, tout de même, comment ne pas regarder ce morceau de France que nous traversons si vite ? C’est la veille de l’été, le moment parfait de l’année, et tout semble plus merveilleux quand on vient de voir l’un des pays brûlés de la guerre.

Je ne connaissais pas cette province de notre extrême Nord. C’est une Normandie plus fine, plus élégante et grave ; c’est une Bretagne plus riche et plus claire. Partout, comme en Bretagne, le mouvement profond de la roche se laisse percevoir, soulevant le pays par grandes ondes, et l’arbre, à mesure que l’on avance vers la mer, se profile en silhouette pathétique, penché, hérissé, comme s’il avait grandi dans la peur et l’émoi du vent. Un ciel bas, d’un gris tendre, des pinceaux de rayons brumeux, posant sur le pays de pâles traînées d’argent : des éclairages de Finistère. Que tout cela est intime, pénétré de sentiment ! Comme on aimerait s’arrêter, écouter le silence, se replier dans le recueillement de tout ce paysage ! Admirable variété de la France ! Par contraste, dans cette campagne qui touche à la mer du Nord, je songeais à la Provence, aux fastes païens du soleil, aux grands décors de la montagne, au bord d’une autre mer.

Saint-Omer passée, pendant des lieues et des lieues, rien qui rappelle la réalité d’aujourd’hui. Pas un soldat, pas un charroi de guerre. Toujours les mêmes villages, dont les maisons roses sont fleuries de roses, avec le luxe anglais, flamand, des jardins. Toujours les blés, les prés de luzerne et de trèfle, et de loin en loin, un Ilot de grands arbres, un bois sombre où, dans l’ouverture d’une avenue, se révèle, un instant, une façade de château, grise, élégante, toute française, comme les lignes de cette noble et sobre contrée.

Comme nous approchions de notre but, le pays s’est rasé, en se faisant plus vaste, plus triste et plus froid. Des voiles troubles, des franges lointaines de pluie sont descendues du ciel, dans l’Ouest. On ne distinguait pas la mer, perdue dans l’universelle grisaille, mais on voyait la terre finir en horizon trop bas, échancré sur le vide : ligne étrange, relevée tout d’un coup sur la gauche, en promontoire pâle et nu qui fuyait et fondait dans une brume. Alors la ville apparut, sombre, sous des fumées industrielles : toits de briques, lignes de corons autour des Vieilles nappes d’ardoises, et au centre, de sombres monumens du Moyen âge, le beffroi bruni par le temps, que l’on voit de la mer et qui servit de repère aux marins d’autrefois comme à ceux d’aujourd’hui.


Ce que vous montrent les Anglais ne parle guère aux yeux. Rien, sur ce vaste quai, qui rappelle les foules et les agitations pittoresques de la Joliette. Il est désert : une longue perspective entre des silhouettes de bateaux non moins déserts, et d’immenses hangars. De l’autre côté de ces hangars, une large voie de chemin de fer, de multiples rails. Le bateau, le quai, le magasin, le rail, si on les représentait par quatre traits contigus et parallèles, ce schéma donnerait le dispositif primordial d’une base.

Cette surface vide d’un quai où passent les approvisionnemens quotidiens d’une armée, c’est peut-être le plus frappant de tout ce que l’on vous montre dans ce port. Dans les docks, des milliers de caisses sont rangées par ordre de matières, comme les livres sur les rayons d’une bibliothèque. Mais le quai est comme le bureau qu’un travailleur méticuleux s’appliquerait à maintenir toujours net. Chaque objet y arrive, étiqueté de chiffres qui correspondent à tel magasin, à telle travée du magasin, à tel rang de la travée. A mesure que les hommes du bateau déchargent, les hommes des docks enlèvent ; la vitesse du premier travail est exactement calculée sur celle du second. Et défense à ceux-là, nous explique-t-on, de poser un colis sur un colis : ce serait un encombrement qui commence. Le principe, c’est que, pour ne pas gaspiller de temps et de travail à lutter contre le désordre (qui croit de lui-même, aussitôt qu’il s’établit), le mieux est de l’empêcher de naître.

Nous entrons dans le magasin des biscuits. Il est immense, aussi désert que le quai. Dans ces longs couloirs, sous les colonnes symétriques de caisses qui montent là haut dans l’ombre, on marche avec respect, comme dans une cathédrale. C’est ici l’apothéose du biscuit : on n’imaginait pas qu’il put atteindre à ces proportions. Des lettres et numéros répètent la classification d’un catalogue. Dans cette solitude, l’ordre semble absolu, définitif comme dans une pyramide de Pharaon, scellée pour l’éternité. Mais par les portes de droite, on aperçoit des cheminées fumantes de bateaux ; par celles de gauche, des locomotives et des wagons.


On nous montre une boulangerie militaire : neuf cents ouvriers ; cent vingt mille pains par jour. Tout est pur et blanc : les tables où l’on pétrit la pâte qui circule par des glissières, d’étage en étage, en immense ruban ; les vêtemens des boulangers, autant que la farine. Toujours l’impression de simplicité, de rigoureuse précision. Cas mitrons au visage bien rasé semblent aussi pareils et battant neuf que les soldats que je regardais l’autre jour débarquer, que tous ceux que j’ai vus depuis, dans les camps et cantonnemens. Une certaine perfection étant donnée, acceptée, comme type et diapason, il semble que l’Anglais mette sa conscience et sa fierté à y rester conforme, — tuned up, comme ils disent, sans baisser de ton dans son effort et sa tenue ; et cela par une lutte vigilante, incessante contre tout ce qui tend à défaire et affaisser les choses, à les déjeter hors de la norme et de la direction voulues.

Nous allions conduits par le maître boulanger. Petit, rose, digne, tout vêtu de flanelle blanche, il paraissait figé dans son respect des étrangers et de l’officier, aussi bien que dans son respect de lui-même, dans le fier et sérieux sentiment de son grade et de ses fonctions. Il était the man in charge, et il présentait ses ateliers, ses hommes, son travail, à un officier, à des visiteurs qu’il jugeait, évidemment, d’une autre espèce sociale que la sienne. Car son attitude n’était pas seulement militaire : on reconnaissait l’Anglais qui se dit qu’il sait sa place (who knows his own place, — who knows his betters) dans une hiérarchie de castes. J’essayai de causer avec lui, de le faire sourire, sans réussir une seule fois à le détendre. L’officier lui parlait du ton précis voulu par la discipline et l’étiquette, n’omettant jamais de lui donner son titre : Master Baker ! Lui, n’appelait ses hommes que : Bakers !

Nous allions de salle en salle. A l’entrée de chacune, il s’arrêtait, raide, pour lancer, d’une voix qui nous secouait, le commandement : Bakers, shun ! (Boulangers, fixe !) Cent mitrons enfarinés se dressaient dans la position du Garde à vous ! L’officier jetait négligemment son : Carry on ! (Continuez !) et le travail reprenait, rapide, exact, comme d’une parfaite mécanique.


Puis ce fut un bateau-hôpital. Il était entré la veille, et attendait l’arrivée du train sanitaire. On eût dit qu’il n’avait jamais servi, qu’il sortait d’une boîte avec tout ce qu’il contenait, y compris le médecin-chef, aussi net et luisant dans la simple richesse de son kaki et de ses cuirs, que le vernis des murs, l’acier des instrumens et la blancheur glacée des lits à suspension. Il s’excusa beaucoup du quadrillage d’un certain linoléum : « On le lave plusieurs fois par jour, mais ça n’est pas ça. Il devrait être tout blanc ; j’y verrais un grain de poussière. »

On nous montra beaucoup d’autres choses : magasins de conserves et viandes frigorifiées, tout un village de bois, dont chaque bâtiment contient telle série de pièces pour fusils ou mitrailleuses, tel article de métal nécessaire à l’équipement du cheval ou du soldat, et d’où plusieurs trains partent chaque jour pour le front. Et puis d’autres cités improvisées : ateliers de réparations pour canons, autos, harnais, masques, vêtemens, chaussures, — combien épaisses, celles-ci, de cuir souple et copieux, plongées en des bains d’huile ! En ces derniers bazars, la population est surtout française et féminine : dix-sept cents ouvrières de la ville, dirigées par des surveillantes d’outre-Manche, et qui besognent en chantant.


Un ignorant n’oserait décrire ces travaux. Mais au cours d’une telle visite, une chose est remarquable : tout ce que l’on voit, et qui fut œuvre de l’Etat, de ses militaires et fonctionnaires, semble conçu, mené par des industriels et des commerçans. Par exemple, chaque boite de conserves et de biscuits, chaque caisse de quincaillerie apporte un prospectus. Chaque pain de la boulangerie porte la marque d’un certain four et d’une certaine équipe. Les tanks eux-mêmes portaient, nous dit-on, le nom et la réclame du fabricant. Les ateliers de cordonnerie sont dirigés par des patrons et cordonniers de Leicester. Nul objet neuf n’est envoyé que contre remise de l’objet usé et peut-être réparable. On retrouve ce que l’on a tant de fois noté chez les Anglais : des habitudes et méthodes qui sont d’un peuple commerçant, formé, cent ans avant tous les autres, au régime que Spencer appelait industriel.

Voilà le trait qu’il ne faut pas oublier, si l’on veut comprendre l’organisation anglaise de la guerre : au cours du XIXe siècle chez nos voisins, les activités dominantes furent de l’ordre privé — celles du négoce et de l’industrie, qu’aiguillonne le sentiment de la libre concurrence. Parce qu’elles occupaient le plus grand nombre d’hommes, elles ont donné le ton aux autres, et notamment à celles de l’État. Or, le propre de ces activités, c’est de tout subordonner à cette fin pratique : le succès du travail. Une idée les commande, celle du rendement, de l’efficacité. Efficiency (on sait la valeur moderne ce mot), c’est le critère auquel on juge un système, une administration, un homme, — un fonctionnaire. Ce critère, la guerre l’impose aujourd’hui à tous les belligérans ; mais si l’on se rappelle ce que sont en temps normal, en Angleterre, les postes, les chemins de fer, les téléphones, les tramways, on conclura que, dans ce pays, un service public a vraiment pour objet de servir le public, de le servir le plus vite et le plus abondamment possible. Sans doute, à mesure que l’Etat étend ses monopoles et multiplie ses fonctionnaires, de nouvelles habitudes tendent à s’établir. Mais si les premières expériences de l’étatisme anglais semblent relativement inoffensives, c’est justement parce que les points de vue, les méthodes et les rythmes de travail qui règnent au pays du business et de la libre concurrence ont passé et prévalent encore dans les administrations publiques. Par exemple, dans les bureaux de poste, une chose est frappante : la jeunesse de ce personnel féminin. On estime, en effet, que pour un travail monotone, et que l’on veut aussi rapide que possible, la valeur efficace, — efficiency, — est moindre, au-dessus d’un certain âge, et que la nervosité, l’impatience, cette mauvaise humeur de l’employée, que l’on connaît trop en d’autres pays, apparaissent plus vite. Too old at forty, disent les business-men de la Cité. Et le même souci du rendement a conduit à ces méthodes de travail que l’on suit dans les ateliers dits « taylorisés. » C’en est une, — supprimer le produit anonyme, — que l’on observe en cette boulangerie militaire où chaque pain porte le chiffre d’une invariable équipe. Et c’en est une autre, — ne pas lutter contre le désordre, mais l’empêcher de naître, — que nous apprenions devant la perspective nette du quai. De telles règles, plus simples dans l’énoncé que dans l’application, répondent à des problèmes qui se posèrent d’abord dans les pays de la production et du trafic intenses. C’est à l’expérience de Londres et de New-York que l’on dut avoir recours, quand il fallut enfin débarrasser les rues de Paris d’intolérables encombremens.

Voilà les habitudes générales que les Anglais apportèrent à l’organisation matérielle de la guerre. En 1914, il s’agissait pour l’État d’appliquer à cette lutte pour la vie ou la mort toutes les énergies de travail du pays. Parce que ces énergies, si massives et depuis si longtemps orientées vers des fins différentes, ne pouvaient se retourner tout d’un coup, parce que les techniciens et l’outillage technique manquaient, il y fallut quinze ou dix-huit mois. Ce fut long pour ceux qui ne pouvaient voir que l’urgence ; ce fut court, si l’on songe à l’énormité de la tâche. Les Anglais surent tout de suite la mesurer. Ils commencèrent par installer les fondemens de leur machine combat- tante, non seulement des bases comme celle que l’on nous montrait en un point de la côte française, mais la base générale qu’est toute leur île changée en arsenal de guerre. Ils les ont construits peu à peu, ces fondemens, avec leur conscience habituelle au travail, avec un souci de la solidité et de la perfection, — on a dit un luxe, — qui étonna, mais qui n’était que proportionné à ce qu’ils avaient prévu, dès le début, des dimensions et des durées du conflit. A mesure qu’il se prolonge et s’exaspère, on découvre l’utilité d’une si riche et minutieuse préparation. Aujourd’hui, cette partie de la tâche est achevée ; les armées, qu’une activité parallèle et non moins admirable ont suscitées, peuvent enfin déployer tout leur effort. La puissance industrielle du pays s’est rassemblée, organisée pour en nourrir et porter la puissance militaire. Elle se révèle à la grandeur des camps, à la copieuse richesse des équipemens et. de l’outillage, à la densité des services et de la circulation à l’arrière, à l’afflux toujours croissant des canons et munitions, à ces chaînes infinies de camions, à ces chemins de fer à double et triple voie, luisans sur leur lit de pierre, apparus à la place d’une petite ligne économique, et, plus souvent, là où il n’y avait rien, — à ces terminus en pleins champs, dont les rails multipliés sous des réseaux de fils télégraphiques, les grands trains de matériel, de renforts et de Croix-Rouge, les longues locomotives qui manœuvrent (j’en comptai quinze à la fois, quelques-unes accouplées, fumant près d’un simple bourg) rappellent l’approche d’une capitale, les abords noirs et rayés d’acier de King’s Cross et de Saint-Lazare.

L’Angleterre industrielle : il faut en avoir connu quelques aspects, le pays noir entre Birmingham et Manchester, des provinces entières, voilées, le jour, d’une éternelle fumée, éclairées, la nuit, du flamboiement infernal des hauts fourneaux ; il faut avoir vu la Tamise au-dessous de London Bridge, les perspectives fuligineuses et sans fin de docks, chantiers, usines, les paquets et chapelets de grands steamers immobiles et serrés comme les cabs dans Oxford Street ; il faut se rappeler aussi l’histoire de ce monde, son développement continu, vraiment organique depuis le XVIIIe siècle, ses dessous d’énergies spirituelles, sa conscience, ses ardeurs muettes et tenaces de foi et de dévouement, son passé religieux, ses facultés d’adaptation à l’expérience, ses traditions. Alors on entrevoit la grandeur accumulée et le sérieux de la force que l’ennemi, refoulé et puis contenu par l’héroïsme français pendant les deux premières années de la guerre, a senti anxieusement monter contre lui, et qui se déploie tout entière aujourd’hui.


VOIX DU DIMANCHE

Sur la route d’Arras. De longues formalités de visa nous ont arrêtés à X, quartier général d’armée, où nous avions toujours passé trop vite. J’ai pu respirer un peu, par un dimanche de guerre et de Fête-Dieu, l’air de cette sombre petite cité recluse dans son bas-fond.

Les cloches de dix heures sonnaient la grand’messe. Impression curieuse, ambiguë. C’était bien le dimanche d’une vieille ville de province française, — et je retrouvais aussi l’atmosphère propre au Lord’s Day, en Angleterre, où le sentiment de paix dominicale se confond avec celui d’une discipline volontaire, — nationale et sociale autant que religieuse ; une discipline qui, depuis trois siècles, est un des grands partis pris de la civilisation anglaise.

De l’autre côté de la rue, on lisait ces mots :


Church of England

Sunday Services
Holy Communion : 7 h. 45
Parade Service : 10 h. 30

Evensong : 6 h. 30


Trois services, comme à Eton, comme à Oxford, comme sur les bateaux de guerre. Mais ici, celui de dix heures et demie seul est obligatoire, et seulement pour les anglicans, les dissidens ayant leur culte particulier. (Chacun, à l’armée, porte avec soi sa religion, — le nom de son Eglise inscrit avec le sien et celui de son régiment, sur son disque d’identité).

Survinrent deux soldats, au pas plus lent du dimanche, libres visiblement, mais sanglés, astiqués comme pour une revue, et qui s’arrêtèrent devant la notice. Un officier passa, pressé, dont l’épaule portait les trois étoiles d’un capitaine. Ils se raidirent pour le saluer magnifiquement. Il répondit par un bon sourire et un petit geste amical de la main, qui n’avait rien de militaire. Je remarquai alors que son col était droit et blanc, sa cravate noire, et que, par conséquent, c’était un « chapelain, » le padre, comme ils disent, qui, j’imagine, se dépêchait pour son office.

Un peu d’humanité locale reparut sur la place. Une vieille dame courbée, tenant par la main une fillette tout enveloppée dévoiles blancs (il devait y avoir à l’église du pays quelque belle procession fleurie de Fête-Dieu). Ensuite, une autre, jeune, en grand deuil, accompagnée d’un collégien pâlot, de mine sage, aux chaussettes bien tirées. Puis, un homme en casquette, dans une voiture traînée par deux chiens, comme on en voit dans le Nord. Dans un jardin, un bourgeois taillait paisiblement ses poiriers.

Un bruit de pas nombreux, martelé, massif, approchait. Un peloton déboucha, par rangs de deux : un corps d’infirmiers qui s’en allait au lieu du culte, des Tommies aussi alertes et solides, exacts et vermeils, aussi conformes au type établi que tous les autres. Ils avaient tous le même petit balancement convenable du bras droit, légèrement plié ; et du rythme de leurs pas naissait une ondulation qui traversait régulièrement toute la souple file.

Je les ai suivis de loin, et quelques minutes plus tard, derrière le mur d’une cour, j’entendais monter la calme et pure mélopée anglicane. Voix solitaire du prêtre, modulée suivant le rite, marquant les temps des grandes, solennelles phrases qui supplient. Et puis, grave bourdonnement de cent voix viriles accordées dans la Confession. J’en savais toutes les paroles, si belles, articulées fortement, à l’unisson, coupées de pauses. For we have not donc those things which we ought to have done. — And we have done those things which ive ought not to have done. — And there à ne health in us.

Singuliers prestiges de cette liturgie... La tonalité n’en est pas mystérieuse, venue des lointains du monde antique, comme celle des offices romains, mais elle est vieille, déjà, de plusieurs siècles, et ne ressemble à aucune autre. J’écoutais : cette psalmodie m’évoquait en images mêlées, inachevées, ce qu’il y a de plus anglais chez les Anglais. Dimanche au village, quand tout le petit peuple rural s’en va sagement s’asseoir, chaque famille à son banc, suivant les rangs d’une ancienne hiérarchie, dans la petite église qui tinte. Dimanche à Christ-Church d’Oxford, où les étudians en surplis blanc viennent prendre leur place dans les stalles où passèrent les générations de leurs ainés. Dimanche à Westminster, où la vibration des orgues et des voix résonne aux voûtes obscures, passe dans les tombes de tous les rois. Dimanche aussi, sur le pont d’un grand paquebot de l’Inde. Et toujours cette affirmation d’un ordre fier et proprement anglais. Je savais ce qui se concentre en ce culte actif et ce qui s’y recrée périodiquement, par la magie des paroles, des musiques, des rythmes où tous assemblent leurs voix et leurs âmes, de volonté morale et nationale.

J’entendis le prêtre donner deux fois le numéro d’un hymne, et en réciter fortement le premier vers. La polyphonie monta, pleine, forte, cordiale : on sentait que les hommes chantaient avec élan, qu’ils y mettaient vraiment tout leur cœur. Ils aiment leurs hymnes, m’avait dit un officier. Et il ajoutait : Ils y tiennent comme au roastbeef quasi rituel du dimanche, qu’ils respectent aussi beaucoup. A good Church and a good feed, voilà ce qu’il leur faut ce jour-là. Après quoi, ils ont la satisfaction de se sentir moralement et physiquement lestés. Par les prières et les chants articulés en commun, où chacun est porté, entraîné par tous les autres comme dans une marche, et puis par la belle nourriture bien servie, ils se trouvent plus solides et sérieux, plus anglais, plus satisfaits de l’être, rattachés à tout l’ordre assuré des choses de leur Angleterre.

Mais, à l’église, sous les influences encore une fois répétées du rite, des vieilles paroles sacrées et cadencées, au-dessus de cet ordre, plus ou moins clairement ils en entrevoient un autre, auquel celui-là se suspend et dont il tire sa raison d’être et son prestige, — un ordre éternel comme les figures d’étoiles, et qui sert de fond à toutes choses. Vaguement ils ont communiqué avec l’au-delà pressenti dont leur race a tant rêvé, la Puissance dont procède toute loi, tout devoir, toute discipline, celle dont l’autorité et, l’on peut dire, le caractère absolu, passent dans les paroles d’un Kitchener ou du Roi, lorsque ceux-ci leur demandent, demandent à tout ce peuple, — qui obéit parce qu’il est sensible à ce caractère, — un grand sacrifice, ou, ce qui est plus difficile, une privation. Paroles très simples, mais presque solennelles, tant le sérieux en est profond, — si puissantes, efficaces parce qu’elles participent de la religion, parce que vit, agit en elles ce principe occulte que Burke voyait au fond de toute société organique, et dont nulle logique de construction rationaliste ne saurait avoir la vertu, car il n’est pas de raisonnement qui ne soit à la merci d’un raisonnement, rien de simplement raisonnable qui ne finisse par se soumettre, sous la pression du sentiment ou de l’intérêt, à des compromis et diminutions. La religion dit l’absolu. Depuis des siècles, en Angleterre, elle ne parle que règle, devoir, responsabilité personnelle et complète des actes. La foi au dogme peut baisser, mais le pli imprimé persiste, et beaucoup d’hommes de ce pays sont encore capables de se tourmenter de « n’avoir point fait ce qu’ils devaient faire, et d’avoir fait ce qu’ils ne devaient pas faire. » Et c’est pourquoi, s’il arrive que l’intérêt égoïste l’emporte, il leur faut trouver des raisons morales pour se tranquilliser et s’excuser. Mais l’histoire de la guerre atteste que chez le plus grand nombre, le commandement intérieur du devoir peut tout se subordonner. Ce n’est point par un sentiment social d’honneur, c’est pour satisfaire secrètement leur conscience, c’est, comme nous l’écrivait celui de leurs compatriotes qui les connaît le mieux, a pour ne pas subir, un jour, la punition de leur conscience, » que les cinq ou six cent mille premiers volontaires se sont engagés [2].

Il faut toujours en revenir là : cette civilisation n’est pas de principe intellectuel et rationnel. D’un certain point de vue, elle est matérielle. Nul peuple n’a tant demandé et imposé à la matière. Mais si l’on regarde plus profondément, on voit qu’elle est surtout morale. Dans le domaine de l’esprit, l’éducation, la discipline sont faibles ; chacun pense, raisonne, écrit presque n’importe comment : ce qui n’empêche pas le génie, çà et là, d’apparaître, — il est relativement moins rare que le talent. La Nature règne, et souvent c’est presque le hasard. Au contraire, dans le domaine de la conscience, la discipline, qui est la civilisation, est stricte. Aussitôt qu’apparaît une condition nouvelle de vie, une nécessite d’adaptation, la question qui se pose concerne la conduite. Qu’est-ce qui est permis ou défendu ? La réponse est rapide et générale, et tout de suite impérative pour chacun. Il ne s’agit pas alors de considérer ce que fait le voisin, ni de compter sur tous les autres pour l’accomplissement de la tâche, en se disant qu’on n’y apporterait qu’une part imperceptible. Il s’agit de se satisfaire soi-même en obéissant.

C’est par de telles réponses que l’Angleterre a résolu son problème de la guerre. Devoir de faire la guerre. Devoir pour les hommes valides de se faire soldats. Devoir pour les autres, pour les femmes, de travailler au service national. Devoir pour chaque famille de restreindre d’un quart sa consommation de viande.

Les choses que nous devons faire, et les choses que nous ne devons pas faire, récitaient les voix anglaises que nous écoutions monter derrière un mur, dans cette petite ville de province, par un dimanche de Fête-Dieu.


LA RUINE D’ARRAS

Arras : 12 kilomètres, Mont-Saint-Eloi : 9, disait un indicateur.

Au pied du poteau, étranger aux mouvemens de la guerre, un paysan lisait son journal. Le canon grondait toujours dans l’Est. A mesure que l’on avançait, on sentait que ces tonnerres s’espaçaient, par là, sur une ligne très longue. C’était comme par un jour de tempête, lorsqu’on approche de l’Océan, et que, sans le voir encore, on entend les coups sourds de ses vagues croulant sur une plage infinie. On savait que le duel se continuait, comme l’assaut de la mer contre la terre, à travers une suite d’horizons, — vers la Belgique, vers la Champagne et la Lorraine.

Nous arrivions à la zone que bat l’artillerie allemande, et déjà dans les vues de l’ennemi. Il fallut prendre un chemin détourné qui descend à droite entre les blés, — magnifiques jeunes blés de juin, presque bleus, ondulant comme de l’eau, au petit souffle matinal. Un ciel vaporeux, frissonnant du chant innombrable des alouettes, semblait couver de sa moiteur le mystère de vie qui se poursuivait, malgré la guerre, dans la paix de ces campagnes mûrissantes. La solitude, la pureté du paysage, une impression de liberté dans le matin, parmi de libres moissons, m’évoquaient le bled infini. On ne croisait, comme au Maroc, que des files de cavaliers.

L’auto s’est arrêtée pour en laisser passer une qui regagnait le chemin, en remontant dans la terre lourde, par une pente raide, d’un ruisseau qu’on voyait au fond de la vallée. Les chevaux étaient magnifiques dans l’effort, la soie des robes ondulant en reflets, avec la contraction des muscles. Les mors, dans un bref rayon de soleil, étincelaient, tintaient. Les hommes avaient dû profiter de l’eau pure pour se laver et se frotter encore. Ils n’en perdent jamais l’occasion. Les jeunes figures, d’un rose neuf, aux traits bien coupés, regardaient clair et droit sous les casquettes plates. On sentait leur joie de cette vie rude, au grand air, dont le désir a excité tant de leurs pareils à quitter le bureau ou le magasin de la grande ville anglaise pour défricher le bush en Australie, ou se faire cow-boy au Canada.

Le chemin cessant, on descendait tout droit dans la vallée et puis on remontait de l’autre côté, par des terrains vides entre de grands seigles. Tout en haut, on retrouvait la guerre. Les coups de canon qui n’arrivaient qu’assourdis, dans les fonds que nous venions de quitter, semblaient se rapprocher soudain. Deux flocons obscurs vinrent tacher la grisaille égale du ciel, tout de suite dilatés, ramifiés, — fumées traînantes, croissantes, comme le sinistre haillon d’orage qui pend et tourne sur le gris immobile de l’espace. Deux fusans, dont le bruit bref et mat suivit très vite. Un instant, à la ligne de faite, tout le pays se révéla. Au Sud, Arras, bien plus proche que nous ne le savions, sombre derrière les clairs peupliers d’une route, et d’où montait une chose informe, étrangement pâle, qui ne pouvait être que la ruine tragique du beffroi. Au Nord, dans un inappréciable lointain, deux tours jumelles, au profil ébréché, couronnaient la pointe d’une colline : l’abbaye du Mont-Saint-Eloi, seul point de repère, là-bas, dans les étendues vides. Dans l’intervalle, de longs plis s’étiraient, fondaient au loin dans l’espace. C’étaient les régions ravagées, maintenant stériles comme les grèves à la limite de la mer et de la terre : un long pays que la vague française de 1915 a battu, couvert, définitivement repris. La dernière crête visible appartenait à l’autre monde.

Cinq minutes après, nous roulions vite entre les peupliers, sur la route rejointe à cinq kilomètres d’Arras. Je revois un village, Walrus, cantonnement de troupes, où l’on retrouve les mêmes noms fantaisistes de rues que dans les tranchées : les Strand et les Piccadilly Circus. Un kilomètre plus loin, des fantômes gris d’avions se révèlent, planant dans l’axe de la grand’route. Autour de chacun naissent de petits ballons de fumée blanche qui sont du shrapnell boche, car là-bas, au-dessous des grands oiseaux, c’est déjà l’ennemi. Et puis, deux coups violens, si proches, semble-t-il, que l’on cherche des yeux la batterie qui vient de tirer, qui doit être là, quelque part, dans un champ voisin, mais la campagne est toujours vide. Et près d’un talus de chemin de fer, à côté de la traînée blanche que fait un éboulis récent, une sentinelle nous arrête. « Yes, Sir, » dit l’homme, en regardant nos papiers, « shelled this morning. » Il y a une heure on ne passait pas.


A Dainville, presque un faubourg d’Arras, nouvelle halte, et qui, cette fois, parait devoir durer. They are shelling the next corner, nous dit le chef du poste qui nous barre le passage : started ten minutes ago. La demi-lieue de chemin qui nous sépare de la ville est sous les obus allemands. Sur ce ruban de route, rien ne passe en ce moment que les invisibles projectiles venus de l’horizon, et qui mènent inutilement leur danse en cette solitude. Dans le pays, la vie est comme suspendue. Une puissance qui voudrait tuer est à l’œuvre. On n’entend que les coups de foudre qui tonnent en vain là-bas, dans les champs et sous la ligne de peupliers.

Des soldats attendent, assis par terre, contre les murs. Dainville en est plein : troupes de réserve, troupes au repos, comme il y en a partout, le long de l’infini champ de bataille. A l’orée du village, parmi la brique écroulée d’une maison, des officiers attendent, les yeux tournés du côté des explosions. Cette barrière qu’on nous oppose, cette attente et cette immobilité des hommes, cette solitude livrée à des ravages d’obus, tout nous dit que voici, enfin, ce qui s’est annoncé tout le matin, à mesure que se multipliaient au long de la route, les hommes, les convois, les canons, et que grossissaient, sur toute la ligne de l’horizon, les pulsations de l’artillerie : la limite actuelle de notre terre, le commencement du pays de mort qui sépare les peuples opposés, — l’abord des régions défendues que les Anglais appellent le « pays de personne. ».

La vie, dans le village, semblait suspendue ; mais peu à peu, on découvrait que c’était seulement la vie nouvelle et militaire. Une autre, tout humble, ancienne, autochtone, de rythme très lent, persistait, comme insensible au tumulte, au danger. Ainsi les créatures indigènes des champs et des bois continuent de vivre, presque invisiblement, sous les agitations de la guerre. Le premier signe en fut une jeune femme dans un jardin que l’on voyait. Les bras nus et levés, elle accrochait à une corde une lessive. Puis des vaches débouchèrent d’une ruelle, poussées par un gamin. La grand’messe devait finir, car une volée de cloches sonna (l’église était intacte, chose surprenante, à cette distance des premières lignes). Mais, au loin, de l’autre côté, on entendit un petit bruit nouveau, sec et saccadé, comme d’un bâton que l’on passerait très vite, à plusieurs reprises, sur les barreaux d’une grille : le cliquetis d’une mitrailleuse près d’Arras. Et puis, bang, bang, à cinq ou six cents mètres, sur la route déserte, les explosions reprirent.

Non seulement l’humble vie ancienne persiste, mais elle s’adapte et tire vaillamment parti des étranges conditions nouvelles. La devanture d’une toute petite épicerie montrait ce que, sans doute, on n’y avait jamais vu avant la guerre : des brosses à dents, des bouteilles d’eau dentifrice. Une porte présentait cet écriteau : Washing done here. On s’accommode bien des Anglais. Une vieille femme, en fichu noir, nous disait : « J’en loge quatre. Oh ! c’est du bon monde... Ils sont bien gentils, bien convenables... »

Elle avait trouvé du premier coup le mot qui rend le mieux la qualité morale de ces hommes. Convenable : c’est le vrai équivalent de ceux qui résument en Angleterre tout un idéal d’origine bourgeoise et protestante. Une paysanne anglaise aurait dit : « They’re decent people, highly respectable. » Il ne faut pas oublier que les soldats dont elle parlait sont des volontaires, des hommes de l’armée de Kitchener, la plupart fils d’ouvriers, commis et commerçans en qui survit encore la tradition puritaine, — combien différens des magnifiques red coats cambrés et pommadés d’autrefois, qui, la main à la moustache, contaient fleurette, en buvant leur gin, aux barmaids !

J’attendais en causant sur le pas de la porte avec cette vieille dame paysanne. Elle nous montrait la maison d’en face, écornée, et un grand trou dans le pavé de la petite place :

« Ça, dit-elle, c’est d’hier. Une bombe d’avion. Un officier a été tué ; il avait trente-neuf blessures. »

Et comme on s’étonnait de la voir rester si tranquillement chez elle :

« Oh ! ces coups-là, c’est rare. Oui, au commencement, tout ce bruit-là, ça gênait. On avait peur. Mais vous savez bien : on s’habitue. »


A midi, la route devenait saine ; on levait la consigne, et les voitures passaient. Etrange fureur de ces bombardemens, qui sévissent pendant une heure sur les mêmes lieux où il n’y a plus personne.

On avait recommandé d’aller vite. La route défila d’un trait. Deux arbres abattus ne la barraient qu’à demi. Une longue bâtisse éventrée, comme nous en avions beaucoup vu, passa. Mais un détail était nouveau : de la fumée sortait de ces ruines. Du travail boche encore tout chaud.


Et maintenant, autour de nous, c’est Arras. Une place blanche, une place déserte, où nous arrêtons sous de beaux platanes. Ces arbres, cette solitude, cette herbe entre les pavés, ces façades claires dont plusieurs portent frontons... on se croirait, d’abord, dans un coin écarté de Versailles. Et puis on remarque deux choses : aux fenêtres il ne reste que des morceaux de vitres, et la plupart des toitures ont disparu. Sur le pavé, comme tout à l’heure sur la route, gisent des troncs d’arbres renversés.

Nous sommes restés là un quart d’heure, tandis que l’officier qui nous accompagnait allait se présenter à la place. Nous n’avons vu ni un chien, ni un chat, ni un moineau, ni un civil. Seulement quatre soldats anglais qui passèrent à la queue-leu-leu, en rasant les murs. C’est la consigne générale ici : on contourne, on ne traverse pas les espaces découverts.

Ils passèrent, et l’on entendit sonner leurs pas. Rien d’autre. Pas même, en prêtant l’oreille, ces petits bruits lointains de charrois ou de chiens aboyans que l’on perçoit dans la plus abandonnée des villes de province. Un silence de Belle-au-Bois dormant. Mais les regards, à travers des rangs de fenêtres ver cassées, tombaient sur la ruine intérieure des vieux hôtels, et l’on voyait que l’enchantement était autre, que la Mort, et non pas le Sommeil, régnait en ces lieux.

Et subitement, tout près, derrière le premier rang de maisons, deux, trois, quatre coups de foudre, plus violons dans ces espaces confinés par la répercussion de toute la pierre environnante. Un officier que notre guide est allé chercher nous renseigne. C’est bien tout près : une batterie anglaise. On tire d’une place voisine, et les Allemands sont à la porte d’Arras. Cinq minutes plus tard, un claquement rapide, régulier passe d’un trait. On dirait encore que cela vient de la ville, mais c’est une de leurs mitrailleuses. Arras est dans le champ de bataille, dans ce champ infini où la bataille est chronique depuis plus de deux ans, où çà et là passent des volées d’obus et des nappes de balles, où s’allongent des feux de barrage, sans que paraissent presque jamais les hommes, tandis que les immobiles ballons veillent, et que bourdonnent les avions.

Le bourdonnement des avions, c’est un autre des bruits intermittens qui rompent le silence de la cité morte. On levait les yeux, et parfois, dans une bande de ciel, entre deux rangées de maisons, on voyait passer lentement l’un des grands oiseaux planeurs. Ce jour-là, par l’effet sans doute de quelque imperceptible brume, ils semblaient tous étrangement pâles, presque translucides : des fantômes d’oiseaux qui s’effaçaient à une grande hauteur.


Deux heures durant, nous avons erré dans ce désert qui fut une ville, et où l’on n’entend plus rien que les épouvantables et prochains fracas des canons. Un cadavre de ville. En beaucoup de points, la forme est encore là : on marche entre des murs continus de maisons. Chacune a ses fenêtres, sa porte close et souvent cadenassée, sa sonnette ; les boutiques, — la plupart, des estaminets, — ont leurs enseignes ; mais tout cela est abandonné comme la longue perspective de la rue qui ne mène qu’à d’autres solitudes. De loin en loin, quelques logis, bien rares, portent ces mots écrits à la craie sur la porte : Maison habitée. Mais le plus souvent, derrière le mur presque intact, il n’y a rien ; les rectangles des fenêtres n’encadrent que vide et délabrement. Tout ce que la vie humaine avait organisé derrière ces carapaces, tout l’intérieur de ruche est broyé, consumé, litière de choses sans formes et sans noms. Ailleurs, des pans de façades sont arrachés, et tout le désastre apparaît à la fois : des planchers pendent ; le contenu des étages a glissé jusqu’en bas, écroulé parmi des tisons de poutres et des plâtras.

Parfois, — et la ruine, alors, est plus pathétique, — du haut en bas de ces carcasses, des vestiges subsistent de l’ancien ordre intérieur : un rang vertical de cheminées avec leurs consoles, marquant les anciens étages, quelques-unes portant encore une lampe, une pendule. Des papiers à fleurs se superposent, avec des glaces, des alcôves, des bahuts où sont rangées des vaisselles, des penderies où pendent des vêtemens. On voyait de pauvres petites robes d’enfans.

Et puis, on pénètre en des quartiers où le désastre est celui d’un tremblement de terre. Plus de rues : des sortes de sentiers, des passages parfois difficiles entre d’énormes monceaux de briques ou de pierres. Pour arriver jusqu’à la cathédrale, dont les morceaux de voûtes, caissons et colonnades rappellent de tragiques Piranèse, il faut escalader des pentes de blocs écroulés : c’est une ascension d’éboulis comme au pied d’une falaise. A l’intérieur (mais peut-on parler d’intérieur ? — les murs sont arrachés, et les arceaux qui subsistent n’enveloppent que du ciel), des piliers corinthiens surgissent, grêlés de blanc, d’un chaos de débris. Parmi des morceaux de chaises et de candélabres, de chapiteaux, de grilles et de vitraux, on ramasse des morceaux d’acier déchiré. L’un d’eux, trouvé dans la ruine neuve du perron, était encore chaud. Sans doute, un vestige d’une formidable explosion entendue, quelques minutes auparavant, d’une rue voisine.

Car les tonnerres continuaient, allemands ou anglais, précédés ou suivis de stridentes huées, fracassant le surprenant silence, parfois prolongés en tapages retentissans de choses qui dégringolent. J’avais connu, déjà, cette sorcellerie dans la forêt d’Argonne où d’étranges tumultes éclataient autour de nous, en des lieux où les yeux n’aperçoivent que solitude. Les mêmes invisibles démons étaient à l’œuvre, détruisant, peu à peu, dans la ville comme dans la forêt, la forme des choses.

Mais des oiseaux chantaient, comme toujours au naissant mois de juin. La nature semblait profiter du départ des hommes ; sa calme vie s’insinuait malgré tout dans les ruines. On cherchait, et par delà les murs calcinés on découvrait les secrets jardins annoncés par ces gazouillis, — des jardins où personne depuis deux ans n’est entré, avec des rideaux retombant de vigne vierge et de clématites et, parmi des fouillis de ronces et des foisons de folles graminées (il y avait même des épis de blé, dont les vents apportèrent la graine), des globes somptueux de pivoines et de roses.

Et bientôt, au milieu de tant de mort et de dévastation, voilà ce qui prenait l’attention : les signes de la vie, vie actuelle et nouvelle de cette nature, ou bien vie ancienne des habitans disparus. La ruine pure, prolongée pendant des kilomètres, excédait. En ces quartiers d’écroulemens, ce que les yeux cherchaient, ce n’était pas ce qu’on était venu voir, les aspects du désordre nouveau, mais les restes de l’ordre accoutumé. Par exemple, sur un morceau de mur, la plaque subsistante où se lit le nom d’une rue : rue de la Hasse, rue Legrèle, rue des Charlottes, — celle-là bouchée, près de la cathédrale, par des effondremens qui rappellent certaines ruines de l’ancienne Egypte. Quelquefois une enseigne, montrant que le restaurant du Faisan Gris avait été là, ou bien l’Imprimerie de l’Arlésien, ou bien la Mercerie Blanchard. Le gibus rouge qui jadis annon- çait un chapelier, intéressait comme un vestige de l’activité qui n’est plus, comme un graffito, ou comme le Cave canem de Pompéi. Dans la destruction générale, de tels détails devenaient des curiosités. On voyait l’empreinte d’une créature disparue.

D’instinct, nous revenions aux quartiers où la forme des choses subsiste à peu près dans la mort : rangs de maisons ouvertes à tous les vents, perspectives désertes qui s’animent au passage cadencé d’un peloton britannique. Ces soldats jaunes, c’était la nouvelle espèce installée dans la coquille vide et délabrée de cette ville. Ils y menaient leur vie propre, si différente de celle qui fut auparavant.

Peu à peu, ils se révélaient plus nombreux qu’il n’avait semblé d’abord. On n’avait connu d’eux, — sans presque jamais les voir, — que les soudains tapages de leurs canons, à la périphérie de la ville. Mais dans ces rues centrales, alors même que personne ne s’y montrait, on finissait par découvrir leur présence. Présence souterraine, manifestée par un chant grave et multiple, montant de quelque cave. Çà et là, dans ces cryptes improvisées, des cultes s’attardaient. Parfois, au-dessus d’un soupirail, on lisait des mois comme ceux-ci : English Church, Methodist Chapel, Scottish Church, Brigade Chapel. Presque toutes les entrées de ces caveaux, qui s’ouvrent, comme dans les villes du Nord, directement dans la rue, portent le numéro d’ordre d’une escouade. Dans ces gîtes se distribue chaque nuit la troupe anglaise.

Et puis, enfin, on s’apercevait que tout n’avait pas disparu de l’ancienne espèce. Sur des portes fermées, nous avions déjà lu cette annonce écrite à la craie : « Maison habitée. » Mais l’annonce pouvait être ancienne, et la maison semblait vide. Cette fois, c’était un magasin, et mieux qu’habité, ouvert, sous cette enseigne qu’on lisait avec stupeur : « Mme X... fabricante de corsets. » Trois jeunes personnes en sortirent, qui vinrent sourire de la façon la plus engageante au groupe qui passait. Cette jeunesse féminine et ce sourire, c’était le plus inattendu de tout, dans l’abandon d’une cité détruite. D’ailleurs, elles paraissaient bien désœuvrées, ces demoiselles, en ce solennel dimanche, tandis que les soldats anglais articulaient les paroles bibliques, se pénétraient dans leurs souterrains des influences qui protègent d’honnêtes garçons contre les tentations du Diable.

A cent mètres de là, une autre annonce, improvisée sur une planche, semblait bien plus de circonstance :


A... menuisier.

Réparations de toitures par papier goudronné.

Cercueils en tous genres.


Mais cette boutique-là semblait fermée. L’écriteau devait dater des premiers bombardemens, et, les cliens partis, le menuisier avait fini par les suivre.


Nous avons poussé jusqu’aux quartiers neufs, où la destruction était autre, plus saisissante, peut-être, en ces bâtisses de boulevards qui parlent des activités modernes : grands hôtels. Poste, banques (des fougères avaient poussé sur le talus qui protège les soupiraux du Crédit Lyonnais). Inoubliable est surtout la gare, à l’un des bouts de la ville, sur la place isolée qu’on nous avait d’abord interdite, où nous n’allions qu’en file. à distance les uns des autres, rasant toujours les murs.

La gare, si vivante jadis, et par où cette ville de province recevait sa vie, en se reliant à toute la circulation française, c’en est aujourd’hui le lieu le plus désolé, sans doute parce que cette ruine ne s’enveloppe pas de ruines pareilles, parce qu’elle s’espace, seule, en ces espaces toujours vides, où nul bruit n’arrive plus que celui des explosions. Une aire immense de débris où l’herbe a déjà commencé de courir : paves arrachés, ferraille, zinc, morceaux de bois, culots de 77, verre, — verre surtout, verre brisé, broyé, pulvérisé, tombé comme une pluie du ciel, mettant partout les éclaboussures de ses reflets. Là-dessus, bien au milieu, comme un prodigieux joujou fracassé, la grande cage, déployant sinistrement les mille trous noirs de ses mille vitres.

On errait dans le grand hall, dont la destruction semblait systématique, œuvre non d’un bombardement, mais de mains humaines. On eût dit que la gare, surprise en pleine activité par un ennemi furieux, avait été soudain abandonnée à son pillage. Des horaires de trains vers Lille et vers Bruxelles couvraient encore les murs. On retrouvait les salles d’attente, le buffet, le bureau des bagages. On marchait dans un pêle-mêle de liasses imprimées, de tables, fauteuils de velours, bascules renversées, et les oiseaux, partout, avaient mis leurs fientes. Le guichet du receveur était entr’ouvert, la porte à demi arrachée, les piles de tickets à leur place, dans leur casier, prêtes pour le timbrage, comme si l’employé, laissant tout, était parti au premier coup d’une catastrophe, comme si tout le monde était parti depuis deux ans, sans que personne, jamais, fût revenu.

Et quand on passait sur le quai, l’impression d’arrêt total, ancien déjà, de la vie se précisait encore. Cela rappelait certains songes où l’on croit revenir et visiter quelques restes de notre monde habituel dont un fléau soudain aurait supprimé tous les hommes. Les rails étaient bruns de rouille ; des orties foisonnaient sur la voie : on voyait bien que depuis longtemps aucun train n’était venu là. La voûte vitrée n’était plus qu’aiguilles, lamelles suspendues au quadrillage de fer, à peine visibles, presque fondues aux vides aériens, comme dans une eau grise, les restes d’une glace qui finit de se désagréger. L’horloge pendait de travers, arrêtée à je ne sais plus quelle heure d’autrefois. Le temps lui-même avait cessé de passer là. Le nom de la ville, Arras, gisait par terre, la grande plaque qui le présente, tombée au pied du mur, comme inutile, comme pour dire qu’il n’y avait plus d’Arras.


La dernière heure, nous l’avons passée sur la Petite-Place, devant le Palais communal, et puis sur la Grande-Place, au cœur ancien de la ville, au milieu de la beauté détruite qui la rattachait à tout son propre pas-c, comme la gare banale à tout ce qui n’est pas elle. Quels décors d’estampe ils présentaient jadis, ces grands quadrilatères ! Le pavé rond, où se tinrent, des siècles durant, kermesses, parades et marchés, et sur les longues arcades, les maisons pyramidantes, dont les caves ont contenu les ballots de laine des vieux marchands, — les pignons détachés, découpés, dont le rose a bruni, les façades flamandes, aussi bien rangées, régulières, et pourtant individuelles que, dans un tableau d’autrefois, une sage et digne compagnie bourgeoise. Tout au fond de cette perspective, comme le palazzo d’une commune d’Italie, dont le campanile s’érige sur une piazetta, le glorieux et flamboyant bijou de l’hôtel de ville, avec ses arches d’ombre (le vide portant le plein, comme au Palais ducal de Venise), le balcon de sa tribune percé de fleurs, les ogives de ses fenêtres à meneaux, sa balustrade ajourée, son grand toit guilloché de bronze, et là-haut, élançant jusqu’au ciel l’orgueil de la cité, — couronne, lion, bannière, — la triomphante fusée du beffroi.

Trois siècles durant, cette beauté régna sur la petite capitale d’une province, et des générations en ont reçu les sereines influences. Mais l’Allemand est venu, jaloux de toute beauté comme de toute noblesse et richesse française. En frappant les témoins de notre passé, le beffroi d’Arras, comme Notre-Dame de Reims, il suivait son rêve haineux, qui est de diminuer, supprimer, s’il le peut, par le canon et l’incendie, la signification spirituelle de la France. Il entendait s’assouvir de la basse et cruelle jouissance qui n’a de nom que dans sa langue : Schadenfreude.

Il est venu, et voici ce que l’on voit, aujourd’hui, sur la vieille place d’Arras. Des brèches énormes dans les trois rangs de maisons, la moitié des pignons effondrés, les charpentes à nu, calcinées, désolant le ciel de leurs squelettes et de leur charbon. Par terre, bordant ce ravage, trois épais talus de décombres. Du palais, rien que les trois dernières arches, à droite, noires, avec un pan de mur et un fragment de balustrade, — et puis, de l’autre côté, un massif informe : le pied du beffroi sur le tragique monceau que la tour a fait en culbutant. Ce tronçon, qui n’a plus d’arête, pas même l’anguleux de la pierre éclatée, on dirait la base subsistante et rongée de quelque très vieux donjon du Moyen âge, — moins encore, un rocher à demi fondu sous les vents, les pluies, les gelées de plusieurs millénaires. Seulement, la couleur est celle de la pierre toute neuve, car rien ne reste de l’épiderme que les siècles avaient hâlé, et toute la surface n’est qu’une blessure blême.

Sur des photographies qu’on nous montrait, et qui furent prises après chaque bombardement, on pouvait suivre l’histoire de la destruction. On voyait l’évanouissement progressif d’une forme qui fut vivante. Après les avalanches d’obus des 6, 7 et 8 octobre 1914, la toiture de bronze avait disparu, mais tout était encore debout. Seulement, les lignes s’émoussaient, les reliefs s’oblitéraient, la couleur s’en allait, tout le détail devenait gris et vague, comme d’une silhouette qui peu à peu s’embrume. Bientôt apparurent de grandes traînées lépreuses, et puis, sous des bordées nouvelles, tout commença de s’effondrer. La moitié du palais tombée, le beffroi resta seul, fondant de plus en plus, et tout d’un coup, le 21 octobre, croulant d’une chute horrible. Ce fut une suite de changemens qui rappellent ceux de la mort, depuis le premier voile aranéen, cendré, qu’elle semble poser sur un visage, depuis les premiers affaissemens des traits qui vont se ronger peu à peu, jusqu’au squelette et la poussière.

Ces images nous étaient montrées par deux femmes, dans une épicerie de la Petite-Place, le seul magasin vivant que nous avons découvert à Arras, avec celui de la marchande de corsets, et, peut-être, celui du fabricant de cercueils. Cette boutique est sur le côté de la place d’où viennent les rafales d’acier, juste au milieu du rang de maisons, en sorte que les volées qui visaient le palais ont passé sur son faîte. Elles y passent encore : il y a longtemps que le faîte est abattu, tout le haut étage anéanti. Les deux femmes se tiennent, le jour, au rez-de-chaussée, et, la nuit, dorment dans le sous-sol. Elles ont bien une cave très ancienne et profonde, communiquant avec les grands souterrains du Moyen âge, qui, dit-on, s’en vont, à deux lieues d’Arras, jusqu’au Mont-Saint-Eloi. Elles ont dû renoncer à cet abri. Le lieu, disent-elles, n’est pas sûr. Sous le choc voisin des obus ou la secousse des écroulemens, la roche se détache, sous laquelle la cave est creusée. D’ailleurs, assurent-elles, on est tout à fait protégé dans ce simple sous-sol, dont elles nous font admirer le confort. Lorsque le cri des grands projectiles recommence de fendre le ciel, que les explosions tonnent à l’autre bout de la place, il suffit de descendre quelques marches. On se met « comme ceci, » contre le mur, derrière la porte, que l’on a soin de laisser ouverte, ce qui vous gare contre les éclats qui pourraient venir de la place, et permet, en cas de surprise, de remonter au grand air en trois enjambées. L’essentiel est de ne jamais fermer la porte, car tout de même, quelque chose de sérieux pourrait tomber tout droit dans le sous-sol, et faute d’issue pour les gaz, la maison sauterait, comme quelques-unes ont sauté. Mais à présent que l’on sait, on ne risque rien. Seulement, si le tir allemand baisse d’une petite fraction d’angle, quelque secousse et fracas venus de ce deuxième étage dont on a fait son deuil, et puis une traînante croulée de briques qui s’en va grossir le talus de pierraille devant la place. A part cela, on n’est vraiment pas mal.

« Les Anglais sont très gentils, ajoutait la plus vieille, et grâce à eux, on se ravitaille facilement. Nous leur vendons des cartes postales, des crayons, un peu de bière, — oh non ! pas d’alcool, il ne viendrait plus personne. Bien sûr, on ne fait pas grand commerce : c’est plutôt en passant, pour changer, s’amuser que les hommes entrent chez nous. A leur cantine, ils trouvent tout à meilleur marché. Au commencement, ils nous demandaient du thé. On a essayé d’en avoir, mais ils disaient : No good, no good. C’est qu’ils en touchent de bien meilleur chez. eux. Vous voyez, ça n’est pas pour les affaires qu’on est resté. Mais aller on ne sait pas où ! — devenir des réfugiées ! On n’est bien que chez soi. C’est toujours là qu’on est le plus tranquille. »

Ainsi causait l’une des deux habitantes de la Petite-Place d’Arras, ce matin de juin, en face des épouvantables ruines. Tandis qu’elle louait la tranquillité de sa vie, le claquement des mitrailleuses avait repris, sonore dans la solitude de pierre. Cela semblait venir d’assez près, de la Grande-Place, derrière nous, où pourtant nous n’avions vu personne. Et comme nous demandions à cette habituée d’où les Anglais tiraient : « Comment ! les Anglais ? Vous ne reconnaissez pas ? C’est les Boches. Ça s’entend bien ! Ils sont à la porte de la ville. A quatorze cents mètres d’ici. »

La bataille recommençait toujours, la bataille interminable dans le temps comme dans l’espace. Quelque chose de grand se préparait, et ses fracas devaient aller croissant, ce jour-là, depuis Ypres jusqu’à la Somme, tout au long de cette lisière dévastée dont Arras n’est qu’un point.


LE CHAMP DE BATAILLE DE L’ARTOIS

A deux lieues plus au Nord, au Mont Saint-Eloi, au pied de la grande ruine abbatiale : deux tours jumelles, et mutilées, où des morceaux de ciel s’encadrent dans les déchirures de la pierre. Plusieurs fois, ce matin-là, elles s’étaient montrées de très loin, petites sur leurs collines, et presque noires dans le gris universel, élargissant l’étendue vide par leur présence, comme une bâtisse bien dessinée dans une estampe militaire du XVIIe siècle, où l’on voit de grands nuages, des faisceaux de rayons gris, et Louis XIV qui chevauche.

Les tours rappellent celles de Saint-Sulpice, dont elles ont la gravité, -la grandeur scolastique, un peu pédante. Elles émeuvent par leurs blessures. Plusieurs fois, elles ont connu la haine allemande. Les obus de la guerre actuelle n’ont fait qu’y reprendre, achever les ravages de 1870, que le temps avait revêtus de ses lierres.

Des tombes, partout des tombes, sur cette colline, entre les buissons qui déjà ont recommencé de vivre. Certaines portent une inscription sur leurs petites croix noires, et celles-là disent un numéro de régiment français. Pendant bien des mois, ces lieux ont fait partie des régions interdites, celles que nos soldats voient au loin comme l’au-delà où tendent constamment leurs regards et leurs efforts. D’une héroïque poussée, à travers les fils de fer et les nids de mitrailleuses, les Français y sont entrés, et la ligne ennemie recula jusqu’à la ligne d’horizon. Sans doute, sur les pentes de cette butte, la résistance fut plus acharnée qu’ailleurs : on a dû se battre mètre à mètre. Nos pieds heurtaient des débris d’équipement, de vieilles cartouches allemandes et françaises. Mais il y avait des fleurs sauvages partout ; en bas de la colline, deux soldats anglais, en permission de dimanche, fumaient, jambes pendantes, sur un talus. Tout semblait paisible, bien différent de ces jours qui sont d’une autre année, et qui sont de la même guerre. Au loin elle continuait toujours : des bruits d’obus et d’avions ébranlaient quelque part l’espace.


En haut de la colline, au pied des campaniles, on trouve une grande aire. Des pans de mur l’entourent, dont la pierre grise, de noble appareil, les corniches sont d’un autre âge, restes de la ferme d’hier et de l’abbaye plus vieille que les tours.

Le sol était bouleversé, fouillé de fosses profondes. Des fragmens de fer, les uns portant encore le bleu de la peinture allemande, les autres, couleur de rouille, se mêlaient un peu partout à la pierraille arrachée. Près d’un mur abattu, il y avait un trou dont la terre était fraîche, et d’où sortait une très faible odeur de kirsch : un reste de gaz lacrymogène. Ce sommet de colline, qui peut servir d’observatoire, venait encore d’être bombardé.

Derrière le mur qui ferme, du côté de l’ennemi, le quadrilatère de la cour, nous regardions, par une fenêtre à meneaux, les étendues disputées. La fenêtre était munie d’un grillage, ce qui suffit à masquer des observateurs.

Dans un éclairage pâle, mais précis, sous un fantôme de soleil, on voyait un pays vide et sans couleur, allongé du Nord au Sud, car, en face, à deux lieues à peine, il monte et finit dans l’Est en une ligne qui n’est pas l’horizon. Ce long pays, aux aspects de désert, semblait vraiment désert. Du détail habituel aux campagnes d’Europe, les yeux ne retrouvaient rien. On remarquait seulement, au loin, des sortes de hachures grisâtres et, peu à peu, des taches d’un ton plus douteux encore. Ces taches, c’étaient des restes de villages, de maisons qui, le toit tombé, et souvent presque tous les murs, se réduisent à de minces lignes d’arasement, à des rectangles ternes, à peine perceptibles sur les fonds morts de la terre. Ces hachures, c’étaient les vestiges des bois canonnés. A la jumelle, on distinguait très bien chaque squelette d’arbre, un squelette en ruine, sans tête ni membres, debout encore sur le sol dénudé, et qui, dans la lunette, fondait en grandissant, prenait je ne sais quelle inquiétante et mystérieuse apparence. Plus que tout, ces rayures lointaines contribuaient à l’impression de mort. C’était, en plus vaste et terrible, ce que j’avais vu, jadis, en Algérie, quand les flots jaunes de criquets abattus se relèvent, et qu’une campagne que l’on avait connue vivante et verte, apparaît grise, dépouillée de son herbe et de son feuillage, tout arbuste réduit à une terne broussaille. Ici la destruction s’en allait des deux côtés, bien au delà des étendues visibles. L’immensité du champ de mort épouvantait.

Presque rien n’apparaissait dans l’étendue monochrome, mais, à l’aide de la carte, on finissait par y distinguer des lieux dont ne restent guère que les noms, noms illustres, évoquant la mort et la victoire. La plus lointaine procession d’arbres-cadavres, c’était le bois de la Folie. A droite, sur la crête, à peine discernable à la jumelle, Thélus. En avant, à mi-chemin de cette crête, une trace grisâtre, lépreuse, et qu’on ne découvre qu’en cherchant longtemps : Neuville Saint-Vaast. Plus loin on pouvait imaginer Ecurie, et dans le Nord, Souchez, Carency, où nous n’avions trouvé, l’avant-veille, que poussière et lignes de briques. Mais on reconnaissait bien la ligne pâle de Vimy et la pyramide noire du crassier à l’extrême horizon du Nord, dans des voiles sombres de fumée, annonçant le pays des houillères.

En face.de nous, au-dessus de la dernière crête, trois macules grises s’espaçaient dans le gris moins foncé d’un banc de nuages : des ballons allemands d’observation, tellement immobiles qu’ils semblaient faire partie des vapeurs endormies du ciel.

Au milieu de ces champs déserts, un détail se révélait, qui semblait avoir un sens particulier, — quelque chose comme un signe énigmatique laissé par une pensée : des lignes vagues, par deux et par trois, en zigzags parallèles, ou bien enroulées autour d’un centre, en réseaux enchevêtrés. En ce dessin confus, on devinait un ordre, une intention, un peu comme si quelque tracé géométrique apparaissait, tout d’un coup, au télescope, sur un morceau de planète. C’était, sur la pure matière, la seule marque de la vie, vie actuelle qui a fait le vide autour de soi, les invisibles habitans ayant tout détruit en essayant de s’entre-détruire.

Ces indécises figures ont aussi des noms que le monde a entendus, que répétera l’Histoire, associés pour toujours à l’idée de sacrifice. Le plus visible de ces réseaux était le tragique Labyrinthe. Sur cette terre-là, où nous n’apercevions que solitude, combien de Français ont agonisé pour qu’elle redevienne française !

Sur la terre, nous n’apercevions que solitude, mais l’espace était plein de tumultes. L’artillerie anglaise faisait rage derrière nous, comme du côté d’Arras, avec un bruit de tôles remuées et frappées, et le rythme des coups allait s’accélérant. On avait l’illusion que l’air, toutes les choses prochaines tremblaient à chaque profonde percussion, comme un paysage vacille dans l’orage, sous l’éblouissante secousse des éclairs. Des lignes sifflantes, stridentes, se traçaient invisiblement dans le ciel où des fissures semblaient s’ouvrir et peu à peu se propager jusqu’à l’horizon. Les projectiles devaient éclater par delà le dernier pli de la plaine montante. Dans les silences de l’artillerie revenaient les bourdonnemens aériens : avions perdus quelque part dans la profondeur, comme des moustiques que les yeux cherchent en vain dans un jardin crépusculaire, mais on entend zigzaguer leur grêle vibration.

Tout d’un coup, le paysage s’anima, non d’humains, — l’apparent désert resta le même, — mais de feux et de fumées. Au milieu de la plaine, à droite des ruines de Neuville et tout au ras du sol, une suite d’étincelles se mit à pétiller, pâles, brèves et convulsives, revenant toujours, comme promenées en ligne droite par un distributeur de courant. C’était un tir de barrage. Les Anglais devaient attaquer par là. Mais des fourmis jaunes, remuant au loin sur la terre jaune, n’eussent pas été plus imperceptibles. Un peu plus près, du côté de la Maison-Blanche, les obus lourds commencèrent à tomber ; leurs énormes ballons de fumée noire naissaient d’un éclair, et puis montaient avec lenteur en se développant. Le petit staccato de mitrailleuses lointaines reprit. On tuait, on mourait, sans doute, quelque part. Tout cela, — si dispersé, incohérent, sans mouvement perceptible, avec des espaces de silence, — tout cela, c’était pourtant quelque chose d’une bataille. Le petit bruit discontinu des avions-moustiques évanouis dans la lumière recommençait toujours. Tout d’un coup, à droite, un ronflement énergique nous fit tourner la tête. Par-dessus Les deux grandes tours déchirées dont ils semblèrent frôler les crêtes, ils apparurent, par deux, par trois. Nous en comptâmes dix : tout un vol qui s’éleva très vite, jusqu’à presque disparaître à son tour. Mais parce qu’on les avait vus, on pouvait les voir encore. Tout le pâle essaim bourdonnant s’en allait vers la ligne allemande. Lorsque, l’ayant quitté des yeux, nous voulûmes le retrouver, il avait fondu, lui aussi, dans la lumière.

Nous suivions les danses d’étincelles et de fumée en bas, dans la solitude, et nous écoutions ce que disait l’un des nôtres, un officier français, figure mince, énergique et pâle, le lieutenant G… qui revoyait pour la première fois le champ de bataille où il était tombé grièvement blessé dans une « intéressante » journée de juin 1915. « Intéressant, » « curieux, » c’étaient les mots les plus forts dont il se servît.

« Le moment curieux, dans une attaque, disait-il, c’est celui où l’on va quitter l’abri de la tranchée. Même sensation que pour entrer dans l’eau froide : ce n’est qu’un manque d’habitude. Dès le premier pas, on s’aperçoit qu’il n’arrive rien, et l’on est tout à la joie de la surprise… Nous étions là, à gauche de… Le colonel, un colonel de spahis, un grand, splendide, en rouge éblouissant, frémissait d’une telle impatience qu’il franchit le talus quelques secondes avant l’heure fixée. Nous courions côte à côte. Je m’aperçus que le cailloutis étincelait par terre. Mais on ne réfléchissait pas ; ce n’est qu’après, que j’ai compris ce que cela voulait dire. Tout d’un coup, j’ai entendu : « Heu ! » Le colonel était tombé. Je me suis baissé sur lui : ses paupières battaient ; c’était la fin. J’ouvrais son col quand j’ai été touché à mon tour. Deux balles : à la cuisse et près du foie. Toute la journée là, sans pouvoir bouger. Je regardais, je suivais très bien ce qui se passait : c’était très intéressant. Je voyais le bois de la Folie devant moi ; il n’était pas tout à fait aussi mort que maintenant. Il y eut des contre-attaques allemandes. Nous avons passé toute la nuit là, les Français, les Boches entremêlés, par terre… »

Une exclamation l’arrêta. Au dessus de l’horizon, une des trois saucisses, qui semblaient faire définitivement partie du paysage, avait disparu. À sa place, une très longue et mince vapeur ondulait, debout, exactement comme une fumée de cigarette, mais immense, étrangement lucide, presque lumineuse : une fumée qui montait, s’étirait depuis la terre, et devait bien atteindre à huit cents mètres.

Quelques instans après, l’essaim des victorieux avions reparut ; autour d’eux, des flocons naissaient, persistaient, ponctuant l’espace. La troupe victorieuse passa juste à notre zénith, et revint s’éclipser du côté d’Arras, derrière l’écran des deux tours.

L’air tremblait toujours, aux coups de gong 4es artilleries ; et dans le Sud, cela se prolongeait en rumeur sourde et continue. Grondement irrité d’orage, éclairs entre deux fronts où s’accumulent, comme les électricités contraires qui chargent deux noires nuées, les énergies et les volontés venues de la masse et du profond de deux peuples.

Ce jour-là, — un général anglais nous l’apprit le soir même, — cinq autres saucisses allemandes furent descendues devant la ligne anglaise, et dans la nuit qui suivit, de notre logis, à dix lieues en arrière, nous vîmes tout l’horizon déborder de flamboiemens et de rayons. On était à deux jours de l’offensive de la Somme. Nous avions vu la préparation d’artillerie ; elle s’étendait dans le Nord, où il s’agissait de retenir l’attention de l’adversaire. Ces ballons-observateurs espacés de l’autre côté de la plaine, c’étaient ses yeux, épiant, à deux et trois lieues de dis- tance, les batteries anglaises. On s’occupait d’abord de crever ces yeux.


CEUX QUE NOUS GARDERONS

Un cimetière, à côté d’un village, à deux kilomètres du Mont Saint-Éloi.

Le village est tout petit : le cimetière est très grand. Des rangs et des rangs de croix jaunes, suivies par des rangs et des rangs de croix noires.

Les croix noires sont françaises ; anglaises les croix jaunes. Comme dans les armées vivantes, la distinction des individus s’abolit : on ne voit que les deux armées, mais la mort, en chacune, a son uniforme distinct. Ainsi, sans s’y confondre, les rangs anglais continuent ceux des nôtres, simplement, sans interruption, comme les hommes d’Angleterre sont venus continuer, en cette partie du front, la garde et la poussée des nôtres. En regardant la date inscrite sur la première des croix jaunes, on saurait la semaine et presque le jour de 1915 où s’opéra la relève.

Il y a des groupes de femmes, qui vont lentement d’une tombe à l’autre, comme si toutes également les attiraient. On dirait qu’elles trouvent une douceur à hanter, aux rayons du soir, un cimetière, comme leurs sœurs d’Orient qui vont s’asseoir parmi les cippes, sous les cyprès et les beaux oliviers. Les femmes de toutes races ont le culte des morts. Celles-ci sont des habitantes du petit village que l’on voit tout près. L’une, jeune encore, tient deux fillettes de cinq et six ans par la main. Elle semble déchiffrer les noms anglais ; je la vois qui redresse pieusement un pot de fleurs que le vent a renversé. Une autre, presque vieille, est immobile, et semble dire une prière. Sans doute, ces paysannes ont des fils, des frères, des maris, qui peuvent être tués, dont plusieurs sont tombés déjà de la même façon, dans la même guerre. Et puis les soldats en khaki font partie maintenant de leur monde habituel, qui reçoit d’eux toute son animation. Le village est un cantonnement. Quelques-uns ont dû y loger, de ceux qui reposent dans ce champ, et peut-être ce sont les noms de ceux-là qui les arrêtent, ces femmes, — les tombes de ceux-là qu’elles essaient d’entretenir.

Les mères, les veuves, les sœurs, de l’autre côté de la mer, savent-elles cette piété féminine penchée sur leurs morts, si près du champ de bataille ? Des Françaises ont adopté ces morts qui, vivans, n’étaient déjà plus des étrangers pour elles, mais des soldats comme ceux d’auparavant, menant la même vie, luttant pour la même cause. Plus de différence, maintenant, entre eux et les Français qui reposent sous les croix noires. Tous tombèrent en défendant le village et ce morceau de terre française [3].

Nous avons échangé quelques mots, en passant, avec cette femme dont les yeux pâles devaient avoir vu bien des choses.

« C’est comme vous voyez, a-t-elle dit : les tombes anglaises sont deux fois plus nombreuses que les nôtres, — il y en a six cents ; vous pouvez les compter. Et il n’y a que trois mois qu’ils sont arrivés dans le pays. Pourtant il n’y a pas eu de grands coups depuis. C’est les accidens de tous les jours : les coups de mines, les torpilles, les obus. On dit bien qu’ils ne savent pas se garer. »

Les croix françaises sont presque toutes des grandes journées d’offensive : Juin et Septembre 1915. Avec la date, elles ne disent que le nom, le grade et le numéro du régiment. Et cette simplicité a sa grandeur. Tous sont pareils, et chacun n’est qu’un des morts de la France. Elle seule apparaît derrière eux. Les autres portent des mots d’amour et de religion. C’est l’inverse de ce que l’on voit dans la vie, où le Français montre plus de son être personnel et de ses mouvemens d’âme singuliers, où l’Anglais. s’étudie à cacher sous des aspects d’indifférence et de régularité ce qu’il contient ou éprouve de plus intime et de plus profond. L’âme de ce peuple apparaît ici avec son dessous de foi et de sensibilité chrétiennes. Une inscription disait : « Mes péchés méritaient la mort éternelle, mais mon Christ est mort pour moi. » Une autre, rudement gravée à la pointe du couteau, sur un morceau de planche, par quelque camarade : « Repose en paix jusqu’à ce qu’il vienne. » Plus loin, sur la tombe d’un enseigne de dix-neuf ans, des fleurs fanées sous un verre, avec un papier et ces simples mots d’une longue écriture féminine : « De la part de Mère, en souvenir à jamais aimant. » Dix-neuf ans : quelque volontaire de 1914 ou 1915 dont on a fait tout de suite un enseigne, sans doute parce qu’il fut élève d’une école de la classe gouvernante, dressé à ces jeux et disciplines de volonté que les Anglais croient propres à former des caractères et par conséquent des chefs. L’être social n’est plus, celui que les autres ont connu, — l’Anglais, le gentleman, l’officier. Il reste cette chose éternellement la même en tous les siècles de l’humanité : une mémoire de mère qui revoit toujours un petit enfant.

Les dernières tombes sont toutes récentes. La dernière est d’avant-hier, et puis une fosse vide est préparée. Elle attend, avec un peu d’eau jaunâtre au fond du trou. On a vu les dates de celles qui précèdent, et il faut conclure que probablement celle-ci sera fermée dans trois ou quatre jours. En ce moment, sans doute, celui qu’on y couchera est un joyeux garçon quelque part, à moins d’une lieue de ce village.

Des cavaliers passaient dans le soir, unis dans la cadence du trot. L’un des chevaux se cabra légèrement et se mit à galoper, ce qui me fit remarquer l’homme. Il avait vingt ans, tout au plus : une silhouette souple et simple, un visage lisse et qui souriait presque sous le casque à larges bords, qui ressemble à un pétase grec. C’était exactement l’un des jeunes processionnaires de la frise du Parthénon, celui dont le corps flexible se rejette en arrière, du mouvement le plus facile, harmoniquement lié à celui de sa monture. C’était la même ligne si pure, le même rythme, la même beauté, le même jeune homme, qui revenaient après des millénaires, — qui reviennent à chaque génération. Une petite fleur que l’on retrouve après beaucoup d’années dans un certain creux de la forêt, dit la même chose. Immortalité dé la vie ; divine énergie que n’épuise pas la répétition sans fin des formes éphémères.

Toujours les sourds tapages de tôles invisiblement secouées, heurtées par des marteaux géans, un peu partout, dans le voisinage. En l’air, des boules de fumée blanche éclataient autour d’un grand oiseau pâle. On essayait toujours de tuer, au-dessus, comme aux environs du cimetière.

Ce grand rectangle hérissé de croix... C’est la fin du cycle. J’en avais vu le premier temps en Angleterre : ces rangs de jeunes gens, en vêtemens civils, qui se formaient dans les parcs de Londres aux disciplines du soldat. Ensuite le port de France où je les regardais débarquer, avec leurs lourds harnachemens, leur expression de force réticente, leur teint de cuir rouge, leur aspect, déjà, de légionnaires mûris par les fatigues, les pluies et le soleil. Et puis sur nos routes, dans nos campagnes, leurs multitudes, leurs rangs dressés comme de la terre qui marche, leurs travaux, parmi tout ce qu’ils ont apporté, bâti contre l’ennemi commun sur notre sol. Enfin leur patience dans les boues des tranchées, leurs vigilantes immobilités à travers les jours et les nuits, coupées par les fièvres héroïques de l’assaut.

Ici la fin, dans cette terre française qu’ils ne connaissaient pas, qu’ils ont défendue, dont ils feront maintenant partie pour toujours. A côté des nôtres, ils nous sont sacrés comme les nôtres.


ANDRE CHEVRILLON.

  1. Voyez la Revue du 1er janvier .
  2. On se rappelle les proclamations du Roi, avertissant les hommes de leur devoir. Celles qui recommandaient « aux fidèles sujets » les restrictions étaient du même style archaïque et quasi religieux. Elles se terminaient par ces mots : « Nous ordonnons et enjoignons aux ministres de toutes les religions de lire ou faire lire cette proclamation dans leurs lieux de culte respectifs, dans le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande pendant quatre dimanches consécutifs. » On se rappelle que la restriction volontaire de viande fut, dès la première semaine, de 23 pour 100.
  3. Extrait d’une lettre écrite par un officier anglais :
    There they shall lie, those dear dead of ours, unforgotten by us and remembered by you. Far from their own, they sleep their last long sleep in a foreign bufriendly land.
    If we ourselves cannot tend those graves, surely, in the time to come, some kindly hearts, remembering that the dead below died for France as well as for Britain, will prompt gentle hands to place the tribute of a flower on the grave that France has given.
    Living vue gave them to you, dead you will cherish them for us.