Sur l’enlèvement des reliques de saint Fiacre, apportées de la ville de Meaux pour la guérison du derrière du C. de R.

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Sur l’enlèvement des reliques de saint Fiacre, apportées de la ville de Meaux pour la guérison du derrière du C. de R.

1643



Sur l’enlèvement des reliques de saint Fiacre, aportées de la
ville de Meaux pour la guerison du derrière du C. de R.
1.

Miracle, citoyens ! celuy dont la fureur
Remplit toute l’Europe et de sang et d’horreur,
Met les grands à l’aumône et le peuple en chemise2,
Profane les autels et ravage l’Eglise,
Bourrelé de l’excès de son ambition,
S’alambique l’esprit de la religion,
Recherche les saints lieux, reclame les reliques,
Couvre de pieté ses humeurs tyranniques.
Demons, souffrirez-vous que ce faux Capelan
Puisse vivre en repos, qui commande en tyran ?
Que ce fameux ingrat, cet infame corsaire,
Loge dedans les cieux son ame sanguinaire ?
Non, je n’estime pas que ce soit son dessein ;
Vous êtes ses tuteurs, il suit votre destin.
Tous les deguisemens sont de votre fabrique ;
Il sçait tous les secrets de votre politique,
Embrasse vos conseils, se régit par vos loix,
Et brouille comme vous l’etat des plus grands roys.
Sous luy les plus vaillans conduisent les armées,
La France a pris le nom des Isles fortunées.
Un moine, un renégat, l’un blanc et l’autre gris3,
Servent insolemment ce cruel Phalaris ;
Le plus gros des voleurs dispose des finances,
Et le plus corrompu tient en main la balance.
Enfin la cruauté, la rage et le depit
Ont mis sous ce bon chef les bourreaux en credit ;
Mais toutes les vertus de cette ame bien née,
Ne se pouvant asseoir, s’en iront en fumée.
Les rares qualitez de ce grand favory
S’etoufferont bientôt, s’il a le cul pourry4.
Chirurgiens affronteurs, dont la vaine science
A trompé ce puissant ministre de la France,
Vous ne meritez pas d’avoir part aux honneurs,
Vous n’aurez plus ce digne objet de vos labeurs :
Vos consultations ne sont que des chimères.
Pour guerir ce derrière, il faut de grands mystères.
La terre ne peut plus soulager ses douleurs,
Elle ne peut souffrir l’eclat de ses grandeurs.
Le ciel, qui seul fournit à ses hautes pensées,
Prolongera le cours de ses belles années,
Forcera les destins, fera cesser ses maux,
Luy rendra la santé pour prix de ses travaux.
Il importe fort peu que le peuple malade
Des corps resçuscitez nous presente en parade.
Retirez-vous d’icy, podagres et teigneux,
Saint Fiacre5 n’a plus de vertu dans ces lieux.
Membres cicatrisez par des anciens ulcères,
Vous n’aurez plus de quoy soulager vos misères ;
Ce bon saint, delaissant son temple et ses autels6,
Abandonne le soin du reste des mortels.
Encor son entremise et sa sainte prière
Auront assez de peine à sauver ce derrière.
Son ulcère, vengeur du sang des innocens,
De leurs rudes prisons, de leurs cruels tourmens,
Ne peut quitter son maitre en luy laissant la vie,
Ny amoindrir son mal, augmentant sa folie.
Ce traitre neanmoins, en depit de son sort,
Et malgré le destin, fait un dernier effort,
Implore les secours d’une main souveraine,
Puisqu’elle a rendu son esperance vaine.
Nogent7, le plus falot de tous les favoris,
Avec un plein pouvoir est party de Paris,
Pour ravir cet ancien protecteur de la Brie,
Enlever saint Fiacre du sein de sa patrie.
Mechant ! c’etoit assez de ruiner tant d’estats,
De troubler le repos de tant de potentats,
Qu’un prêtre scelerat eût ravagé la terre,
Qu’il eût porté partout le flambeau de la guerre ;
Ton insolence va jusques dedans les lieux,
Tu fais venir les saints au lieu d’aller à eux,
Tu les assujettis aux loix de ton caprice,
Tu veux qu’ils soient temoins de tes noires malices.
Mais, helas ! tout fait joug sous cet enlevement ;
L’evêque, le clergé, sont sans ressentiment,
Et les peuples, reduits à un triste servage,
Souffrent sans murmurer voler leur heritage,
Piller leurs saints tresors, prendre leurs ossemens,
Fouiller au plus sacré de tous leurs monumens.
Deux graves deputez chargez de la conduite
Mettent par les chemins tous les galleux en fuite,
Reservant la vertu de ce vol pretieux
Pour donner guerison à ce cul glorieux.
Thetis, doyen de Meaux, en habit magnifique,
Doit estre le premier porteur de la relique ;
Le bon docteur Julien, quoy qu’en très grand emoy,
Suivra cet harangueur au mepris de sa foy,
Et, quoy qu’il soit le plus zelé de la Sorbonne,
Quitte son serieux, et prend l’humeur boufonne,
Prête son ministère à ce plaisant esbat,
Qui ressemble à celui qui se fait au Sabbat.
Armand dedans son lit reçoit cet ambassade,
Et, la face tournée, offre son cul malade,
Surpassant la fierté des princes ottomans,
Qui presentent leurs dos à leurs chers courtisans.
L’orateur, étonné de cette pourriture,
Ateste ciel et terre et toute la nature ;
Dit que l’on fait grand tour à la vertu du saint ;
Du voyage inutile et du travail se plaint ;
Qu’il est vray qu’un teigneux, un galeux, un podagre,
Sont objets du pouvoir de monsieur saint Fiacre ;
Mais qu’il ne guerit pas un phantôme sans corps ;
Que sa vertu ne peut resusciter les morts ;
Qu’il ne peut pas ôter le butin à la terre,
Ny sauver ce mechant, plus digne de tonnerre ;
Que ce cul est dejà le partage des vers,
Et que l’ame d’Armand est le prix des enfers.
Ainsi, tous murmurans, deputez et reliques
Crient qu’on les a pris pour de vrais empiriques ;
Qu’on les a fait venir pour soulager un mal
Dont le ciel, juste auteur, punit ce cardinal,
Dompte ce furieux et venge l’arrogance
Qui lui fait mepriser les princes de la France,
Qui fait porter son trône au dessus de nos lys ;
Mais l’insolent ne peut y demeurer assis.
Ce cruel Philistin a senty la vengeance
Du grand Dieu protecteur de l’arche d’alliance,
Cet impie est frappé, mais non pas dans le cœur :
Un poltron n’eut jamais cette marque d’honneur ;
Son dos, son cul, rongez, serviront de victimes
Et d’expiation aux horreurs de ses crimes.



1. Nous trouvons cette pièce dans le Tableau de la vie et du gouvernement de messieurs les cardinaux Richelieu et Mazarin et de monsieur Colbert, representé en plusieurs satyres et poésies ingénieuses, etc. Cologne, P. Marteau, 1694, in-12, p. 29–33. Elle avoit été publiée séparément, sous un titre moins atténué que celui qui se lit ici : Sur l’enlevement des reliques de saint Fiacre, pour la guerison du cul de M. le cardinal de Richelieu, 1643, in-8.

2. C’est le mot de François Ier sur les Guise, mot mis ainsi en quatrain par Passerat :

Françoys premier predit ce point,
Que ceux de la maison de Guise
Mettroient ses enfants en pourpoinct
Et son pauvre peuple en chemise.

3. Je n’ai pas besoin de faire remarquer qu’il s’agit ici du P. Joseph, l’éminence grise.

4. « Le cardinal estoit sujet aux hemorroïdes, dit Tallemant, et Juif l’avoit une fois charcuté à bon escient. » (Edit. in-12, t. 2, p. 229.) C’est de Jean-Jacques Juif que Tallemant parle ici. Il étoit chirurgien du roi, et célèbre pour ces sortes d’opérations. Il en avoit fait une pareille à Voiture, qui l’en remercia dans ces vers :

J’ai reçu deux coups de ciseau
Dans un lieu bien loin du museau,
Dans un Landerirette.
Je m’en porte mieux, Dieu merci !
Dans un Landeriri.

Juif mourut en 1658.

5. La maladie dont souffroit le cardinal se rapprochoit de celle qu’on appeloit fic ou ficus, et que la ressemblance de son nom avec celui de saint Fiacre avoit fait placer sous l’invocation de ce patron. V. Gloss. de du Cange, au mot Ficus, t. 3, p. 280, col. 3, et Le Duchat, remarques sur le chap. 2, liv. 2, de la Confession de Sancy. On lit dans l’Etymologie des proverbes fançois de Fleury de Bellingen, p. 317, un plaisant passage de l’Hippocrate dépaysé, au sujet de cette maladie et de son opération :

Grand bien fait ce mal de saint Fiacre,
Qui veut dire autant que fi atre
Quand on vuide le sang du cul
A gens mornes comme un cocu,
A la phrenesie arrangée ;
Par le cul la teste est purgée.

6. Saint Fiacre avoit vécu en solitaire dans le diocèse de Meaux, et c’est dans cette ville que sont encore ses reliques. V. Mabillon, Acta SS. Benedict., t. 2, p. 599.

7. C’est Bautru, l’un des amuseurs du cardinal. Sa femme, qui craignoit que la reine Marie de Médicis et plus tard Mazarin ne prononçassent son nom à l’italienne, ne se faisoit appeler que madame de Nogent. (Menagiana, 1715, in-8, t. 1, p. 267. Fr. Barrière, La Cour et la ville, p. 32–33.)