Sur les routes de Provence/05
SUR LES ROUTES DE PROVENCE[1]
V. — DES BAUX À MARSEILLE PAR L’ÉTANG DE BERRE
n quittant Salon, nous remontons, le long du canal de Craponne,
jusqu’à Lamanou dont les frais ombrages et les prairies fertiles
s’étalent en avant des derniers contreforts des Alpines. Une route accidentée,
traversant Eyguières, point de départ de l’ascension de l’Aupiho
sommet le plus élevé du massif, Mouriès et Maussane, nous amène
au pied de la colline des Baux, dont la silhouette déchiquetée se
détache sous les rayons obliques du soleil couchant. La montée est
rude, les lacets se succèdent au milieu des maquis et des champs de
pierres. Des automobiles descendant à vive allure vers la vallée nous
croisent en trombe, tandis que nous cheminons à pied, la main au
guidon. Des pâtres enveloppés de longs manteaux bruns, le large
feutre noir rabattu sur les yeux, ramènent les troupeaux de moutons
vers les bergeries voisines. À l’entrée du Vallon de la Fontaine, nous
admirons le Dôme de la Reine Jeanne, pavillon à double voûte, délicatement
sculpté, vrai bijou d’architecture Renaissance. Puis, par le sentier
pavé, tortueux, malaisé de la Calade, nous arrivons à la vieille
porte Eyguières, ancienne entrée de la ville, et la nuit est déjà tombée
lorsque l’hôtel de la Reine Jeanne nous ouvre ses portes hospitalières.
Nous avons l’agréable surprise d’y trouver un félibre distingué, provençal
érudit, passionné des Baux dont il connaît les moindres détails
et qui sera pour nous le guide rêvé.
Cette bonne fortune nous vaut une soirée charmante. Après un savoureux dîner, violemment parfumé d’aïoli, un clair de lune idéal nous invite à la promenade et, bravant les rafales glacées du mistral, le grand ennemi des Baux, notre hôte nous conduit, au travers des ruines, jusqu’à la terrasse avancée qui occupe l’extrémité du plateau et d’où un inoubliable spectacle s’offre à nos regards. Tout là-haut, le vieux château dresse fièrement son donjon et ses tours sous un ciel criblé d’étoiles. À ses pieds, le long des ruelles étroites et sur les places dégagées se dresse un amoncellement fantastique de ruines aux formes tourmentées et bizarres : masses sombres des maisons, pans de murs crevassés, croisées aux fines dentelures, cheminées élancées. La pyramide ajourée d’un clocher est traversée par un rayon de lune. Les tombes blanches s’alignent dans le cimetière tout proche. Devant nous s’ouvrent les profondeurs du Val d’Enfer ; nous devinons dans la pénombre l’entrée de la Grotte des Fées et les hauts portiques des Grandes Carrières. Vers l’Est se dessine le profil des montagnes ; vers le Sud l’immense plaine de la Crau se perd dans la nuit. Tout au loin, l’éclat intermittent des phares souligne le littoral méditerranéen.
Comment ne pas rappeler ici le souvenir des siècles heureux où la principauté des Baux, aujourd’hui déchue, connut la plus grande prospérité ? La veillée se prolonge fort tard dans cette évocation. Notre hôte raconte mille détails historiques ou légendaires ; sa fille veut bien chanter en notre honneur les belles rimes provençales de Théodore Aubanel et le Noël populaire du chansonnier Charloun Rieu, Li pastre di Baus : « Pâtres des Baux, — tous hommes de sens, ce soir nous nous revoyons dans la vieille chapelle. Pâtres des Baux, — tous hommes de sens, — ce soir nous nous revoyons, de joie nous tressaillons ! »
Les origines du château des Baux paraissent remonter au viiie siècle : du moins les savants ont-ils reconstitué, depuis cette époque, la chronologie des seigneurs des Baux dont la lignée poursuivit une destinée glorieuse jusqu’à son extinction au début du xve siècle. « Race d’aiglons, jamais vassale, qui de la pointe de ses ailes effleura la crête de toutes les hauteurs », on retrouve, pendant le Moyen âge, son nom à toutes les pages de notre histoire, et sa vaillance indomptable tint en échec pendant cent ans les attaques des princes catalans et de Charles d’Anjou. Les princes des Baux portaient les titres de vicomtes de Marseille, princes d’Orange, comtes de Provence, rois de Vienne et d’Arles ; ils émettaient des prétentions sur l’empire de Constantinople. Ils comptèrent de nombreuses alliances dans les familles régnantes de France, d’Orange, de Savoie, d’Angleterre, de Pologne, de Nassau et de Brunswick. Ils possédèrent soixante-trois places fortes et commandèrent à des flottes et à des armées. Autour d’eux se groupait la haute noblesse du Midi. « Les princes des Baux, dit Robida, ont pris la montagne, l’ont creusée, fouillée, découpée ; ils en ont fait une immense et extraordinaire citadelle, moitié caverne, moitié palais, certainement la création architecturale la plus fantastique en son temps et actuellement la plus invraisemblable des grandes ruines du Moyen âge. » La ville comptait alors plus de 4 000 âmes et la « cour d’amour » des Baux était particulièrement recherchée par les troubadours venant de toutes parts célébrer la beauté des princesses Jeanne, Alix, Passe-Rose, Blanche-Fleur, Huguette, Clairette et Baussette. Pétrarque et Laure y séjournèrent et l’on raconte que Guilhem de Cabestan ayant chanté avec trop d’ardeur Tricline Carbonnelle, le mari de celle-ci, Raymond de Scillans, tua le galant troubadour, lui arracha le cœur, le fit accommoder en plat et servir à sa femme.
La seigneurie des Baux fut annexée en 1427 à la couronne de Provence et la perte de son autonomie marqua l’ère de son déclin. La reine Jeanne, femme du roi René d’Anjou, y résida au xve siècle, puis le domaine fut réuni à la couronne de France et placé sous l’administration de gouverneurs, capitaines et viguiers royaux. François Ier fit une visite solennelle aux Baux le 7 mai 1538 et le Chevalier de Guise y mourut accidentellement en 1614. Au cours des guerres de religion, la place forte fut démantelée et la déchéance militaire était complète lorsqu’en 1643 le roi Louis XIII érigea les Baux en marquisat en faveur d’Hercule de Grimaldi, prince de Monaco, dont les descendants en conservèrent la possession jusqu’à la Révolution.
De nombreuses légendes se rattachent à l’antique principauté. Au plus profond de la Grotte des Fées, trois sorcières retiennent captive une merveilleuse Chèvre d’or (la cabro d’or) gardienne elle-même d’un trésor enfoui sous les rochers par les Sarrasins. La montagne fut jadis le théâtre des exploits de Jean de l’Ours, héros des contes de veillées, sorte d’Hercule provençal, fils d’une bergère et d’un ours qui l’avait enlevée, et qui avait pour compagnons deux aventuriers d’une force fabuleuse, Arrache-Montagne et Pierre-de-Moulin. On entend parfois le tintement de la grosse cloche d’argent, immergée depuis des siècles au fond d’une citerne. À l’heure suprême de l’agonie de la princesse Alix avec laquelle disparut la race héroïque des Baux, une étoile descendit du ciel sur la vieille tour du château, pénétra dans la chambre de la malade, brilla d’un éclat fulgurant et s’éteignit à l’instant où la moribonde rendait le dernier soupir.
Suivant une ancienne tradition, la fête patronale de Saint-Vincent était célébrée en grande pompe avec le concours de l’Abbé de Jeunesse, intendant des jeux, fêtes et divertissements. Cet abbé présidait à la Plantation du Mai devant l’église par les bouquetiers et prieurs de Saint-Marc, et à la distribution des Torques (gâteaux à l’huile) le jour des Rogations. Il marchait en tête du cortège lors de la fête du Char de Saint-Éloi.
Le plus touchant de ces usages, « l’offrande des bergers à la messe de minuit » s’est continué depuis le xvie siècle, et la Corporation des Pâtres lui demeure toujours fidèle. « Deux prieurs bergers président la cérémonie et la dirigent en suivant l’antique cérémonial transmis par leurs ancêtres. Au moment de l’offrande, un dialogue chanté s’engage entre un berger place au bas de l’église et un personnage qui, dissimulé derrière le maître-autel, remplit le rôle d’un ange mystérieusement invisible annonçant la bonne nouvelle. Nous voyons alors s’avancer, précédé du tambourin et du galoubet, un groupe de bergers, un petit cierge à la main, couverts de leur grand manteau brun et des bergères enveloppées dans la vieille mante provençale. Quelques-unes, les prieuresses, sont coiffées de garbalin, sorte de bonnet conique assez haut, orné de dentelle et garni à son sommet de fruits et de pâtisseries. Les autres portent, suspendues à leur ceinture par des écharpes aux couleurs variées, des corbeilles joliment décorées, et remplies de toutes sortes de présents à offrir à l’Enfant-Dieu. Devant elles roule un petit char rustique en bois d’olivier, au dôme surmonté d’une bannière aux armes des Baux ; il est délicatement sculpté au couteau et orné de nombreuses chandelettes. Traînée par un bélier bien encorne et choisi naturellement parmi les plus beaux des troupeaux environnants, cette voiture minuscule contient un petit agneau de lait, bien blanc et tout enrubanné de couleurs tendres. Le cortège arrivé à l’autel, le prieur de la corporation prend l’agneau dans le char, fait la révérence à l’autel, baise la patène que le prêtre lui présente, et simule l’offrande de la mignonne petite bête qu’il remet après force saluts à la bergère. Celle-ci, de son côté, recommence la même cérémonie et, le défilé continuant, l’agneau passe de main en main pour être finalement replacé dans le chariot. Puis la pieuse troupe, après avoir reçu la bénédiction de l’officiant, rentre dans l’assistance. Au moment de l’élévation, pendant que les fidèles ont la tête baissée, la tradition veut qu’on presse trois fois la queue de l’agnelet qui fait entendre trois bêlements plaintifs. Le lendemain, à la messe solennelle, se répétera la même scène. » Chaque année de nombreux visiteurs accourent à cette poétique cérémonie à l’issue de laquelle de joyeux réveillons s’organisent. On nous assure que les convives s’y comptent par centaines, et il est prudent de retenir sa place à l’avance…
De la cité des Baux, il ne reste que des ruines, mais d’autant plus impressionnantes qu’elles se mélangent, se soudent pour ainsi dire à des crêtes, à des massifs, à des blocs aux formes capricieuses, en sorte que les bizarreries de la nature ajoutent au paysage un caractère de sauvage et mystérieuse grandeur. « Mon regard s’arrêta étonné, écrit Jules Canonge dans l’histoire de la ville des Baux en Provence, sur un ensemble de tours et de murailles perchées à la cime d’un roc, tel que je n’en avais jamais vu. Mon étonnement redoubla quand j’eus gravi une éminence d’où la ville entière se déploya devant moi : c’était un tableau de grandeur désolée comme ceux que nous fait rêver la lecture des prophètes ; c’était ce dont je ne soupçonnais pas l’existence, c’était une ville presque monolithe. Ceux qui eurent les premiers la pensée d’habiter ce rocher taillèrent leur abri dans ses flancs. Une ville sortit bientôt comme une statue du bloc d’où l’art la fait jaillir, une ville imposante avec ses fortifications, ses chapelles et ses hospices, une ville où l’homme semblait avoir éternisé sa demeure… » Mais rien n’est éternel ici-bas ; aujourd’hui, 200 ou 300 habitants peuplent à peine l’agglomération des Baux que l’administration des Monuments Historiques a presque entièrement classée, afin d’assurer la conservation du site et des monuments. Nous n’en ferons pas une description détaillée et technique ; l’énumération des principales curiosités suffira pour donner l’idée de leur importance.
Le pignon de l’Hôtel de Ville (1634) porte la fameuse « étoile à seize rais » de la maison des Baux. Dans la Grande Rue, dont les maisons sont des xve et xvie siècles, voici la façade renaissance de l’habitation du tabellion Quénin. Un peu plus loin l’hôtel des Manville a conservé des fenêtres d’une rare pureté de style ; on lit sur une frise d’entablement la célèbre devise de la Réforme : « Post tenebras lux » (la lumière après les ténèbres). La maison seigneuriale des Porcelets, actuellement école communale, a été heureusement restaurée : on voit au rez-de-chaussée, dans une salle voûtée avec fresques, les figures allégoriques des quatre saisons. Les Porcellets, marquis de Maillanne s’illustrèrent au Moyen âge ; ils prirent pour devise, aux grands jours d’Arles : « D’abord la race des Dieux, puis la famille des Porcelets de Maillane ; » (Genus Deorum, deinde gens Porcella Maillana) ; et lorsque le roi René dictait les devises de la noblesse, son qualificatif était « Grandour di Pourcelet ». L’origine même de leur nom est légendaire en Provence. Parmi les ancêtres de cette famille, dit une tradition, se trouvait une orgueilleuse dame qui repoussa durement une pauvresse chargée d’enfants, lui reprochant sa progéniture que sa misère ne pouvait nourrir. Or cette mendiante était une fée, et sa vengeance imposa à la dame d’accoucher d’autant d’enfants qu’une truie pleine, qui par hasard se trouvait là, ferait de porcelets. La truie mit bas neuf porcelets, et la dame accoucha d’autant d’enfants qu’on appela les Porcelets…
L’église Saint-Vincent contient la jolie chapelle des Manville portant aux voûtes les armoiries « de sable au lion d’or sous un château fortifié d’argent », et la chapelle dite des « tondeurs de drap » dédiée à saint Marc. Dans les cryptes reposent de nombreux baillis, consuls ou magistrats, ainsi que des princes ou princesses des Baux. On y a découvert, dans une sépulture, devant l’autel de la Vierge, la fameuse chevelure d’or que Mistral a recueillie au Museon Arlaten. « D’un blond doré et d’une longueur extraordinaire, on la considère comme tout ce qui reste d’une jeune princesse des Baux, merveille de beauté et de grâce, chantée par les troubadours et morte dans la fleur de l’age. »
À côté de Saint-Vincent se trouve l’ancienne chapelle des Pénitents blancs et le « Deimo », citerne creusée dans le rocou l’on versait le vin apporté pour acquitter en nature l’impôt de la dime. La rue des Fours banaux et la rue du Trencat, taillée à vif dans le roc, conduisent à la maison de la Tour de Brau, siège de la corporation des cardeurs et tisserands, transformée en musée ; puis à la chapelle romane Saint-Blaise affectée au vice de l’hôpital édifié par Claude de Manville « chevallier de Saint-Jean de Jérusalem et capitaine du chasteau des Baux, pour y lover les pauvres de Dieu. » À l’extrémité du plateau, un plan dallé sert à recueillir les eaux de pluie qui alimentent la citerne communale, et une statue de Notre-Dame des Neiges occupe la partie la plus avancée de la terrasse, d’où les condamnés à mort étaient jadis précipités dans le vide.
Le château des Baux, auquel on accède par le chemin haut du Trou de Laure qui longe la curieuse maison de Lère, offre un extraordinaire ensemble de ruines : « Un rempart, ou plutôt un escalier dont chaque degré est une tour presque monolithe, une ligne de rochers découpés en muraille monte jusqu’au bloc de la formidable acropole. Montagne et forteresse, rocher, tours et château sont à peu près d’une seule pièce… Des trous profonds qui furent des salles basses, un vestibule encore en partie couvert de ses voûtes ogivales, des morceaux de tours, d’autres salles encore plus haut, des portes restées à toutes les hauteurs dans la falaise, des escaliers boisés et, dans la masse, de grandes ouvertures irrégulières laissant voir le ciel à travers le rocher. Enfin, au sommet de cette carcasse géante, des blocs moitié roc, moitié tour, et une espèce de grand donjon, ébréché au sommet, taillé aussi en plein roc. »
Il faudrait le crayon d’un Gustave Doré pour reproduire ce féérique décor d’où le regard plane sur l’immensité, de Nîmes à la Sainte-Baume, d’Avignon aux Saintes-Maries, d’Aigues-Mortes à l’étang de Berre.
C’est encore la légende qui poétise l’origine de la stèle romaine des « Trémaïé », énorme bloc détaché du versant sud du plateau, debout sur le penchant d’un précipice, taillé en aiguille et portant trois figures grandioses sculptées, objet de la vénération des populations voisines. Les saintes Maries, Jacobé, Salomé et leur servante Sara vinrent d’Arles au ier siècle prêcher dans les Alpines et, pour éterniser le souvenir de leur prédication, elles gravèrent miraculeusement leurs effigies sur un rocher : « collines des Baux, Alpines bleues, vos mornes, vos aiguilles garderont dans tous les siècles la trace de notre prédication gravée dans la pierre. » D’aucuns, il est vrai, ont voulu voir dans ces trois personnages Marius dont les légions campèrent aux Baux, sa femme Julie et la prophétesse Marthe. Ils fondent leur opinion sur la présence d’une autre stèle, dite des « Gaïé », dans laquelle les archéologues reconnaissent un autel païen destiné aux sacrifices, également orné de deux personnages sans tête, qui seraient Marius et Marthe la prophétesse.
Voici enfin, au fond du vallon d’Enfer qui inspira Dante, dans les remparts de roche qui forment la chaîne des Baux, en un lieu que hante la salamandre et que les oiseaux de nuit indiquent de leur vol tournoyant, le Trou des Fées, repaire de la sorcière Taven à qui Mireille amena Vincent pour faire conjurer sa blessure. « Là errent les fées, pareilles à des rayons qui tremblottent ; avec les chevaliers qu’elles enchantèrent jadis, elles continuent la vie d’amour dans les allées ombreuses de cette chartreuse tranquille. » L’imagination provençale a qualifié de noms terrifiants cet antre creusé dans le roc, dont les ramifications se poursuivent pendant plus de 200 mètres. Après la grotte de la sorcière, où un mamelon stalagmitique noirâtre figure le sarcophage de Taven, on traverse le Couloir Infernal pour arriver à la Chambre de la Mandragore. Le Corridor des Esprits Fantastiques lui fait suite, précédant la Salle des Fantômes. Tout au fond le Pas de l’Agneau noir donne accès à la Salle de la Conjuration qu’arrosait le Ruisseau des sept chats d’où Taven, avec son bras décharné, retira la drogue dont elle aspergea la blessure de Vincent, étendu sur la Table de porphyre.
Cette visite impressionnante termine notre séjour aux Baux et, tandis que la vieille forteresse disparaît peu à peu à l’horizon, nous regrettons de ne pouvoir, modernes princes charmants, réaliser le vœu de Mireille : « Si quelque roi, par hasard, de moi devenait amoureux, dès qu’il m’aurait mise impératrice et souveraine, des Baux je ferais ma capitale ! Sur le rocher où il rampe aujourd’hui, je rebâtirais notre vieux château en ruines ; j’y ajouterais une tourelle qui, de sa pointe blanche, atteignit les étoiles ! »
La descente vers Arles est rapide par le Paradou et Fontvieille d’où Alphonse Daudet data les Lettres de mon moulin. Les ruines de l’abbaye de Montmajour se dressent sur une colline dominant la plaine du Trébon. Cette région était autrefois envahie périodiquement par les eaux du Rhône et pendant plusieurs mois de l’année on abordait en barque au monastère ; l’inondation fertilisait le pays, mais le séjour dans ces lagunes était si malsain que les Bénédictins durent édifier un vent sur la Montagnette de Tarascon pour y envoyer leurs malades faire des cures d’air : telle est l’origine de l’abbaye de Frigolet. Montmajour fut fondé au vie siècle par saint Césaire, mais les édifices qui existent actuellement : église Notre-Dame au-dessus d’une crypte, cloître et bâtiments canoniaux, chapelles de Saint-Pierre et de Sainte-Croix, sont postérieurs à l’an mille. Ces édifices ont une grande valeur archéologique. La crypte, très remarquable, a une chapelle centrale voûtée en coupole et entourée de cinq chapelles rayonnantes. Le cloître roman, plus grand et plus sévère que celui de Saint-Trophime, forme un rectangle éclairé par des arcades accouplées trois par trois, avec des colonnettes rondes ou cannelées qui supportent d’autres petites arcades en plein cintre ; les chapiteaux sont ornés de feuilles d’acanthe, de personnages, d’animaux : la tarasque y a sa place, ainsi que le mistral personnifié par un buste d’homme cheveux au vent, recroquevillé, la figure grimaçante et qui marche en s’arcboutant, les mains aux genoux. La tour de défense, haute de 26 mètres, est couronnée d’un parapet crénelé avec échauguettes en encorbellement. La chapelle Saint-Pierre aurait, suivant la tradition, servi de refuge à saint Trophime et l’on y montre sa cellule appelée le confessionnal. À quelque cent mètres de l’abbaye la chapelle Sainte-Croix, dont la partie centrale est un magnifique spécimen de la voûte en arc de cloître, s’élève au milieu d’un ancien cimetière où se voient, à fleur de terre, des sarcophages vides et sans couvercle creusés dans le roc. Vendue nationalement à la Révolution, l’abbaye est en partie propriété privée, mais les Monuments Historiques ont classé les édifices les plus importants du monastère, dont la visite nous a très vivement intéressés.
Montmajour est à peine à quelques kilomètres d’Arles et l’excursion que nous achevons est facilitée, dans la belle saison, par les services d’automobiles que la Compagnie P.-L.-M. a organisés au départ d’Avignon avec arrêts à Châteaurenard, Saint-Rémy, les Baux, Montmajour, et retour par Arles et Tarascon.
Aujourd’hui nous filons sur les routes blanches et poussiéreuses de la Crau, dans la direction de l’étang de Berre. Saint-Chamas en occupe l’extrémité nord. C’est un gros bourg industriel auquel la poudrerie nationale la plus importante de France donne une grande animation. L’agglomération est coupée en deux par les pentes d’une colline creusée de grottes habitées, sorte de cité troglodyte, et dominée par les restes de tours et de remparts d’un château ; son port abrite une flottille de bateaux de pêche. Mais l’affluence des étrangers à Saint-Chamas est surtout motivée par la visite de l’antique pont Flavien, jeté sur la Touloubre par un prêtre de Rome et d’Auguste nommé Donnius Flavius, monument d’un puissant intérêt archéologique, dont l’arche unique est encadrée par deux arcs de triomphe ornés de colonnes d’ordre corinthien et surmontés de lions en parfait état de conservation.
De Saint-Chamas la voie ferrée, contournant l’étang de Berre, descend directement à Marseille par Rognac, Vitrolles, le Pas des Lanciers et l’Estaque. Mais, le soleil aidant, nous cédons sans peine aux sollicitations d’un très aimable cicerone qui veut bien nous guider dans une promenade charmante sur la côte ouest de l’étang. Successivement la route s’élève en lacets vers les hauteurs d’où l’on découvre des panoramas d’une infinie variété, puis s’abaisse jusqu’au niveau du rivage. Des alternatives d’ombre sous les hautes pinèdes, et de lumière sur les plateaux rocheux et dénudés, donnent un charme étrange à ce coin de Provence qui, en maints endroits, rappelle les bords des lacs suisses et italiens. Nous dépassons l’établissement de bains de mer du Déla et, sur le plateau de Saint-Étienne, nous jouissons d’un admirable coup d’œil : en face, l’étang de l’Olivier et la vieille ville d’Istres ; à droite, la vallée du Fanfarigoule et la plaine de la Crau où « se rendent à quatre pattes ou d’une volée les magiciens et les sorciers qui vont dans les thyms boire à la tasse d’or en faisant la farandole, où dansent les Garrigues, où, des feux follets de Saint-Elme, sautants et tourbillonnants, bondit la flamme tortue » ; à gauche, les eaux bleues de l’étang de Berre dans lesquelles se reflètent les voiles latines des barques de pêche. Voici les vestiges du village ruiné de Vulturno où des tombeaux romains taillés dans le roc se trouvent pêle-mêle à travers les sapins ; puis les ruines de l’ermitage Saint-Symphorien ; enfin le canal de communication des étangs de l’Olivier et de Berre, en partie creusé dans le roc, construit en 1660 pour assainir Istres contaminée par les eaux stagnantes de l’Olivier. Istres, où l’on pénètre par le portail d’Arles, fut autrefois, sous le nom d’Astromela, un important comptoir romain, et plus tard une ville fortifiée qui résista longtemps aux invasions des Sarrasins. Assise sur de prodigieux amas d’huîtres fossiles qui forment une ligne de monticules hauts de 40 mètres, entourée de cultures verdoyantes, la petite ville, d’allure féodale, quasi sarrasine, dresse des toits gris, une tour carrée d’église et des débris de remparts. Les Bénédictins de Miramas avaient fondé, non loin de là, la chapelle de Saint-Pierre de la Mer dans un site solitaire dont l’abbé de Régis fit ensuite sa retraite. Il y creusa dans les flancs de la montagne la très curieuse grotte qui porte son nom. Son développement total est de 207 mètres, et nous suivons avec intérêt les étroits couloirs ruisselants d’eau, les salles circulaires supportées par des piliers hexagonaux, les escaliers tournants dans lesquels la lumière de nos lanternes éveille les chauves-souris effrayées dont les cris aigus et les vols tournoyants nous accompagnent jusqu’à la sortie. « Un seul ouvrier, un mineur originaire du village de la Couronne, a creusé cette grotte, secondé par M. l’abbé de Régis qui, la boussole et le compas à la main, s’ouvrait une nouvelle route dans les entrailles de la montagne. » Tout près de la grotte, on voit un énorme bloc de rocher taillé en forme de vaisseau de ligne, fendu en deux, reste d’un monument élevé à la mémoire du bailli de Suffren. Puis, de l’anse du Ranquet où des chalands embarquent le sel des salines de Citis, on monte au village de Saint-Mitre d’où un chemin se dirige vers Port-de-Bouc.
À distance, avec la masse pittoresque de son fort, ses phares et ses cheminées, Port-de-Bouc donne l’illusion d’une ville importante. Lorsqu’après avoir traversé les méandres des salines on débouche sur le port, le grondement des marteaux-pilons, le bruit cadencé des riveuses électriques, les hautes carcasses des navires indiquent le voisinage de chantiers de constructions navales. La Société des chantiers et ateliers de Provence a, en effet, constitué en 1899 des chantiers de construction de coques de navires à Port-de-Bouc dont la situation est tout à fait exceptionnelle au point de vue de l’approvisionnement des matières qui peuvent parvenir soit par mer, soit par canaux, soit par voie ferrée. Ces chantiers, disposés dans un ordre méthodique qui se prête admirablement au groupement des matériaux et à la division du travail, sont dotés de tous les perfectionnements les plus récents de l’outillage électrique, hydraulique et pneumatique. De nombreux paquebots et cargos ont été construits et armés depuis dix ans à Port-de-Bouc, parmi lesquels le navire luxueux et confortable Espagne, destiné par la Compagnie générale transatlantique au service de la Vera-Cruz, constitue l’unité la plus considérable de la marine de commerce lancée dans la Méditerranée. L’exploitation de ces chantiers donne à la petite ville de Port-de-Bouc une animation extrême, encore momentanément accrue par les travaux en cours de la nouvelle voie ferrée de Miramas à l’Estaque qui traverse sur un beau viaduc l’étang de Caronte entre Port-de-Bouc et Martigues.
Cet étang de Caronte met l’étang de Berre en communication avec la Méditerranée par le golfe de Fos. On avait pensé que l’approfondissement du chenal de Caronte permettrait à la flotte de commerce de la Méditerranée, et même à la flotte de guerre de trouver un abri sûr et un port intérieur dans la petite mer de Berre dont les fonds permettraient le séjour aux navires du plus fort tirant d’eau. Mais ce projet, qui avait reçu un commencement d’exécution il y a quelque cinquante ans, n’a pas été suivi. Il avait, du reste, le tort de léser les intérêts des pêcheurs Martigaux qui considèrent comme un droit acquis l’usage quinze fois séculaire d’exploiter le chenal de Caronte en véritable réserve à poisson. Les « Bourdigaliers » ont, en effet, possédé de tout temps le long des canaux des Martigues et de Bouc des pêcheries comprenant tout un réseau de « lambes », de « cèdes », de « plans d’eau » dans lequel la capture abondante et facile du poisson est pratiquée au moyen d’un système d’engins en roseaux appelés « bourdigues ».
Aussi la pêche est-elle l’unique industrie de la petite ville des Martigues, bâtie dans un site extrêmement pittoresque au point de jonction des étangs de Caronte et de Berre. Cette situation, ainsi que enchevêtrement des canaux qui sillonnent l’agglomération et bordent la plupart des rues, ont valu aux Martigues l’épithète de Venise provençale. Évidemment, cette réputation est surfaite, mais on doit reconnaître un cachet bien particulier à cette bourgade baignant dans l’eau des étangs, dans l’intérieur de laquelle voguent les barques de pêche aux voiles multicolores, et qui est entourée d’une vieille ceinture de maisons de pêcheurs aux murs tapissés de filets et d’engins de pêche. Le grand soleil lumineux de Provence éclaire cet ensemble romantique et les peintres y trouvent des effets de lumière que l’on ne rencontre, affirment-ils, nulle part ailleurs. Par exemple, la propreté et l’hygiène semblent tout à fait ignorées des Martigaux, et nous engageons vivement les touristes dont l’odorat serait délicat, à ne pas se risquer à une promenade trop matinale dans les ruelles du bourg encombrées à cette heure par les seaux hygiéniques débordants, et même par les vulgaires vases de nuit, qui attendent sans nulle impatience le passage de la « répurgation »…
Dès le début du xvie siècle, la commune actuelle des Martigues était composée de trois communautés : Ferrières, l’Île et Jonquières, ayant chacune son église, ses consuls et son administration particulière. Les habitants ne vivaient pas en très bonne intelligence et des luttes intestines les divisaient depuis long temps. Dans un voyage qu’il entreprit en Provence en 1564, le roi Charles IX visita ces trois quartiers et, à la suite de conférences avec les députations des notables du pays, manifesta le désir de voir réunir les trois villes en une seule communauté. Bien des années s’écoulèrent sans que l’invitation royale fût mise à exécution. Chaque communauté déployait librement sur son église son drapeau qui était bleu pour Ferrières, blanc pour l’Île et rouge pour Jonquières. Enfin, le 21 avril 1581, l’acte d’union des trois communautés fut dressé solennellement dans l’église paroissiale de Ferrières, sous la présidence du prince Henri d’Angoulême, gouverneur de Provence, assisté de M. de Coriolis, président au Parlement. Ce jour-là, consuls et habitants abandonnèrent leurs anciennes rivalités ; il fut décidé que Ferrières, l’Île et Jonquières seraient réunis en une seule communauté sous le nom de ville des Martigues, et le drapeau unique aux trois couleurs flotta sur le beffroi communal.
Les derniers contreforts de la chaîne de l’Estaque séparent les Martigues de la côte méditerranéenne. C’est une véritable ascension que nous entreprenons par les zig-zags d’une route heureusement fort bien entretenue. Avec les nombreux lacets se succèdent les tournants brusques et dangereux fidèlement annoncés par les plaques « Touring Club ». La pente est tellement accentuée que, même en petite multiplication, nos bicyclettes nous refusent tout service et doivent être tenues à la main. Mais le pays est suffisamment accidenté et les points de vue assez variés pour compenser la longueur de la côte et, lorsque nous arrivons au col des Ventrons, quelques instants de repos sont bien employés à contempler un admirable panorama sur l’étang de Berre dont les eaux miroitantes sont dorées par les rayons du soleil matinal.
La descente vers Sausset est un enchantement. En roue libre, rafraîchis par la brise de mer, nous glissons sans bruit sur le chemin bordé tour à tour de prairies verdoyantes et d’ombrages touffus ; traversant les « Jardins » dont les maisons coquettes et les élégantes villas annoncent la côte prochaine ; entrant sous les hautes pinèdes des bois de Carry au sortir desquelles le petit port de Sausset étale la double ligne de ses jetées.
Au milieu d’un vaste parc remarquablement tracé, où les roseraies alternent avec les corbeilles de géraniums rutilants et de fleurs multicolores, où les hauts palmiers poussent en pleine terre, où les sous bois offrent des retraites fraîches et mystérieuses, se dresse une élégante villa dominant la mer de ses terrasses et de ses immenses verrières. C’est un véritable régal artistique de visiter cette belle demeure où les galeries de tableaux de maîtres, les meubles de style, les objets d’art sont harmonieusement disposés. Le propriétaire est M. Jules-Charles Roux, l’une des personnalités les plus marquantes de la Provence dont il a fait connaître la beauté par ses ouvrages où se révèle une passion pour la terre provençale, en même temps qu’il en développait la richesse par sa haute compétence industrielle. En vérité, ce lieu de repos fut bien choisi au-dessus du petit havre de Sausset abritant uniquement quelques barques de pèche, dont le calme offre un saisissant contraste avec l’agitation fébrile du port de Marseille pourtant tout proche, et où notre passage éveille à peine la curiosité des marins occupés au raccommodage des filets.
La côte de l’Estaque festonne tout le long du rivage en capricieux crochets, au travers de bois de chênes et de sapins. Nous la suivons jusqu’à Carry-le-Rouet, jolie station balnéaire fréquentée par les Marseillais. Nous voudrions prolonger cette promenade par les calanques de Méjean, de Niolon et de l’Establon, mais cette partie du littoral, qui sera bientôt traversée par la nouvelle ligne du P.-L.-M., n’est actuellement accessible que par des sentiers de douaniers ou de chèvres dans lesquels nous craignons de nous perdre. Nous voici donc remontés sur les hauteurs où perchent les villages d’Ensues et de Roye ; et ce n’est pas la partie la plus captivante de notre excursion. Des rochers dénudés, de maigres pâturages, des côtes interminables sans un arbre, la chaleur torride de midi. Nous avons hâte de quitter cette région désertique. Le défilé sauvage du Resquiardou, muraille aride dont le calcaire blanc est tout crevasse de ravines, nous amène à l’Estaque, au milieu des travaux gigantesques du chemin de fer et du canal de jonction du Rhône à Marseille. Les éboulements de rochers, les coups de mines, les sifflements des locomotives, le ferraillement des convois de ballast, le halètement des foreuses électriques, le grincement des poulies et des grues à vapeur font un vacarme assourdissant, tandis qu’une poussière fine et pénétrante nous enveloppe de ses nuages gris. Nous tenons néanmoins à jeter un coup d’œil sur les travaux du canal de jonction, et la bienveillance de l’administration des ponts et chaussées se prête obligeamment à la réalisation de ce désir.
Le percement du souterrain, en cours d’exécution, constitue la première partie d’un plan dont la réalisation mettra le port de Marseille en communication directe avec Arles, par voie d’eau. D’après le projet dressé par les services des ponts et chaussées le 17 juillet 1893 et dont l’exécution a été déclarée d’utilité publique par le Parlement à la suite de rapports très étudies, présentés notamment par M. Jules-Charles Roux, le canal de jonction partira du bassin de la Madrague à Marseille, longera la côte jusqu’à la pointe du Lave, devant le cap Janet et l’Estaque, traversera en tunnel le massif du Rove, débouchera dans l’étang de Berre dont il suivra la côte sud jusqu’à Martigues, empruntera le canal de Martigues à Port-de-Bouc à travers l’étang de Caronte, et le canal de Port-de-Bouc à Arles. La profondeur d’eau sera de 2 mètres entre Arles et Port-de-Bouc, correspondant aux conditions normales de la navigation du Rhône en eaux moyennes. Elle sera de 3 mètres entre Port-de-Bouc et Marseille afin de faciliter le passage des petits bâtiments marins propres à la navigation dans l’étang de Berre. La largeur avait été basée, dans le projet, sur 50 mètres de cuvette dans le golfe de Marseille et les étangs, sur 17 mètres dans le souterrain, et sur 46 mètres entre Port-de-Bouc et Arles. Mais ces dimensions ont été réduites en raison des modifications de la batellerie du Rhône. Les transports se faisaient, il y a vingt ans, par des bateaux porteurs à vapeur, longs de 135 mètres et larges de 14, dont les machines restaient inutilisées et les équipages inoccupés pendant les délais de chargement et de déchargement. Ce système coûteux a été remplacé par des chalands de 60 mètres de long sur 8 de large dont les remorqueurs n’ont à subir aucune période de chômage.
Le canal de jonction dont les travaux, d’une durée de sept ou huit ans, sont évalués à la somme de 80 millions partagée entre l’État, le département des Bouches-du-Rhône, la ville et la chambre de commerce de Marseille, sera de la plus grande utilité pour notre grand port méditerranéen. Il mettra Marseille à 378 kilomètres de Lyon. On compte d’une ville à l’autre 351 kilomètres de voie ferrée ; mais le prix de revient du transport des marchandises par chemin de fer ressort à 0 fr. 04 la tonne au kilomètre ; par voie navigable, le fret tombera à 0 fr. 02 ou 0 fr. 015 ; d’où une diminution d’environ 8 francs la tonne pour le parcours total, équivalant à une augmentation de 200 kilomètres du réseau commercial de Marseille. Ce dernier port verra, en outre, disparaître la situation désavantageuse qui lui est faite vis-à-vis du port de Gênes par le percement du Simplon.
Le souterrain qui traverse le massif rocheux de Rove aura un développement d’environ 7 kilomètres et demi jusqu’à sa sortie à Marignane, dans l’étang de Bolmon. Au niveau de naissance, la largeur est de 22 mètres, comprenant 18 mètres pour le canal et 2 mètres de chaque côté pour les banquettes de halage. Il sera creusé à la cote 3 et la hauteur prévue est de 11 m. 40 sous clef. La voûte est à trois centres se rapprochant du plein cintre. Les travaux de forage ont actuellement atteint une longueur de 2 900 mètres. On travaille par trois galeries, deux aux naissances et une au faite ; on fait ensuite communiquer les galeries pour dégager la couronne, puis la voûte est construite par tronçons de 6 mètres et on déblaie le noyau central. Le transport des déblais est effectué par des locomotives à air comprimé dans le souterrain et par des locomotives à vapeur à l’extérieur jusqu’au déchargement. Ce travail prodigieux coûtera une cinquantaine de millions.
Succédant à la longue promenade du matin, cette visite du tunnel, véritable ruche bourdonnante, nous a mis en appétit. Notre satisfaction est grande de nous retrouver au calme devant une bouillabaisse fumante et toute dorée de safran dans la salle du restaurant Mistral d’où la vue s’étend, admirable, sur la ville, le port et la rade de Marseille.
(À suivre.) | L. et Ch. de Fouchier. |
- ↑ Suite. Voyez page 253, 265, 277 et 289.