Système national d’économie politique/Préface de l’auteur

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PRÉFACE DE L’AUTEUR


Si, comme on le dit, la préface d’un livre doit en raconter l’origine, j’ai ici à retracer près de la moitié de ma vie ; car plus de vingt-trois ans se sont écoulés depuis que le premier doute s’est élevé en moi sur la vérité de la théorie régnante en économie politique, depuis que je m’occupe de scruter les erreurs de cette théorie et de rechercher les causes principales qui leur ont donné naissance. Je serais bien à plaindre, en vérité, s’il se trouvait à la fin que, pendant tout ce temps, je n’ai fait que courir après des chimères, lorsque ce n’est ni une trop haute opinion de mes forces ni un excès d’ambition qui m’ont déterminé à me proposer un but si élevé et à le poursuivre si opiniâtrément. Les fonctions que je remplissais m’en ont fourni la première occasion ; ma destinée m’a entraîné malgré moi et avec une force irrésistible, une fois entré dans la voie du doute et de l’examen, à continuer d’y marcher.

Les Allemands de mon époque se rappelleront quelle profonde atteinte la prospérité de l’Allemagne avait éprouvée en 1818. J’avais alors à préparer un cours d’économie politique ; j’avais, tout aussi bien qu’un autre, étudié ce qu’on avait pensé et écrit sur ce sujet, mais je ne voulais pas me borner à instruire la jeunesse de l’état de la science ; je tenais à lui enseigner aussi les moyens de l’ordre économique capables de développer le bien-être, la culture et la puissance de l’Allemagne. La théorie présentait le principe de la liberté du commerce. Ce principe me paraissait raisonnable, assurément, et, de plus, éprouvé par l’expérience, lorsque je considérais les effets de l’abolition des douanes provinciales de France, et ceux de l’union des trois royaumes britanniques ; mais les prodigieux résultats du système continental et les suites désastreuses de sa suppression étaient trop près de moi pour que je pusse n’en point tenir compte ; ils me semblèrent donner a ma doctrine un éclatant démenti, et en tâchant de m’expliquer cette contradiction, je vins à reconnaître que toute cette doctrine n’était vraie qu’autant que toutes les nations pratiqueraient entre elles la liberté du commerce comme elle avait été pratiquée par les provinces en question. Je fus conduit ainsi à la notion de la nationalité ; je trouvai que la théorie n’avait vu que l’humanité et les individus, et point les nations. Il devint évident pour moi qu’entre deux pays très-avancés la libre concurrence ne peut être qu’avantageuse à l’un et à l’autre, s’ils se trouvent à peu près au même degré d’éducation industrielle, et qu’une nation en arrière, par un destin fâcheux, sous le rapport de l’industrie, du commerce et de la navigation, qui, d’ailleurs, possède les ressources matérielles et morales nécessaires pour son développement, doit avant tout exercer ses forces afin de se rendre capable de soutenir la lutte avec les nations qui l’ont devancée. En un mot, je distinguai entre l’économie cosmopolite et l’économie politique, et je me dis que l’Allemagne devait abolir ses douanes provinciales ; puis, à l’aide d’un système commun vis-à-vis de l’étranger, s’efforcer d’atteindre le même degré de développement en industrie et en commerce, auquel d’autres nations étaient parvenues au moyen de leur politique commerciale. Mais, au lieu de poursuivre cette idée par l’étude, mon esprit pratique me poussa à en tenter l’application ; j’étais jeune alors.

Il faut se transporter en imagination à l’année 1819, pour s’expliquer ma conduite. Gouvernants et gouvernés, nobles et bourgeois, administrateurs et savants, tout le monde se repaissait, en Allemagne, de plans de régénération politique. L’Allemagne ressemblait à un domaine dévasté par la guerre, où les anciens propriétaires, rentrés dans leurs droits et redevenus maîtres de leurs biens, sont à la veille de se réinstaller. Les uns demandaient le rétablissement de l’ordre de choses antérieur avec tout son vieux bagage et toutes ses friperies ; les autres, des institutions rationnelles et des instruments tout neufs. Ceux qui écoutaient à la fois la voix de la raison et celle de l’expérience, désiraient un moyen terme entre les prétentions anciennes et les besoins nouveaux. Partout régnaient la contradiction, la lutte entre des opinions diverses, partout se formaient des associations pour la poursuite de buts patriotiques. La constitution fédérale elle-même était une forme nouvelle, tracée la hâte, considérée, même par des diplomates éclairés et réfléchis, comme un embryon, dont le développement à l’état de corps bien organisé était voulu par ses propres auteurs, mais laissé aux progrès du temps. Un article, le dix-neuvième, avait expressément réservé l’organisation d’un système de commerce national. Je vis dans cet article la base sur laquelle il fallait fonder la prospérité industrielle et commerciale de ma patrie allemande, et alors je conçus l’idée de créer une association de fabricants et de négociants[1], ayant pour but d’obtenir la suppression des douanes provinciales, et l’adoption d’un système commun de commerce. On sait comment cette société s’est constituée et quelle influence elle a exercée sur la formation d’une association entre les souverains éclairés et magnanimes de Bavière et de Wurtemberg, et plus tard sur celle de l’Association douanière allemande.

Comme agent de la Société de commerce, ma position était délicate. Tous les fonctionnaires publics instruits, tous les rédacteurs de journaux et de brochures, tous les écrivains qui traitaient les matières économiques, élevés comme ils l’étaient à l’école cosmopolite, voyaient dans une protection douanière quelconque une abomination théorique ; joignez à cela les intérêts de l’Angleterre et ceux des courtiers de l’industrie anglaise dans les ports maritimes et dans les places de foire. On sait que le cabinet anglais, accoutumé à ne pas lésiner quand il s’agit des intérêts commerciaux du pays, possède dans son secret service money (fonds secrets) le moyen de venir partout, à l’étranger, en aide à l’opinion publique. Il parut une multitude de correspondances et de brochures, émanées de Hambourg et de Brême, de Leipsick et de Francfort, contre le vœu insensé des fabricants allemands en faveur d’une protection de douane commune, et contre leur conseiller ; ils reprochaient à ce dernier, dans des termes durs et méprisants, de ne pas savoir les premiers principes de l’économie politique, principes reconnus par tous les hommes instruits, ou du moins de n’être pas capable de les comprendre. Ces organes des intérêts anglais avaient d’autant plus beau jeu que la théorie régnante et la conviction des hommes de science étaient pour eux. Dans le sein de la Société elle-même il régnait une grande diversité d’avis. Les uns ne voulaient que la liberté du commerce au dedans, laquelle, sans protection vis-à-vis de l’étranger, eût été évidemment, dans l’état du monde, quelque chose de pis que le maintien des douanes provinciales ; c’étaient ceux qui avaient des intérêts dans le commerce des foires et dans celui des denrées coloniales. Les autres, surtout les fabricants, réclamaient le principe de rétorsion comme étant le plus sage, le plus avantageux et le plus juste. Ces derniers étaient en petit nombre, et une partie d’entre eux étaient ruinés à demi ou entièrement par la concurrence anglaise. Quoi qu’il en soit, l’agent était tenu de les suivre pour avoir des partisans. Une œuvre politique, et en général une œuvre en commun, n’est possible qu’au moyen de transactions entre les opinions diverses de ceux qui poursuivent le même but immédiat. Le but prochain était alors l’abolition des douanes provinciales, et l’établissement d’une douane nationale. Les barrières intérieures une fois tombées, aucune divinité ne pourrait les relever. Lorsque la douane nationale aurait été établie, on aurait toujours le temps de lui donner une meilleure base, et cela d’autant mieux que le principe de rétorsion accordait pour le moment au delà des exigences du principe de protection.

Le combat était visiblement inégal : d’un côté une théorie achevée dans toutes ses parties et d’une autorité incontestée, une école compacte, un parti puissant ayant des orateurs dans toutes les législatures et dans tous les conseils, mais surtout le grand levier, l’argent[2] ; de l’autre côté, la pauvreté et le besoin, la diversité d’opinions, la discorde intestine et le manque absolu de base théorique. Cette lutte servit à l’avancement de mes idées, autant qu’elle nuisit à ma réputation. Au milieu des combats quotidiens que j’avais à soutenir, je découvris la distinction entre la théorie des valeurs et celle des forces productives et l’abus que fait l’école du mot de capital ; j’aperçus la différence qui existe entre l’industrie manufacturière et l’agriculture, je reconnus la fausseté des arguments de l’école, lorsqu’elle invoque en faveur du libre commerce des produits manufacturés, des considérations qui n’ont de force qu’à l’égard des produits agricoles. Je commençai à concevoir le principe de la division du travail mieux que l’école ne l’a expliqué, et à comprendre comment il est applicable à des nations entières. Mais je n’avais fait connaître que très-imparfaitement ma pensée, et j’acquis si peu de gloire par mes consciencieux efforts, que le Conversations-Lexicon, pendant mon absence de l’Allemagne, ne craignit pas de représenter sous le jour le plus défavorable toute ma conduite, comme agent de la Société de commerce allemande, et même de soutenir que je m’étais paré des dépouilles d’autrui.

Depuis, j’ai parcouru l’Autriche, l’Allemagne du Nord, la Hongrie et la Suisse, la France et l’Angleterre, et j’ai cherché partout à m’instruire par l’étude de l’état social ainsi que par des lectures. Ma destinée m’ayant ensuite conduit aux États-Unis, je laissai là tous les livres ; ils n’auraient pu que m’égarer. Le meilleur livre sur l’économie politique qu’on puisse lire dans cette contrée nouvelle, c’est la vie. On y voit des solitudes se changer en riches et puissants États. C’est là seulement que je me suis fait une idée nette du développement graduel de l’économie des peuples. Un progrès qui, en Europe, a exigé une suite de siècles, s’accomplit là sous nos yeux ; on y voit les sociétés passer de l’état sauvage à l’élève du bétail, de cette dernière condition à l’agriculture, et de l’agriculture aux manufactures et au commerce. C’est là qu’on peut observer comment la rente de la terre s’élève peu à peu de zéro à un chiffre considérable. Là, le simple paysan connaît mieux que les savants les plus perspicaces de l’ancien monde, les moyens de faire prospérer l’agriculture et d’augmenter la rente ; il s’efforce d’attirer des manufacturiers, des fabricants dans son voisinage. Là, les contrastes entre les pays agricoles et les pays de manufactures se produisent de la manière la plus tranchée et occasionnent les plus violentes convulsions. Nulle part on n’apprécie mieux les voies de communication et leur influence sur la vie morale et matérielle des peuples. Ce livre, je l’ai lu avidement et assidûment, et les leçons que j’y ai puisées, j’ai essayé de les coordonner avec les résultats de mes études, de mes expériences et de mes réflexions antérieures. De là est sorti un système, qui, quelque défectueux qu’il puisse paraître encore, ne repose pas du moins sur un cosmopolitisme vague, mais sur la nature des choses, sur les leçons de l’histoire et sur les besoins des nations. Ce système offre les moyens de mettre d’accord la théorie et la pratique, et de rendre accessible à tout esprit cultivé, la science de l’économie politique, qui, jusqu’ici, par sa boursouflure scolastique, par ses contradictions et par sa terminologie vicieuse, a dérouté le sens commun. C’est là une mission que j’ai eue devant les yeux depuis la fondation de la Société de commerce allemande, mais que j’ai souvent désespéré de pouvoir accomplir.

Ma destinée a voulu que je trouvasse dans l’Amérique du Nord un encouragement inattendu à poursuivre mes idées. Me trouvant en relation avec les hommes d’État de l’Union les plus considérables, en particulier avec le président de la Société pennsylvanienne pour l’avancement des manufactures et des arts, Ch. J. Ingersoll, on sut que je m’étais occupé d’économie politique. Or, en 1827, les fabricants américains et les défenseurs de l’industrie nationale étant vivement attaqués au sujet du tarif par les partisans du libre commerce, Ingersoll m’engagea à traiter cette question. Je le fis, et avec quelque succès, comme le prouve le document ci-joint[3].

Les douze lettres où j’exposais mon système, ont été non-seulement publiées dans la Gazette nationale de Philadelphie, mais encore reproduites par plus de cinquante journaux des provinces, éditées sous forme de brochure par la Société pour l’avancement des manufactures avec ce titre : « Outlines of a new System of Political Economy[4] », et répandues à plusieurs milliers d’exemplaires. Je reçus aussi des félicitations les hommes les plus considérables du pays, par exemple du vénérable James Madison, de Henry Clay, d’Édouard Livingston, etc.

Je me livrais avec ardeur, suivant le vœu de la Société pour l’avancement des manufactures et des arts de Philadelphie, à la composition d’un grand ouvrage sur l’économie politique, et déjà l’introduction en était imprimée, quand une affaire qui s’offrait à moi m’empêcha pour longtemps de m’occuper de travaux littéraires. La politique et le métier d’écrivain sont, aux États-Unis, des occupations peu lucratives ; celui qui veut s’y consacrer et qui n’a pas de fortune, cherche d’abord à assurer, au moyen de quelque entreprise, son existence et son avenir. Je jugeai à propos de me conformer à cette maxime ; et les connaissances en matière de chemins de fer que j’avais précédemment acquises en Angleterre, l’heureuse découverte d’un nouveau gîte houiller, et l’achat non moins heureux de terrains considérables qui en dépendaient, m’en fournirent l’occasion.

Cette affaire toute matérielle et, en apparence, sans relation avec mes travaux littéraires, me fit faire de sérieux progrès dans mes études et dans mes idées économiques. Jusque là je n’avais compris l’importance des voies de communication que d’après la théorie des valeurs ; je n’en avais observé les . effets que dans le détail et relativement à l’extension du marché, ainsi qu’à la diminution des prix des produits matériels. Alors, je commençai à les envisager du point de vue de la théorie des forces productives et dans leur action collective, comme système national de communications, par suite, sous le rapport de leur influence sur l’existence morale et politique, sur les relations sociales, sur la force productive et sur la puissance des nations. Je compris alors la corrélation qui existe entre l’industrie manufacturière et un système national de communications, je vis qu’ils ne pouvaient attendre un grand développement l’un sans l’autre. Je me trouvai ainsi en état de traiter cette matière, d’une manière plus large, je puis le dire, qu’aucun autre économiste avant moi, et en particulier de mettre en évidence la nécessité et les avantages de systèmes nationaux de chemins de fer, avant qu’aucun autre économiste, en Angleterre, en France ou aux États-Unis, eût songé à les considérer de ce point de vue élevé.

J’aurais à m’accuser moi-même de jactance au sujet de cette déclaration, si je ne m’y voyais pas obligé par les outrages et les mauvais procédés de toute espèce qu’il m’a fallu essuyer pour m’être fait le promoteur d’un système allemand de chemins de fer. On m’a dépeint au public comme un homme qui cherche à acquérir de l’importance, un nom, de l’influence et de l’argent, en exaltant déclamatoirement quelque nouveauté. Un journal littéraire, très-respectable d’ailleurs, du nord de l’Allemagne, après une appréciation passablement superficielle de mon article Canaux et chemins de fer dans le Staatslexicon (dictionnaire politique), a fait de moi une espèce d’enthousiaste, dont l’imagination échauffée grossit tout, et voit une multitude de choses que les yeux des autres hommes ne perçoivent pas. Il y a quatre ou cinq ans, plusieurs articles datés de Leipsick, publiés dans des journaux de Nuremberg et de Francfort, ont été plus insultants encore[5] ; on a poussé l’ignorance et l’insolence au point de me signaler au public allemand comme un charlatan ou un rêveur économique. Dans l’article Chemins de fer du nouveau Conversations-Lexicon (dictionnaire de conversation), on a été jusqu’à me reprocher d’avoir été le principal fauteur de ces misérables jeux de bourse qui, à la suite de la première souscription de Leipsick, ont jeté tant de discrédit sur ces entreprises, tandis que, au contraire, c’est mon énergique opposition contre les jeux de bourse qui m’a fait encourir la disgrâce des joueurs. Mon article ci-dessus mentionné s’explique trop clairement à ce sujet, pour qu’il soit nécessaire de me défendre ici contre de méprisables attaques. Je n’ai qu’une observation à faire, c’est qu’on a usé envers moi de mauvais procédés, de procédés que rien ne justifie, parce que je m’étais trouvé sur le chemin de certaines personnes, de certains intérêts privés, et qu’ensuite, comme par surcroît, on m’a décrié, parce que, craignant que je ne révélasse dans toute leur nudité les intrigues dont j’avais été l’objet, on a voulu me prévenir auprès du public allemand. Mes adversaires, en général, plutôt trompés que trompeurs, ne connaissaient ni mes sentiments, ni ma situation, ni l’étendue de mes ressources.

Bien loin de songer à importuner le public allemand de ces misérables débats privés, dès le commencement de ces intrigues, j’avais pris la ferme résolution de supporter en silence toutes les calomnies publiques ou particulières ; d’abord, pour ne pas nuire à la bonne cause à laquelle j’ai déjà sacrifié tant d’années de ma vie, et tant d’argent si péniblement gagné, puis pour ne pas m’ôter la tranquillité d’esprit que réclame la poursuite de mon but ; Puis enfin, dans l’espérance que j’avais et que j’ai toujours, qu’on finira par me rendre justice, du moins sous ce rapport.

Dans un tel état de choses, je puis bien ne pas craindre l’accusation de vanterie, quand je revendique comme un travail qui m’est exclusivement propre, à part les détails d’intérêt local, les arguments et les considérations économiques qui se trouvent dans les rapports de Leipsick, quand je soutiens que c’est moi, moi seul qui, dès le commencement, ai donné au comité du chemin de fer de Leipsick cette tendance nationale qui a si fortement ému l’Allemagne entière, et qui a porté de si beaux fruits ; que, durant les huit dernières années, j’ai été occupé nuit et jour à pousser la question des chemins de fer dans toutes les parties de l’Allemagne par des excitations, par des lettres, par des mémoires. J’affirme tous ces faits avec la pleine conviction que nul homme d’honneur en Saxe ne pourra ou ne voudra, publiquement et en signant son nom, me contredire sur aucun.

Les intrigues qui viennent d’être dénoncées expliquent en grande partie pourquoi les économistes allemands ont, jusqu’à présent, rendu si peu de justice à mes travaux sur les chemins de fer, pourquoi, dans leurs écrits, au lieu de reconnaître ce que les miens ont de neuf et d’original, ils m’ont, ou passé entièrement sous silence, ou cité d’une manière générale[6].

Mes efforts dans le but de créer un réseau de fer allemand, mission qui seule avait pu me déterminer à quitter pour de longues années une situation brillante aux États-Unis, ces efforts, dis-je, et les occupations toutes pratiques auxquelles je m’étais livré en Amérique, m’avaient empêché de poursuivre mes travaux littéraires, et peut-être ce livre n’eût-il jamais vu le jour, si, grâce aux mauvais procédés dont j’ai parlé, je ne m’étais pas trouvé inoccupé, et stimulé par le désir de sauver ma réputation.

Pour rétablir une santé altérée par le travail et par des chagrins inouïs, je fis au printemps de 1837 le voyage de Paris. J’y appris par hasard qu’une question relative à la liberté et aux restrictions en matière de commerce, déjà une fois proposée, avait été remise au concours par l’Académie des sciences morales et politiques. Là-dessus, je me décidai à mettre par écrit la substance de mon système[7]. Mais, réduit, faute d’avoir avec moi mes travaux antérieurs, aux seules ressources de ma mémoire, et n’ayant devant moi qu’un délai rigoureux d’à peine quinze jours, mon œuvre dut être naturellement très-imparfaite. Néanmoins la commission de l’Académie le rangea parmi les trois premiers mémoires, sur vingt-sept qui lui avaient été adressés[8]. J’eus lieu d’être satisfait de ce résultat, pour un travail fait si rapidement, le Prix n’ayant pas été décerné[9], et surtout les juges appartenant tous par leur foi scientifique à l’école cosmopolite. Aujourd’hui, en effet, pour ce qui est de la théorie du commerce international et de la politique commerciale, c’est peut-être pis encore en France qu’en Allemagne. M. Rossi, homme d’un rare mérite dans les sciences politiques en général, et en particulier dans l’économie politique, dont il a élaboré plusieurs points particuliers, mais élevé dans de petites cités de l’Italie et de la Suisse où il est impossible de comprendre et d’apprécier l’industrie et le commerce dans les proportions nationales[10], où l’on est obligé, par conséquent, de fonder toutes ses espérances sur la mise en pratique de la liberté générale du . commerce, comme ceux qui ne trouvent plus de consolations ici-bas, ont coutume de mettre tout leur espoir dans les joies de l’autre monde ; M. Rossi n’a pas conçu de doutes touchant le principe cosmopolite, et l’idée ne lui est pas venue que l’histoire pouvait fournir sous ce rapport d’autres lumières que celles qu’on trouve chez Adam Smith. M. Blanqui, connu en Allemagne par son Histoire de L’Économie politique, a depuis, borné son ambition à délayer Say, qui lui-même avait délayé Adam Smith. Quiconque a jeté un coup d’œil impartial et réfléchi sur l’histoire du commerce et de l’industrie, trouvera dans ses ouvrages un déluge de choses insipides[11].

Ce n’est pas de ces deux hommes, assurément, qu’émane le jugement favorable porté sur mon mémoire, je l’attribue au baron Dupin. M. Dupin, qui a de l’éloignement pour toute théorie, et qui est cependant un homme de beaucoup de réflexion et d’expérience, n’a point trempé dans les systèmes. Lui à qui la France doit un tableau statistique de ses forces productives, aurait dû trouver la doctrine des forces productives, s’il avait pu vaincre sa répugnance pour les théories. Dans la préface de cet ouvrage, M. Dupin exprime nettement cette aversion. Il a J. B. Say en vue, lorsqu’il dit, avec une intention railleuse, qu’il n’a pas eu la vaine prétention de forger des systèmes, et de juger de toutes les nations d’après une seule. Je ne vois pas, toutefois, comment, sans une bonne théorie, on peut arriver à une pratique conséquente. On pourra objecter, il est vrai, que les hommes d’Etat anglais ont, sans théorie, été d’assez bons praticiens durant des siècles ; mais il serait facile de répondre que la maxime, vendre des objets fabriqués et acheter des matières brutes, a, durant des siècles, en Angleterre, tenu lieu de toute une théorie. Ce n’est vrai, toutefois, qu’en partie, puisque, cette maxime n’a pas épargné à l’Angleterre la faute grossière de prohiber, a diverses époques, l’importation du blé et d’autres produits agricoles. Quoi qu’il en soit, je crois pouvoir le conclure de quelques mots que m’a dits M. Dupin, l’affinité de ses tableaux statistiques avec ma théorie n’avait pu échapper à sa sagacité : de là son jugement favorable. Il y avait dans ce concours d’autres juges ayant écrit sur l’économie politique ; mais si l’on feuilletait leurs ouvrages, pour y chercher quelque chose qui ressemblât à une pensée originale, on n’y trouverait rien de plus que political economy made easy[12], comme parlent les Anglais ; des choses à l’usage des dames qui se mêlent de politique, des petits maîtres parisiens et autres amateurs, enfin les paraphrases des paraphrases d’Adam Smith ; de pensées originales, il n’en était pas question ; cela faisait pitié.

Le travail en langue française, cependant, ne fut pas plus dépourvu d’utilité pour moi que mes précédents travaux en anglais ; non-seulement je fus confirmé dans ma première opinion, qu’un bon système devait reposer sur une bonne base historique ; mais je reconnus de plus que je n’avais pas poussé mes études historiques assez loin. Aussi, lorsque, après avoir avancé ces études, je relus plus tard mes écrits en langue anglaise et particulièrement les cinq feuilles déjà imprimées d’une introduction historique, je les trouvai pitoyables. Peut-être le lecteur inclinera-t-il à trouver tels aussi ceux que je lui présente sous le costume allemand. J’avoue franchement et sans affectation, beaucoup peut-être ne le croiront que trop volontiers, qu’en relisant mes premiers chapitres, après l’achèvement du dernier, je n’en fus pas plus satisfait, et que je fus sur le point de sacrifier mon œuvre allemande, comme j’avais sacrifié mes œuvres anglaise et française. Mais je changeai d’avis. Celui qui poursuit ses études, va toujours en avant, et l’élaboration doit cependant avoir un terme. Je me présente donc devant le public, avec la pensée décourageante, qu’on trouvera beaucoup à reprendre dans mon ouvrage ; je reconnais moi-même en écrivant cette préface que j’aurais pu mieux faire et mieux dire ; une espérance, cependant, me soutient, c’est qu’on trouvera aussi dans ce livre plus d’une vérité neuve et quelques vues éminemment utiles à ma patrie allemande.

C’est principalement ce désir d’être utile à mon pays qui explique pourquoi, souvent peut-être téméraire et tranchant, j’ai porté un arrêt de condamnation sur les opinions et sur les travaux de quelques auteurs et d’écoles tout entières. La présomption n’y a été pour rien, je l’assure ; partout, j’ai obéi à la conviction que les opinions blâmées étaient dangereuses, et que, pour agir utilement, il fallait les combattre avec énergie et sans détours. On a tort, du reste, de croire que les hommes qui ont rendu d’éminents services à la science doivent être respectés dans leurs erreurs ; tout au contraire, les hommes célèbres et qui font autorité nuisent par leurs erreurs plus que des écrivains insignifiants, et ils doivent, par conséquent, n’être combattus qu’avec plus de rigueur. Qu’une forme plus douce, plus modérée, plus humble, avec certaines réserves, et des compliments distribués à droite et à gauche, eût mieux servi mes intérêts personnels, je ne l’ignore pas ; je sais aussi que le juge sera jugé à son tour. Mais où est le mal ? Je mettrai à profit les sévères arrêts de mes adversaires pour corriger mes fautes, dans le cas où, ce que j’ose à peine espérer, cet ouvrage parviendrait à une seconde édition. J’aurai été ainsi doublement utile, excepté à moi-même.

Pour les juges équitables et indulgents qui voudront bien admettre mon excuse, j’ajoute que je n’ai pas employé à la composition de cet ouvrage autant de temps, à beaucoup près, qu’à mes recherches et à mes méditations, que les chapitres en ont été écrits à diverses époques, et souvent avec rapidité ; et que je suis loin de me figurer doué de facultés intellectuelles extraordinaires. Cette observation est nécessaire, afin qu’on ne conçoive pas de trop grandes espérances d’un enfantement si pénible après une gestation si longue ; afin que l’on s’explique pourquoi çà et là je parle d’un temps à demi ou tout à fait écoulé comme du présent, et qu’on ne me reproche pas trop des répétitions fréquentes ou même des contradictions sur des détails. Pour ce qui est des répétitions, quiconque est un peu initié à l’économie politique sait que les diverses parties de cette science s’enchevêtrent les unes dans les autres, et qu’il vaut beaucoup mieux répéter dix fois la même chose que de laisser un seul point obscur. Du reste, l’opinion que j’ai de mes propres forces ressort surtout de l’aveu qu’il m’a fallu tant d’années pour mener à fin quelque chose de passable. Les grands esprits produisent promptement et aisément ; les esprits ordinaires ont besoin de beaucoup de temps et de labeur. Mais aussi, favorisés par les circonstances, ils peuvent parfois produire une œuvre extraordinaire, surtout s’ils trouvent une théorie mûre pour tomber, et si la nature les a doués d’un peu de jugement et de quelque persévérance à éclaircir leurs doutes. Le pauvre, lui aussi, peut devenir riche en accumulant pfennig sur pfennig, thaler sur thaler.

Pour aller au-devant du soupçon de plagiat[13], je ferai remarquer que la plupart des idées développées dans cet écrit ont été déjà bien des fois émises par moi dans des journaux allemands et français, notamment dans la Gazette d’Augsbourg, souvent, il est vrai, très en raccourci dans des articles de correspondance. Je ne puis pas m’empêcher, à cette occasion, de témoigner publiquement ma reconnaissance envers mon intelligent et savant ami, le docteur Kolb, qui n’a pas craint de donner place dans un journal aussi accrédité que le sien à des idées et à des arguments jugés d’abord souvent si téméraires. J’ai une dette semblable à acquitter envers le baron de Cotta, lequel marche avec une si glorieuse ardeur sur les traces d’un père qui a rendu de si grands services à l’industrie comme à la littérature allemandes. C’est un devoir pour moi de déclarer hautement que le propriétaire de la plus célèbre librairie du monde m’a prêté, dans l’œuvre des chemins de fer allemands, plus d’assistance que qui que ce soit en Allemagne, et que c’est lui qui m’a déterminé à publier, d’abord une esquisse de mon système dans la Vierteliahrschrift (Revue trimestrielle), puis le présent ouvrage.

Afin qu’on ne me reproche pas à tort d’avoir été incomplet, il est bon d’avertir, que mon dessein dans ce premier volume a été de réunir ce que j’avais à dire de neuf et d’original sur le commerce international et la politique commerciale et en particulier sur les moyens de constituer un système national allemand. J’ai cru aussi, dans ce moment décisif, servir ainsi beaucoup mieux la cause de l’industrie allemande, qu’en mêlant le neuf avec le vieux, le certain avec le douteux, et en réchauffant ce qui a été déjà dit cent fois. J’ai dû aussi omettre d’autres découvertes que je crois avoir faites dans d’autres branches de l’économie politique, et que je dois à mes observations et à mes expériences, à mes voyages et à mes études. J’ai étudié notamment l’organisation agraire et la constitution des propriétés, les moyens de faire naître l’aptitude au travail et d’éveiller l’esprit d’entreprise en Allemagne, les maux qui accompagnent l’industrie manufacturière, et les moyens d’y porter remède et de les prévenir, l’émigration et la colonisation, la création d’une marine allemande et l’extension du commerce extérieur, les effets de l’esclavage et son abolition, la situation et les vrais intérêts de la noblesse allemande. Les résultats de ces études, quand bien même ils n’étendraient pas démesurément cet ouvrage, ne doivent pas y trouver place.

Dans mes articles de la Vierteliahrschrift[14], j’ai voulu en quelque sorte interroger l’opinion publique, en Allemagne, sur le point de savoir s’il est permis, s’il n’est pas scandaleux, d’exposer des vues et des principes, qui diffèrent essentiellement de ceux de l’école régnante en économie politique. Je voulais en même temps fournir aux partisans de cette école une occasion de me ramener dans la bonne voie, si je m’étais égaré dans le sentier de l’erreur. Mais ces articles sont depuis deux ans sous les yeux du public, sans qu’une seule voix favorable ou contraire se soit fait entendre. Mon amour-propre me dit qu’on n’a pas pu me réfuter ; mais mon penchant au doute m’insinue, qu’on fait de moi trop peu de cas pour m’honorer d’une réfutation. Lequel dois-je croire ? Je l’ignore ; je sais seulement que, dans une question où il s’agit de la prospérité ou de la détresse, de la vie ou de la mort d’une nation, et de la nôtre, de la nation allemande, l’opinion du dernier des hommes mérite d’être prise en considération, ou tout au moins d’être combattue.

« Mais, pourra dire l’école, comme déjà en effet elle l’a dit souvent, le système mercantile, nous l’avons victorieusement combattu dans cent et cent écrits, articles et discours ; entreprendre une millième réfutation d’une erreur que l’on réchauffe ? » A cela il n’y aurait rien à répondre, si je n’avais fait que réchauffer le système mercantile. On n’a qu’à lire l’introduction qui suit, pour se convaincre que je n’ai pris de ce système si décrié que ce qu’il avait de bon et que j’en ai rejeté toutes les erreurs ; que j’ai donné à ses vérités une tout autre base, celle de l’histoire et de la nature des choses, que j’ai agi de la même manière avec le système agricole et avec ce qu’on appelle le système industriel, improprement désigné par le nom que mérite le système appelé mercantile ; que j’ai fait plus ; que, le premier, j’ai réfuté, au nom de la nature des choses et des leçons de l’histoire, les arguments mille fois reproduits par l’école cosmopolite ; que, le premier, j’ai mis en lumière les déceptions de son cosmopolitisme vague, de sa terminologie équivoque et de ses arguments erronés. Certes, cela méritait bien l’attention de l’école et une sérieuse réponse. Du moins l’homme qui avait directement provoqué ces articles, n’aurait pas dû laisser à terre le gant que je lui avais jeté.

Pour l’intelligence de ceci, je suis obligé de rappeler des faits antérieurs : Dans un compte rendu de l’exposition industrielle de Paris en 1839, que j’avais adressé à la Gazette d’Augsbourg, je m’étais avisé de jeter en passant un coup d’œil sur l’état de la science, et en particulier sur l’école française. Je fus tancé à ce sujet, dans la même feuille, par un correspondant du Rhin, et je le fus d’un ton et avec des arguments qui me montraient clairement que j’avais affaire à l’une des premières autorités scientifiques de l’Allemagne[15]. Il trouvait mauvais qu’en parlant de la théorie régnante je n’eusse nommé que Smith et Say, et il donnait à entendre que l’Allemagne aussi possédait des théoriciens illustres. Chacune de ses paroles respirait cette confiance qu’une théorie parvenue à une domination incontestée inspire à ses disciples, surtout vis-à-vis des sceptiques auxquels ils refusent toute connaissance sérieuse de la doctrine qu’ils ont apprise par cœur. Après avoir reproduit les arguments connus de l’école contre le système mercantile, tout en regrettant d’avoir à revenir sur des vérités cent fois redites et universellement reconnues, il s’écriait : que Jean-Paul avait dit quelque part, qu’une fausse théorie ne saurait être remplacée que par une meilleure.

J’ignore où et à quel propos Jean-Paul a écris cette sentence ; mais il me sera permis de dire que, présentée comme elle l’a été par le correspondant du Rhin, elle ressemble fort à un lieu commun. Le mauvais, en effet, ne peut jamais être remplacé avec avantage que par le meilleur. Mais il ne s’ensuit nullement que, lorsque quelque chose de mauvais a jusque-là passé pour bon, on n’ait pas le droit de le montrer tel qu’il est. Il s’ensuit moins encore qu’on ne doive pas jeter à bas une théorie dont on a reconnu la fausseté, afin de faire place pour une meilleure, ou de montrer qu’une théorie meilleure est à découvrir. Pour ma part, je ne me suis pas borné à prouver que la théorie régnante est fausse et insoutenable, j’ai de plus, dans mes articles de la Vierteliahrschrift, soumis au public, à titre d’essai, l’esquisse d’une nouvelle théorie que je croyais meilleure ; j’ai accompli par conséquent, à la lettre, les conditions requises par la sentence de Jean-Paul. Cependant cette autorité considérable de l’école cosmopolite garde le silence depuis deux ans.

A la rigueur, du reste, il n’est pas complètement vrai qu’aucune voix ne se soit fait entendre, au sujet des deux articles précurseurs de mon livre. Si je ne me trompe, c’est à moi que l’auteur d’un article publié dans un des derniers numéros d’une feuille périodique honorablement placée, a fait allusion, quand il a parlé d’attaques aux idées reçues en économie politique, attaques dont les auteurs « ne sont pas des hommes de la spécialité et trahissent peu de connaissance de la théorie par eux combattue, laquelle ils ont généralement mal saisie dans son ensemble et dans ses détails. »

Cette polémique sublime est tellement enveloppée sous des phrases scolastiques et sous des sentences obscures, que l’idée ne peut venir à personne, excepté à moi, qu’elle me concerne, moi et mes articles. Par ce motif, et comme je ne suis pas bien sûr qu’il s’agisse en effet de moi, fidèle à mon dessein de n’attaquer nominativement et de ne provoquer dans cet ouvrage aucun écrivain allemand existant, je ne veux pas désigner avec plus de précision mon adversaire et son article. Je ne me tairai pas cependant, afin de ne pas laisser à l’auteur, dans le cas où il aurait voulu parler de moi, l’opinion qu’il m’a dit quelque chose de fort. Dans ce cas, sans autre désignation, il saura bien que je veux parler de lui. Je déclare donc franchement à cet adversaire, que je crois être tout aussi initié que lui-même aux profonds mystères de sa science ; que des paroles ambiguës et des phrases profondes en apparence, mais creuses en réalité, comme celles qui sont entassées les unes sur les autres au commencement de son article, sont en économie politique comme les fausses monnaies dans la circulation ; que des affirmations vagues et la prétention à un savoir exceptionnel ne prouvent que la conscience de quelque infirmité ; que ce n’est plus le temps d’attribuer à Adam Smith la sagesse de Socrate ni de considérer Lotz, qui l’a délayé en allemand, comme une grande lumière ; que lui, mon adversaire, s’il pouvait secouer le joug d’autorités en grande partie inapplicables, il acquerrait la conviction humiliante que ses nombreux écrits ont besoin d’une sérieuse révision ; qu’une si héroïque résolution, du reste, lui ferait beaucoup plus d’honneur qu’une persistance obstinée dans un savoir appris par cœur, qu’il contribuerait ainsi puissamment à éclairer les praticiens débutant en économie politique sur les vrais intérêts de la patrie, au lieu de continuer à les égarer.

Une pareille conversion devrait être considérée comme un résultat important pour le pays ; car on sait quelle influence des professeurs d’économie politique, même au début, surtout s’ils appartiennent à des universités en renom et fréquentées, exercent sur l’opinion de la génération présente et de la génération à venir. Aussi ne puis-je m’empêcher, autant que cela se peut dans une préface, d’aider la personne dont il s’agit à sortir de ses rêves théoriques. Elle parle sans cesse d’un monde des richesses. Dans ce mot il y a un monde d’erreurs ; il n’existe pas de monde des richesses. La notion de monde implique quelque chose d’intellectuel et de vivant, fût-ce même la vie ou l’intelligence animale. Mais qui pourrait parler, par exemple, d’un monde minéral ? Otez l’esprit, et ce qui s’appelle richesse, ne sera plus qu’une matière morte. Qu’est devenue la richesse de Tyr et de Carthage, ou la valeur des palais de Venise, depuis que l’esprit a disparu de ces masses de pierres ? Avec votre monde des richesses vous voulez faire exister la matière par elle-même, et là réside toute votre erreur. Vous nous disséquez un cadavre, vous nous montrez la structure et les parties constitutives de ses membres ; mais, de ces membres refaire un corps, leur donner la vie, les mettre en mouvement, vous ne le pouvez pas ; votre monde des richesses est une chimère.

D’après ces observations, on croira sans peine que la crainte n’est pas le motif qui m’a détourné de parler dans cet ouvrage des travaux des économistes allemands. J’ai voulu seulement éviter une polémique inutile ou fâcheuse ; car, ce n’est que depuis la fondation du Zollverein que les Allemands ont pu envisager l’économie politique du point de vue national ; depuis lors, d’anciens prôneurs du système cosmopolite ont bien pu changer de sentiment, et il y aurait méchanceté évidente, dans un tel état de choses, à mettre obstacle par des critiques à la conversion de pareils hommes.

Cette considération, toutefois, ne s’applique qu’aux auteurs vivants, mais, à parler franchement, il n’y a rien de particulier à reprendre chez les morts ; ils ont partagé toutes les erreurs de Smith et de Say, et n’ont, en dernière analyse, rien dit de neuf. Ici comme dans le reste de cet ouvrage, il convient d’en faire la remarque, nos appréciations se restreignent à la théorie du commerce international et de la politique commerciale ; par conséquent, nous ne contestons nulle part les services que des auteurs morts ou vivants ont pu rendre dans d’autres branches de l’économie politique. Qu’on lise les écrits de Lotz, de Politz, de Rotteck, de Soden, pour ne pas parler d’esprits subalternes tels que Krause, Fulda, etc. ; et l’on reconnaîtra que, dans la matière dont il s’agit, ils ne sont que les aveugles disciples de Smith et de Say, et que, là où ils se séparent de leurs maîtres, leurs opinions sont dépourvues de valeur. On doit en dire autant de l’intelligent Weitzel, un des meilleurs écrivains politiques de l’Allemagne ; Rudhart lui-même, si expérimenté, si clairvoyant, n’a dans cet important sujet que de rares éclairs.

Je regrette, au moment où l’on réunit les œuvres de Rotteck, d’être obligé de prononcer publiquement sur lui ce jugement, qu’il n’a compris nettement ni le commerce international ni la politique commerciale, ni les systèmes ni l’application de l’économie politique. On m’excusera, si l’on réfléchit que Rotteck a porté sur moi et sur mes actes un arrêt non-seulement sévère, mais injuste ; et qu’il m’a mis ainsi dans la nécessité de me défendre. Lorsque Rotteck me reproche d’avoir pris pour texte de mes plaintes la détresse des fabricants, et non l’écoulement des espèces et l’appauvrissement de l’État, lorsqu’il allègue que le système de la Société de commerce allemande était en partie inexécutable, et présentait des inconvénients de plus d’une sorte, ces observations portent la même empreinte qu’offre tout le chapitre de cet auteur sur l’administration publique, celle de l’ignorance. Qu’après avoir lu mon livre, on lise ce chapitre de Rotteck, et l’on ne taxera pas, je l’espère, ce jugement d’injustice. Qu’on lise seulement ce que j’ai écrit sur le principe de rétorsion[16], et qu’on examine ensuite l’opinion de Rotteck, on reconnaîtra que Rotteck a mal à propos porté sur le terrain du droit une simple question d’éducation industrielle des nations, qu’il l’a envisagée comme publiciste au lieu de le faire comme économiste. Cette inintelligence totale de mes actes et de ma valeur comme économiste, cette attaque personnelle peut bien m’autoriser à dire toute ma pensée : Rotteck eût fait plus sagement d’avouer franchement dans ses écrits comme dans ses discours parlementaires, qu’il ne possédait pas la moindre notion pratique en matière de commerce international et de politique commerciale, et que le domaine de l’économie politique lui était entièrement étranger, au lieu de s’exprimer dans les uns et dans les autres de manière à diminuer son autorité sous d’autres rapports. On se rappellera que MM. de Rotteck et Welcker, après avoir déclaré qu’ils n’entendaient rien au commerce, ne combattirent pas moins avec beaucoup de vivacité dans le parlement badois l’accession de Bade à la grande Association allemande. Connu de l’un et de l’autre, sur la nouvelle qu’ils prendraient un tel parti, je m’étais permis de leur adresser d’énergiques représentations, elles m’attirèrent une réponse où l’on parut piqué. Ces représentations de ma part ont-elles exercé ou non de l’influence sur l’appréciation malveillante de Rotteck ? Je ne le déciderai pas.

Politz, qui n’avait d’originalité en rien et qui manquait d’expérience en tout, n’était en cette matière qu’un compilateur. Je vais donner un exemple du jugement que possédait dans les questions économiques cet inintelligent titulaire de la première chaire politique de l’Allemagne. À l’époque où, habitant Leipsick, mes projets d’un chemin de fer de Leipsick à Dresde et d’un réseau allemand me livraient à la risée des esprits sérieux, je demandai à M. Politz son concours et ses avis. Il me répondit, qu’il n’était pas encore possible de dire avec précision jusqu’à quel point cette entreprise pouvait être utile ou nécessaire, puisqu’on ne pouvait pas savoir de quel côté se dirigeraient les marchandises à l’avenir. Cette profonde vue théorique a depuis, si je ne me trompe, passé dans ses tristes annuaires.

La première fois que je me trouvai en rapport avec Lotz, je pris la liberté de l’entretenir discrètement de quelques idées nouvelles en économie politique, dans le but de connaître ses propres idées et de lui exposer les miennes. Lotz n’entra dans aucune explication ; son visage prit une expression mêlée d’importance et d’ironie, qui, pour moi, signifia clairement qu’il croyait sa position trop élevée pour entrer avec moi en discussion sans se compromettre. Il prononça, du reste, quelques paroles dont le sens était que des discussions entre des amateurs et des hommes de science profonde ne pouvaient mener à rien. À cette époque je n’avais pas relu depuis quinze ans les ouvrages de M. Lotz ; mon respect pour leur auteur était donc de très-ancienne date. Mais une telle conduite m’édifia sur le mérite de ces écrits, avant même que je les eusse relus. Comment, pensai-je, dans une science expérimentale comme l’économie politique, un homme qui repousse ainsi l’expérience, serait-il capable de quelque chose de bien ? Lorsque plus tard ses épais volumes revinrent devant mes yeux, la conduite de M. Lotz me parut facile à comprendre. Rien de plus naturel que de voir des auteurs qui n’ont fait que copier ou commenter leurs devanciers, et qui ont puisé tout leur savoir dans les livres, tout émus et tout étourdis, lorsque des expériences vivantes, en désaccord avec leur science routinière, et des idées toutes nouvelles leur apparaissent.

Le comte Soden, que j’ai beaucoup connu, était, au contraire, infiniment plus instructif dans sa conversation que dans ses écrits, et d’une extrême facilité vis-à-vis du doute et de la contradiction ; la nouveauté de ses écrits consistait surtout dans la méthode et dans la terminologie. Mais hélas ! Cette terminologie est plus boursouflée que les précédentes, et elle plongerait la science dans la scolastique plus avant encore que celle de Smith et de Say.

Weitzel, dans son Histoire des sciences politiques, apprécie tous les économistes absolument comme le fait l’école cosmopolite.

Si, par les motifs déjà allégués, je m’abstiens de tout blâme à l’égard des économistes d’Allemagne encore vivants, je ne dois pas moins rendre justice aux excellentes choses que renferment les ouvrages de Nebenius, de Hermann, de Mohl, etc.[17].

Je suis généralement d’accord, comme on le verra, avec l’écrit de Nebenius sur le Zollverein allemand, en ce qui touche le système à suivre immédiatement par cette association. Le livre ayant été visiblement écrit dans l’intention d’exercer une influence immédiate sur le développement du Zollverein, il était naturel que l’auteur, esprit pénétrant qui a si bien mérité de l’industrie allemande, négligeât complètement la théorie et l’histoire. On y trouve par conséquent toutes les qualités et tous les défauts d’un ouvrage de circonstance. Un tel ouvrage peut rendre dans le moment un grand service, mais ne met pas à l’abri des complications de l’avenir. Supposons, par exemple, que les Anglais et les Français vinssent à abolir leurs droits d’entrée sur les produits agricoles et forestiers allemands, d’après l’argumentation de Nebenius, il n’y aurait plus de motif de maintenir le système protecteur en Allemagne. La Science de la police de Mohl contient beaucoup de vues très-saines sur le système protecteur, et l’on sait quelle part puissante et directe Hermann a prise à l’achèvement du Zollverein, et au développement de l’industrie bavaroise en particulier.

A cette occasion, je ne puis m’empêcher de mentionner ce fait, que les Allemands, en cela différents de toutes les autres nations, font des matières économiques l’objet de deux enseignements distincts ; sous le nom d’économie nationale, d’économie politique, d’économie publique, ils enseignent la théorie cosmopolite de Smith et de Say ; dans la science de la police, Polizeiwissenschaft, ils recherchent jusqu’à quel point l’autorité a mission d’intervenir dans la production, dans la distribution et dans la consommation des biens matériels. Say, qui est toujours d’autant plus tranchant qu’il connaît moins ce dont il parle, reproche sur le ton du persiflage aux Allemands de confondre l’économie politique avec la science de l’administration[18]. Comme Say ne savait pas l’allemand, et qu’aucun ouvrage allemand d’économie politique n’a été traduit en français, il doit avoir eu connaissance de ce fait par quelque grand homme de Paris qui avait voyagé. Au fond, cette division de la science, qui a donné lieu, après tout, jusqu’ici à beaucoup de malentendus et de contradictions, ne prouve qu’une chose, c’est que les Allemands avaient compris avant les Français qu’il y a une économie cosmopolite et une économie politique ; ils ont appelé la première économie nationale, et la seconde science de la police[19].

Pendant que j’écrivais ce qui précède, il m’est tombé entre les mains un livre, qui me donne l’occasion de confesser que j’ai jugé Adam Smith avec beaucoup plus d’indulgence que, dans ma conviction, je n’aurais dû le faire. C’est la seconde partie de la Galerie de portraits d’après la conversation et la correspondance de Rahel, éditée par Varnhagen Von Ense. J’étais curieux de lire ce qu’on y dit d’Adam Müller et de Frédéric Gentz, que j’ai personnellement connus[20] ; mais j’ai trouvé les perles autre part qu’où je les cherchais, savoir, dans la correspondance entre Rahel et Alexandre de Marwitz. Ce jeune homme plein d’intelligence, avait, pour préparer un examen, lu et en même temps critiqué Adam Smith. On peut lire dans la note ci-jointe ce que, durant cette étude, il écrivit sur Smith et sur ses disciples en Allemagne[21]. Et ce jugement, qui renferme tout en vingt lignes, tout ce qu’on peut dire sur Smith et sur son école, Marwitz le porta, la première fois qu’il lut Smith. Lui, jeune homme de vingt-quatre ans, entouré de savants qui professent pour Adam Smith un respect superstitieux, seul, il renverse l’idole d’une main forte et sûre, la met en pièces, et rit de la folie de ses adorateurs, et ce jeune homme appelé à ouvrir les yeux à son pays, au monde, on l’abasourdit de questions stupides dans un examen dont il se félicite d’avoir pu se tirer, et il devait mourir avant d’avoir compris sa grande mission !

Le plus grand économiste de l’Allemagne, son seul économiste à un certain point de vue, devait mourir sur la terre étrangère ; vainement vous cherchez son tombeau. Rahel seule fut son public, et trois observations écrites en courant dans des lettres intimes furent tous ses ouvrages. Que dis-je ? Marwitz n’a-t-il pas envoyé à Rahel six feuilles entières sur Adam Smith ? Puissent-elles se trouver dans les papiers que Rahel a laissés ! Puisse M. de Varnhagen vouloir bien les communiquer au public allemand !

En vérité, je ne me suis jamais trouvé si petit qu’en lisant ces lettres de Marwitz. Cet imberbe était arrivé dans l’espace de quinze jours à soulever le voile de l’idole de l’école cosmopolite, et pour cela il m’a fallu, à moi, de longues années dans l’âge mûr. On doit admirer surtout son parallèle entre Napoléon et Adam Smith, tracé en deux mots. Ce sont les deux plus puissants monarques de la terre ; il aurait dit sans doute ravageurs de la terre, si cette expression n’avait pas été périlleuse en l’année 1810. Quel coup d’œil jeté sur les grandes affaires du monde ! Quelle intelligence !

Après ces déclarations je ferai l’aveu sincère, que j’ai raturé, après l’avoir achevé, le chapitre de ce volume qui traitait d’Adam Smith ; je l’ai fait uniquement par un respect exagéré pour un nom célèbre et dans la crainte qu’on ne qualifiât d’arrogance la franchise de mon appréciation.

Ce que j’ai dit dans ce premier travail, je ne pourrais le répéter ici en détail, sans grossir ma préface aux proportions d’un volume, car j’ai réduit au moins six feuilles d’impression à une seule ; je dois me borner à de courtes indications. Je disais que l’économie politique avait, dans ses parties les plus importantes, celles qui traitent du commerce international et de la politique commerciale, immensément reculé sous l’influence d’Adam Smith ; que, par lui, le sophisme, la scolastique, l’obscurité, le mensonge et l’hypocrisie avaient pénétré dans cette science ; que la théorie était devenue l’arène de talents douteux et qu’elle avait effarouché la plupart des hommes d’intelligence, d’expérience, de bon sens et de rectitude d’esprit ; que Smith a pourvu les sophistes d’arguments, pour frustrer les nations de leur présent et de leur avenir. Je rappelais, d’après la biographie faite par Dugald Steward, que ce grand esprit ne serait pas mort tranquille si tous ses manuscrits n’avaient pas été brûlés, et je trouvais dans ce fait comme un véhément soupçon que ces papiers portaient témoignage contre sa sincérité[22]. Je montrais comment, depuis Pitt jusqu’à Melbourne, sa théorie avait été exploitée par les ministres anglais pour jeter de la poudre aux yeux des autres nations au profit de l’Angleterre. J’en faisais un observateur, dont le regard saisit des grains de sable, des mottes de terre, des herbes ou des arbrisseaux, mais ne peut embrasser l’ensemble d’un paysage ; je le représentais comme un peintre qui retrace des détails avec une merveilleuse précision, mais qui ne sait pas en composer un tout harmonieux, et qui, ainsi, peint un monstre dont les membres sont parfaitement rendus, mais appartiennent à des corps différents.

Le trait caractéristique du système que j’expose, c’est la nationalité. Tout mon édifice est construit sur l’idée de la nation comme intermédiaire entre l’individu et le genre humain. J’ai longtemps balancé si je ne l’appellerais pas système naturel d’économie politique, dénomination qui aurait pu se justifier tout autant et peut-être mieux à quelques égards que celle que j’ai choisie ; je représente en effet tous les systèmes antérieurs comme n’étant pas fondés sur la nature des choses, comme étant en désaccord avec l’histoire ; mais j’ai été détourné de ce projet par la remarque d’un ami, que des hommes superficiels, qui jugent les livres principalement d’après l’étiquette qu’ils portent, pourraient y voir une exhumation pure et simple du système physiocratique.

Je ne me suis préoccupé, dans ce travail, ni de n’insinuer dans quelque docte camaraderie, ni de me créer des titres pour une chaire d’Économie politique, ni de me faire un nom comme auteur d’un manuel adopté par toutes les chaires, ni de donner des preuves d’aptitude pour un emploi élevé ; j’avais uniquement en vue les intérêts nationaux de l’Allemagne, et un tel but exigeait impérieusement une expression franche de ma conviction, sans mélange d’ingrédients doux et flatteurs pour le goût et pour l’odorat, mais nuisibles à l’effet, un style avant tout populaire. Si la théorie économique doit servir en Allemagne les intérêts nationaux, il faut que des chaires des professeurs, des cabinets des savants et de ceux des hauts fonctionnaires, elle descende dans les comptoirs des fabricants, des négociants, des armateurs, des capitalistes et des banquiers ; dans les bureaux de tous les fonctionnaires publics et de tous les hommes d’affaires, dans les demeures des propriétaires, mais surtout dans les assemblées publiques, qu’elle soit, en un mot, le bien commun de tout ce qui, dans le pays, a quelque culture. C’est seulement alors que le système commercial de l’Association allemande acquerra cette stabilité, sans laquelle, même avec les meilleures intentions, les hommes d’État les mieux doués ne pourront faire que du mal. La nécessité d’une telle stabilité et l’importance d’une opinion publique éclairée et fortifiée par une discussion libre ne sont nulle part plus évidentes qu’en matière de traités de commerce. Des traités de Méthuen ne peuvent être conclus que dans des pays où l’avis du gouvernement est tout, et où l’opinion publique n’est rien. L’histoire récente de la politique commerciale allemande a mis l’exactitude cette remarque dans un jour éclatant. Si la publicité est une garantie pour le trône, et il en est ainsi partout où elle vivifie la force nationale, où elle répand les lumières, et où elle contrôle l’administration dans l’intérêt du pays, c’est surtout dans les questions d’industrie et de commerce. Les princes allemands ne sauraient mieux servir leurs intérêts dynastiques qu’en permettant la discussion publique sur les intérêts matériels du pays et même en la provoquant et en l’encourageant de tout leur pouvoir. Mais, pour éclairer ces débats, il est indispensable que la théorie de l’économie politique et les expériences des autres peuples deviennent la propriété commune de tout ce qui pense dans le pays.

Par ce motif, je n’ai rien eu plus à cœur dans la composition de cet écrit que d’être clair et intelligible, même aux dépens du style et au risque de ne pas paraître docte ou profond. J’ai été effrayé, lorsqu’un ami, qui avait parcouru quelques chapitres, me dit qu’il y avait trouvé de beaux passages. Le beau style ne convient pas à l’économie politique. Ce n’est pas une qualité, c’est un défaut dans les ouvrages de ce genre, car on n’en abuse que trop souvent pour déguiser une logique vicieuse ou faible ou pour faire admettre des sophismes comme des arguments solides et profonds. La clarté, la simplicité, telles sont dans cette science les qualités essentielles. Les déductions qui ont un air de profondeur, les phrases ambitieuses et les expressions recherchées ne sont employées que par ceux qui manquent de la sagacité nécessaire pour bien connaître la nature des choses, par ceux qui ne se comprennent pas eux-mêmes, et qui, par suite, ne sont pas capables de se faire comprendre des autres.

Je ne me suis pas conformé non plus à la mode des citations fréquentes. J’ai lu cent fois plus d’écrits que je n’en ai mentionné. Mais je crois avoir remarqué que la plupart des lecteurs qui ne font pas profession de science, et peut-être les plus intelligents et les plus avides de s’instruire, éprouvent de cruelles angoisses lorsqu’on leur présente des légions de témoins et d’autorités. Je ne voulais pas non plus employer inutilement la place qui m’était si nécessaire. Je suis loin de prétendre que les citations multipliées n’aient pas un grand prix dans des manuels et dans des ouvrages de recherches historiques ; je veux qu’on sache seulement que je n’ai pas voulu composer un manuel.

Il y a lieu de croire que je rends à la bureaucratie allemande un service assez signalé, en lui fournissant une théorie conforme à sa pratique et en faisant ressortir les erreurs de gens qui ne l’ont jamais traitée avec beaucoup de respect. Certes, la division qui règne entre la théorie et la pratique n’a jamais été très-favorable à l’autorité des chancelleries. L’étudiant le plus inexpérimenté, dont les cahiers cosmopolites ont à peine eu le temps de se sécher, se croit tenu de sourire avec mépris, chaque fois qu’un conseiller plein d’expérience ou un homme d’affaires habile et réfléchi parle de droits protecteurs.

Nous ne pensons pas avoir moins de titres à l’approbation de la noblesse, riche ou pauvre, de l’Allemagne. Nous lui avons montré qu’elle a été en partie appauvrie, ruinée même par ses frères d’Angleterre, les tories, et que nous, les industriels et leurs organes, nous avons rétabli ses affaires par nos efforts durant la dernière période décennale ; nous lui avons prouvé qu’à elle revient la portion la plus considérable et la meilleure du miel que nous portons à la ruche ; que nous travaillons en effet à l’accroissement de ses fermages et de la valeur de ses propriétés ; que nous lui donnons les filles de nos plus riches industriels, et qu’ainsi, après avoir vu se fermer par la suppression des abbayes, des évêchés et des archevêchés, les sources où elle trouvait son bien-être et les moyens de pourvoir ses cadets et ses filles, elle est par nous largement indemnisée. La noblesse allemande n’a besoin que de jeter un regard sur la noblesse anglaise pour reconnaître les avantages que la richesse du pays, un grand commerce extérieur, une navigation marchande, des flottes, des colonies, pourraient et devraient lui procurer. Ce qu’on devient, au contraire, avec une agriculture grossière, une bourgeoisie mendiante et privée de droits, le servage des paysans, une noblesse placée au-dessus des lois, le système féodal et toutes ces merveilles que des laudatores temporis acti[23], nés en haut lieu, rêvaient encore dans ces derniers temps, un simple coup d’œil sur la noblesse de Pologne et sur sa condition actuelle peut l’apprendre. Que la noblesse allemande n’envisage donc pas dorénavant nos efforts d’un œil d’envie ou de haine. Qu’elle devienne parlementaire et avant tout nationale ; au lieu de se poser comme notre adversaire, qu’elle se mette à la tête de notre mouvement national ; c’est là sa vraie mission. Partout et en tout temps les époques les plus heureuses pour les nations ont été celles où la noblesse et la bourgeoisie ont travaillé de concert à la grandeur nationale ; les plus tristes, celles où elles se sont fait une guerre d’extermination. Le service militaire a depuis longtemps cessé de constituer l’aristocratie ; et s’écoulera-t-il beaucoup de temps encore avant que la physique, la mécanique et la chimie remplacent presque le courage personnel, et détruisent peut-être même la guerre ? Nous avons montré en un mot que, sans un essor national dans l’agriculture, les manufactures et le commerce, sans un étroit attachement à leurs intérêts, il n’y a point de salut pour l’aristocratie allemande.

Il nous reste à expliquer le sens de deux mots qui se trouvent dans plusieurs endroits de cet ouvrage, ceux de liberté et d’unité nationale.

Aucun homme de sens ne réclamera pour l’Allemagne une autre liberté ou une autre forme de gouvernement que celle qui garantit aux dynasties et à la noblesse, non-seulement le plus haut degré de prospérité, mais encore, ce qui importe infiniment plus, la durée. Dans notre opinion, une forme de gouvernement, autre que la monarchie constitutionnelle, ne serait pas moins funeste à l’Allemagne que la forme monarchique aux États-Unis ou le régime constitutionnel à la Russie. Dans notre opinion, cette forme est celle qui est la mieux appropriée au génie et à l’état du pays, et, en particulier, au degré de culture auquel il est parvenu. Si nous considérons comme pernicieuse et comme insensée toute tentative ayant pour but de miner en Allemagne la puissance royale et l’existence de la noblesse, d’un autre côté, la haine, la défiance, la jalousie qui voudraient empêcher le développement d’une bourgeoisie libre, industrieuse et riche, et le règne de la loi, seraient à nos yeux plus criminelles encore, parce que là réside la garantie principale de prospérité et de durée pour les dynasties et pour la noblesse. Ne pas vouloir, dans des pays avancés en civilisation, l’avènement légal de la bourgeoisie, c’est placer le pays dans l’alternative du joug étranger ou des convulsions intérieures. Aussi est-il affligeant d’entendre alléguer les maux qui, de nos jours, sont le cortège de l’industrie, comme un motif de repousser l’industrie elle-même. Il y a des maux beaucoup plus grands qu’une classe de prolétaires : un trésor vide, l’impuissance, la servitude, l’anéantissement de la nation.

Aucun homme honnête et sensé ne désirera non plus pour l’Allemagne une autre nationalité que celle qui garantirait à chaque État, l’indépendance et la liberté d’action dans son cercle particulier, en ne le subordonnant à la volonté collective que pour ce qui touche aux intérêts nationaux ; qui, loin d’opprimer ou d’anéantir les dynasties, assurerait à toutes et à chacune la continuation de leur existence ; une unité basée sur l’esprit primitif des fils de Teut, cet esprit qui est toujours le même sous la forme républicaine, comme en Suisse et dans l’Amérique du Nord, ou sous la forme de la monarchie. On sait où conduit une nationalité morcelée, qui est, par rapport aux nationalités véritables, ce que les fragments d’un vase brisé sont à un tout ; c’est encore dans toutes les mémoires. Un âge d’homme ne s’est pas écoulé depuis que toutes les côtes maritimes de l’Allemagne portaient le nom de départements français, depuis que le fleuve sacré de l’Allemagne donnait son nom à la fatale confédération des vassaux d’un conquérant étranger, depuis que les fils de l’Allemagne versaient leur sang dans les sables brûlants du Midi comme sur les champs glacés du Nord pour la gloire, et pour l’ambition d’un étranger. Nous voulons parler d’une unité nationale qui nous préserve, nous, notre industrie, nos dynasties et notre noblesse, du retour de pareils temps ; nous n’en demandons pas d’autre.

Mais vous, si décidés contre le retour de la domination gauloise, trouvez-vous donc tolérable ou glorieux, que vos fleuves et vos ports, vos côtes et vos mers continuent d’être assujettis à l’influence britannique ?

  1. Dans les premières éditions du Conversation’s-Lexicon (Dictionnaire de conversation), M. J.-M. Elch, de Kaufbeuren, est nommé comme le fondateur de cette association ; quant à moi, non-seulement on ne m’attribue qu’une part très subalterne dans sa création et dans ses travaux, mais encore on me reproche d’avoir, dans la conduite de ses affaires, commis de grandes négligences. Lorsque, de retour dans mon pays, je m’enquis de l’auteur de cet article, on me cita un nom qui m’expliqua tout : c’était celui d’un homme qui a de grandes obligations envers J.-M. Elch, et dont le rôle personnel, dans cette affaire, paraît d’autant plus grand que mien est plus rapetissé. Peu tourmenté par l’ambition, je n’ai pas cru devoir prendre la peine de réclamer contre l’article. Mais récemment je me suis vu dans l’absolue nécessité d’en entretenir le public. On sait qu’il y a peu de temps la faculté de droit d’Iéna m’a honoré du diplôme de docteur ; le correspondant de la Gazette d’Augsbourg à Iéna avait fait, à cette occasion, la remarque que, le premier, j’avais émis l’idée d’une association des états allemands dans un même système de douane. La rédaction de la Gazette reçut la réclamation suivante :
            « La note écrite d’Iéna, le 1er décembre 1840, à la Gazette d’Augsbourg, d’après laquelle M. Frédéric List aurait émis la première idée de la liberté commerciale à l’intérieur et vis-à-vis de l’étranger, exige une rectification ; l’honneur de cette première idée appartient au négociant J.-M. Elch, de Kaufbeuren, lequel, à la foire de Pâques, à Francfort, adressa à divers négociants de tous les états allemands, une circulaire où il les invitait à signer dans ce but une pétition à la Diète. Le hasard amena quelques jours après M. le professeur List de Tubingen à Francfort ; enthousiasmé par cette idée, il se chargea de rédiger la pétition, il s’acquitta supérieurement de cette tâche, et se fit ainsi une grande réputation. Quand la société se fut constituée, M. le professeur List en fut nommé l’agent, et accompagné de feu M. Schnell, de Nuremberg, il se rendit dans les cours allemandes, afin d’appuyer auprès d’elles les demandes de la société. »
            Il me suffira de retracer en peu de mots l’histoire de la société pour réduire à leur juste valeur les prétentions de M. Elch ou de ses avocats. Des affaires particulières me conduisirent, en effet, à Francfort-sur-le-Mein, au printemps 1819 ; mais il n’en est pas moins vrai que j’avais conçu l’idée d’une pareille société longtemps avant ce voyage. Il existe encore des hommes que j’ai entretenus de ce sujet avant et pendant mon voyage à Francfort, et la correspondance de feu le baron de Cotta peut en offrir des preuves écrites. Arrivé dans cette ville, je confiai mon projet à monsieur Schnell, de Nuremberg, qu’on m’avait vanté comme un négociant intelligent et patriote. Schnell en fut vivement ému, me parla de MM. Bauereis à Nuremberg, Ueber à Gera, Arnoldi à Gotha, qui lui avaient fait part de leurs doléances au sujet du nouveau tarif des douanes de Prusse, et exprima l’opinion que l’affaire aurait d’autant plus de retentissement parmi les négociants et les fabricants présents à la foire de Francfort, qu’un M. Elch, de Kaufbeuren, négociant en toile, était sur le point de recueillir des signatures pour une pétition à la Diète, où l’on réclamait des mesures contre les restrictions commerciales à l’intérieur de l’Allemagne. Schnell m’ayant, sur ma demande, fait faire la connaissance de M. Elch, celui-ci me communiqua son projet de pétition à la Diète, ou plutôt de simples matériaux, qui, si je ne me trompe, se trouvent encore parmi mes papiers. Il y était surtout question des entraves que l’Autriche venait de mettre à l’exportation des toiles de la haute Souabe en Italie ; le tout était plat et dans un style de comptoir. D’un commun accord, nous appelâmes à nos délibérations d’autres fabricants, notamment MM. Leisler et Blachière, de Hanau, Hartmann, de Hendenheim, Herrosé, d’Aarau, etc. Il ne s’agissait pas encore de fonder une société. Ce ne fut que lorsque la pétition à la Diète eut été rédigée et accueillie par de vifs applaudissements, que je produisis mes projets ultérieurs. Personne ne saurait mettre en doute que toutes les propositions concernant la fondation et l’organisation de la société sont émanées de moi seul ; et le peu de temps que je mis à exécuter mes plans, montre assez que je les avais médités d’avance.
            Qu’on veuille bien maintenant relire la réclamation ci-dessus en faveur de M. Elch, et l’on remarquera avec étonnement que la contradiction entre M. Ech et moi ne porte pas, à proprement parler, sur les faits, qu’elle tient à une différence totale dans notre manière de raisonner. M. Elch réclame le mérite d’avoir le premier émis l’idée de la liberté du commerce à l’intérieur et vis-à-vis de l’étranger. C’est une prétention que je n’ai pas et que je ne puis avoir, par la raison que, longtemps avant notre entrevue de Francfort, cette idée avait été émise par Gournay, Quesnay et Adam Smith, et que je n’ai jamais voulu la liberté pure et simple dans les rapports avec les autres nations, que j’ai demandé constamment, au contraire, un système de commerce intelligent et national. M. Elch se fait encore un titre d’honneur, d’avoir répandu, parmi les négociants qui se trouvaient à la foire de Francfort, une circulaire à l’effet de leur demander leur concours à une pétition à la Diète par lui projetée, et ayant pour objet la liberté du commerce. Je ne nie point ce fait ; mais tout le monde reconnaîtra qu’à supposer que M. Elch eût réalisé son projet de pétition, qu’il eût réuni en effet une multitude de signatures, qu’il eût été capable de composer une pétition de nature à attirer sur elle l’attention publique, il n’en serait absolument rien résulté. C’est ce que j’essayai de faire comprendre aux signataires de mon projet ; je leur dis : « Voici la pétition ; elle fera sensation, parce qu’elle est écrite d’un point de vue national et que les termes en sont pressants, mais elle n’aura pas plus de suite que cent autres pétitions à la Diète. Pour obtenir quelque résultat, nous devons rallier au but commun tous les fabricants et tous les négociants d’Allemagne, nous concilier les gouvernements et les fonctionnaires publics, envoyer des députations auprès des cours, des assemblées politiques et des congrès, recueillir et publier les faits qui parlent en notre faveur, nous assurer la plume d’écrivains de talents, nous emparer de l’opinion publique en faisant paraître un journal et des brochures, chaque année, enfin, nous réunir sur ce champs de foire, pour adresser toujours de nouvelles pétitions à la Diète. » M. Elch n’a rien fait de tout cela. Cependant, d’après la réclamation, je serais venu fortuitement à Francfort : enthousiasmé de l’idée sublime de M. Elch, j’aurais fortuitement encore obtenu l’honneur de la revêtir de paroles, et je n’aurais fait autre chose ensuite que d’accompagner M. Schnell dans les cours allemandes. Le sacrifice que j’ai fait à cette œuvre de ma place, de ma carrière, de mon repos, mes avances considérables pour faire face aux premiers frais, mon initiative jusqu’en 1821 dans tous les actes de la société, et la manière dont j’ai rempli ce rôle, tout cela, on le passe entièrement sous silence.  (Note de l’auteur.)
            — Depuis la publication de cette note de l’auteur, le négociant Elch a gardé le silence ; mais l’envie a essayé encore une fois d’enlever à List le mérite de ses efforts comme agent de la Société de commerce et d’industrie, en l’attribuant à un nommé Franz Miller, d’Immerstadt, mort depuis quelques années. Dans les numéros du Zollvereinsblatt des 24 février et 3 mars 1846, List a établi que ce Franz Miller, petit négociant failli, qu’il avait acueilli sur la recommandation de M. Elch et par des motifs d’humanité, n’a rempli auprès de lui que des fonctions subalternes, et a été loin de les exercer avec honneur. (H. R.)
  2. La sentimentalité et le romantisme n’ont pas joué non plus, dans cette circonstance, un faible rôle, comme partout où l’art a chassé le naturel. Pour certains esprits un attelage de bœufs traçant un sillon est un plus beau spectacle que les trains à vapeur qui sillonnent la terre, et plus les sociétés rétrogradent dans la civilisation, plus ils y trouvent de grandeur. De leur point de vue ils ont grandement raison. Combien l’état pastoral ne semble-t-il pas plus pittoresque que la prosaïque agriculture, et combien le sauvage sans culottes, avec son arc et ses flèches, n’est-il pas plus romantique que le berger ! Encore quinze ans après, lorsqu’il s’agissait de l’accession de Bade au Zollverein, un député sentimental parla dans la chambre badoise de tapis de verdure, de rosée matinale, du parfum des fleurs et de l’harmonie des couleurs.
  3. Extrait des procès-verbaux de la Société pour l’avancement des manufactures et des arts de Philadelphie.
          « La Société prend les résolutions suivantes:
          « Elle déclare publiquement que le professeur Frédéric List, par ses distinctions basées sur la nature des choses entre l’économie politique et l’économie cosmopolite, et entre la théorie des forces productives et la théorie des valeurs, ainsi que par les arguments qui en découlent, a fondé un système d’économie politique nouveau et vrai, et a rendu ainsi un éminent service aux Etats-Unis.
            « Elle invite le professeur List à composer deux ouvrages, l’un savant, où sa théorie sera complètement développée, l’autre populaire, destiné à la propager dans les écoles.
            « La Société souscrit pour sa part à cinquante exemplaires de ces écrits ; elle engage les législateurs des États intéressés au système américain à suivre son exemple, et elle emploiera tous les moyens pour répandre un tel ouvrage.
            « Pour témoigner publiquement au professeur List le cas qu’elle fait de lui, elle lui donnera un repas à l’hôtel de M. Head, et elle y invitera les citoyens les plus recommandables.
    Ch.-J. Ingersoll, président. »
    Redwood Fischer, secrétaire »
  4. Esquisse d’un nouveau système d’économie politique.
  5. Je ne puis omettre ici qu’à mon arrivée à Leipsick en 1833, mon nom n’avait pas été oublié de ceux dont j’avais eu à combattre, en 1821, les préjugés et les intérêts particuliers comme agent de la Société de commerce, que les animosités conçues à mon égard dans cette lutte par plusieurs habitants influents se ranimèrent alors et ont dû être l’origine du désaccord qui éclata entre les chefs du commerce de cette ville et moi. Cela paraîtra fort vraisemblable, si l’on réfléchit que la grande Association allemande ne se constitua que pendant mon séjour à Leipsick, que, par conséquent, la première fois que j’y parus, l’influence en bien ou en mal qu’elle pouvait exercer sur cette place de foire était encore un problème.
  6. Je dois excepter de ce reproche M. le conseiller d’Etat Nebenius. La modestie me défend de répéter ici ce qu’il m’a dit de vive voix à ce sujet.
  7. Lorsque List composait un mémoire en français pour l’Académie, il n’était pas à son début dans ce genre. La Revue encyclopédique, dirigée par MM. Auguste Juillet et Anselme Petetin, contient, dans ses cahiers de mars et avril 1831, un intéressant travail de l’économiste allemand, sous ce titré : Idées sur les réformes économiques, commerciales et financières applicables à la France. Dans le premier article, il retrace les avantages que la France pourrait retirer, pour ses relations intérieures, d’un système complet de chemins de fer, sujet alors tout neuf parmi nous ; dans le second, il expose ses vues sur les développements promis au commerce extérieur de notre pays. Ce dernier article commence par ces lignes qui offrent le germe du système national :
            « Quoique partisan des théories de la liberté du commerce, nous croyons à la nécessité d’une sage protection pour l’industrie nationale ; cosmopolite par principe et plein de foi dans l’utopie de la paix éternelle, nous ne pouvons cependant nous persuader que, dans l’état actuel du globe, une nation agit prudemment en démolissant ses forteresses et en négligeant tous ses moyens de défense. Nous comprenons fort bien les heureux effets de l’abolition des tarifs provinciaux en France, mais nous ne pensons point que l’abolition des tarifs établis sur les frontières de nation à nation fût également conseillée par une saine politique. La liberté du commerce et la paix perpétuelle, sont, à ce qu’il nous paraît, deux principes qui reposent sur la même base et qui sont intimement liés ; elles ne seront possibles toutes deux que lorsque la civilisation, la condition politique et l’industrie des nations seront tellement avancées, seront devenues tellement semblables, que leur union puisse être utile à chacune d’elles comme celle qui existe entre les vingt-quatre Etats de l’Amérique du Nord leur est à tous avantageuse. En attendant, l’homme d’Etat politique, voyant des dangers réels dans l’abandon d’avantages certains et d’une sécurité présente pour la recherche d’un avenir douteux, ne doit pas être tenu d’obéir à des théories, lesquelles présupposent un état de choses qui n’est pas encore établis. »
            L’auteur insiste ensuite particulièrement sur les moyens de développer les échanges entre la France et les Etats-Unis.
            A la fin de ce travail, nous trouvons un post-scriptum qu’on jugera remarquable, si l’ont se reporte à l’époque où il fut publié, et qui traite des avantages d’une route à ornières du Havre à Strasbourg par Paris. « Nous écrivions ce qu’on vient de lire, dit List, quand des cris se sont fait entendre dans les rues de Paris : Du travail ! Du pain ! Ces cris de détresse nous font abandonner la suite de cette argumentation, pour proposer sans délai aux ministres un moyen de donner de l’occupation à la population pauvre de Paris et de la France entière. Il n’est point question de bâtir des monuments de luxe, qui, une fois terminés, restent improductifs ; il s’agit d’un travail qui multiplie à l’infini dans l’avenir les éléments de la production et de la richesse. Nous proposons de construire une route à ornières du Havre à Paris et de Paris à Strasbourg. »
            Il est encore digne de remarque que List recommande l’exécution et l’exploitation des nouveaux chemins par l’industrie particulière avec la garantie d’un minimum de 1 pour 100 de la part de l’Etat. (H.R.)
  8. Le mien portait la devise caractéristique de mon système : Et la patrie et l’humanité !
  9. La question mise au concours était ainsi posée:« Lorsqu’une nation se propose d’établir la liberté du commerce ou de modifier la législation sur les douanes, quels sont les faits qu’elle doit prendre en considération pour concilier, de la manière la plus équitable, les intérêts des producteurs nationaux et ceux de la masse des consommateurs. » J’emprunte ce renseignement à un article sur List, de M. Joseph Garnier, que le Dictionnaire d’économie politique a publié depuis la première édition de la présente traduction.
            Le prix n’aurait pas été décerné parce que les auteurs des mémoires avaient traité la question générale de la liberté du commerce, au lieu de la question spéciale qui était l’objet du concours. (H. R.)
  10. C’est par la même raison que les écrits sur l’économie politique de M. Simonde de Sismondi, si distingué comme historien, sont dénués de tout mérite, pour ce qui concerne le commerce international et la politique commerciale. Chez M. de Sismondi, les yeux du corps voient tout rouge foncé ; les yeux de son esprit semblent être pareillement altérés dans les questions d’économie politique. Il veut, par exemple, qu’on mette un frein à l’esprit d’invention !
  11. Mon rôle de traducteur m’impose ici, quoi qu’il m’en coûte, une fidélité scrupuleuse. Le bon sens des lecteurs reconnaîtra aisément ce qu’il y a d’injuste et de passionné dans ces jugements et dans quelques autres, Quant à Rossi en particulier, dont je puis parler plus librement depuis qu’une mort glorieuse l’a ravi à la science et aux affaires, j’aurai plus loin occasion de faire remarquer qu’il se rapproche, a plus d’un égard, de la doctrine de List en matière de commerce international. (Note de la première édition)
            C’est le passage auquel se rapporte la note ci-dessus et la note elle-même qui ont excité la colère de Blanqui, et provoqué de sa part les attaques les plus violentes contre List et contre son traducteur. Blanqui avait sujet de se plaindre de List ; mais il aurait fait plus sagement, au lieu de s’acharner contre sa mémoire, à propos d’une boutade, de se borner à répondre qu’il ne faisait pas partie, en 1837, de l’Académie des sciences morales et politiques. Quant aux torts du traducteur, ils étaient imaginaires.
            La polémique qui a eu lieu en 1852 à ce sujet entre Blanqui et moi, et dans laquelle ni les esprits sérieux ni les rieurs n’ont été du côté de l’agresseur, se trouve dans le Moniteur industriel, le Journal des Économistes, et dans la Patrie.
            Qu’il me soit permis de reproduire une pièce de ce procès, savoir la lettre que j’adressai au directeur du Journal des Économistes à l’occasion de l’article inséré par Blanqui dans cette revue. (H. R.)
          À Monsieur le Directeur du Journal des Économistes.
          Monsieur,
    Le dernier numéro du Journal des Économistes publie sur le Système national de Fréderic List et sur son traducteur, un article de M. Blanqui, dont j’ai sujet de me plaindre. On peut porter, sur le mérite de mes travaux, le jugement qu’on voudra, mais il n’est permis à personne d’en contester la sincérité. Réclamer contre une odieuse accusation, c’est un devoir envers moi-même, et c’est mon droit. Je pourrais me prévaloir de ce droit légal, mais votre loyauté m’accordera, sans doute, d’elle-même, la faculté de répondre dans le même recueil où j’ai été attaqué.
          Voici les faits. List a écrit, dans la préface de son Système national, que M. Blanqui avait borné son ambition à délayer J. B. Say, qui, lui-même, avait délayé Adam Smith. Cette épigramme a justement blessé votre collaborateur, qui l’exagère, du reste, en la qualifiant d’injure brutale ; et il m’a fait l’honneur de m’adresser, à ce sujet, en octobre dernier, une lettre vive. Je me suis empressé de lui répondre poliment. Mes explications, apparemment, ne l’ont pas satisfait ; car, dans ses Lettres sur l’Exposition de Londres, qui ont paru peu après, on lit, sur Frédéric List, une note regrettable et qui dépare le volume. M. Blanqui avait annoncé, en outre, qu’il publierait un article terrible. Le foudre vengeur était depuis si longtemps suspendu sur ma tête que je n’y pensais plus ; il est tombé enfin ; mais, heureusement pour moi, il a raté ; cette fois, quelque maligne influence avait paralysé le bras du Jupiter économique. L’article du Journal des Économistes n’est guère qu’une répétition de la lettre et une amplification de la note ; il se distingue, néanmoins, de l’une et de l’autre par une amertume particulière contre le traducteur.
          J’admets le grief de M. Blanqui contre List, bien que je trouve notre pauvre compatriote bien acharné dans sa rancune, mais je ne puis m’expliquer sa malveillance à mon égard.
          M. Blanqui trouve mauvais que j’aie traduit le Système national. Étrange reproche, en vérité ! Singulier libéralisme ! Vous voulez ouvrir notre marché aux laines et aux bestiaux d’Allemagne et le fermer aux produits de la pensée allemande ! Vous réclamez la concurrence étrangère pour les éleveurs français, et vous n’en voulez pas pour vous-même, économiste français ! Que toutes les barrières tombent, mais qu’on en élève une nouvelle à votre profit contre la science d’outre-Rhin ; vous suffisez si pleinement, en effet, aux besoins de la consommation française !
          M. Blanqui aurait désiré que certain passage de la préface de l’auteur fût omis dans la traduction. « Ce n’est pas ainsi qu’on traduit quand on est Français, » m’a-t-il fait l’honneur de m’écrire en octobre dernier. Je ne savais pas que la qualité de Français dispensât un traducteur de l’exactitude et de la fidélité. Le passage dont il s’agit, je l’ai traduit littéralement comme tous les autres ; mais j’en ai décliné la responsabilité par la note suivante : « Mon rôle de traducteur m’impose ici, quoi qu’il m’en coûte, une fidélité scrupuleuse. Le bon sens des lecteurs reconnaîtra aisément ce qu’il y a d’injuste et de passionné dans ces jugements et dans quelques autres. » Ce correctif suffisait, certes ; l’idée ne m’était pas venue un instant qu’un homme d’esprit pût attacher de l’importance à de pareilles misères ; mais il y a des amours-propres maladifs que rien ne satisfait.
          « Cet ouvrage, dit M. Blanqui, semble avoir été traduit avec amour par un complice. » Complice de quel crime, s’il vous plaît ? Ce crime, c’est celui de la modération ; on avait inventé, sous la terreur, le crime de modérantisme ; M. Blanqui le ressuscite, et, Fouquier-Tinville du libre-échange, il s’engage à le poursuivre de ses réquisitoires impitoyables ; il aura, nous le craignons, comme son prédécesseur, de nombreux procès à instruire.
          Mais voici quelque chose de plus fort. « Frédéric I.ist, dit M. Blanqui, a trouvé dans Henri Richelot un traducteur à la hauteur de ses principes. Tant vaut la préface de l’un, tant vaut la préface de l’autre. C’est la même incertitude de doctrine, le même trouble de la conscience ; Ils sentent bien, tous deux, qu’ils ne sont pas dans la bonne voie ; pourtant, si j’avais à décider quel est celui des deux qui me paraît le plus sincère, je préférerais l’Allemand ; et je crains bien que le traducteur n’ait publié sa traduction qu’en vue de plaire aux astres qui brillaient naguère sur l’horizon républicain, filateurs, maîtres de forges et autres coryphées de cette brillante Assemblée législative qui se pâmait d’admiration devant les discours prohibitionnistes de M. Thiers. »
          A de telles insinuations ma réponse sera facile. N’ayant jamais soutenu d’autres doctrines commerciales que celles que je professe dans ma préface, et ce sont les doctrines qui prévalent dans les grandes administrations du continent, je crois pouvoir être cru quand j’affirme que j’ai fait une œuvre de bonne foi, que ma conscience est parfaitement tranquille, et que j’ai l’intime conviction d’être dans la bonne voie. Dès 1845, avant que le libre échange eût arboré son drapeau en France, j’avais eu occasion d’exprimer le cas que je faisais du Système national. En mettant ce beau livre à la portée des lecteurs français, j’ai suivi ma propre inspiration ; je n’ai reçu commission de personne ; dans l’accomplissement de cette tâche laborieuse et d’un mince profit, je n’ai été mû, je n’ai été soutenu que par un sentiment élevé de l’intérêt public ; et je repousse avec mépris une calomnieuse accusation.
          Si M. Blanqui en veut aux morts, à List, pour ce que nous savons, à la défunte Assemblée législative pour n’avoir pas goûté ses statistiques, il en veut bien davantage aux vivants, et je suis le préféré de sa colère : « On peut pardonner bien des choses, dit-il, à un esprit aigri par la souffrance et par le malheur ; mais qu’ont donc fait à M. Richelot, heureusement bien portant, les économistes de son pays, pour qu’il se soit associé, dans sa préface de traducteur, aux haines et aux bizarreries de cet Allemand nébuleux et atrabilaire ? »
          Je remercie M. Blanqui de l’intérêt qu’il veut bien prendre à ma santé, et j’aime à croire, de mon côté, que l’émotion que lui a causée la publication du Système national n’aura pas altéré la sienne. Quoi qu’il en soit, je n’hésite pas à le reconnaître, les économistes de mon pays, tant les économistes dignes de ce nom, suivant M. Blanqui, c’est-à-dire libre-échangistes, que les économistes indignes, ne m’ont jamais fait aucun mal ; je suis tout aussi innocent à leur égard qu’ils sont irréprochables envers moi, M. Blanqui excepté, bien entendu. Est-ce qu’on nuit aux gens pour n’être pas de leur avis en tout point ? Est-ce qu’on est l’ennemi de ceux dont on combat les doctrines avec courtoisie ? Tous ceux qui liront ma préface la trouveront calme et polie ; tous ceux qui liront mes notes témoigneront du soin que j’ai mis à rectifier quelques jugements erronés de l’auteur allemand, de mon culte pieux pour la mémoire des fondateurs d’une science que je cultive, quoiqu’indigne. Dans deux de ces notes j’ai cité M. Blanqui, l’ingrat !
          C’est moi qui ai le droit de dire à mon adversaire : Qu’est-ce que je vous ai donc fait pour être en butte aux traits de votre haine ? Qu’est-ce que je vous ai fait pour que vous cherchiez par tous les moyens à dénigrer un honnête homme ? Ou plutôt, comment êtes-vous ennemi de vous-même à ce point de descendre, par un tel langage, des hauteurs de l’institut ?
          En terminant cette réponse, je ne puis assez m’étonner de la légèreté avec laquelle un professeur parle d’un livre sérieux qu’il ne paraît pas même avoir lu. Que trouve-t-on dans ce compte rendu ? L’éternelle plaisanterie sur les cornes de cerf et les langues de vipère, qui constitue le fond de la polémique de M. Blanqui depuis vingt-cinq ans ; des invectives contre l’auteur et contre le traducteur ; voilà tout, absolument tout. M. Blanqui déclare List prohibitionniste, lorsqu’il n’y a pas dans tout l’ouvrage un seul argument en faveur de la prohibition. À l’en croire, l’auteur du Système national serait un homme obscur. De bonne foi, M. Blanqui aurait-il été piqué au vif par la boutade d’un homme obscur, et conterait-il sa peine à tous les échos, comme ces maris trompés, qui font du scandale, afin d’apprendre leur mésaventure à tout l’univers ?
          Je vous serais obligé, monsieur le directeur, de vouloir bien insérer la présente lettre dans votre prochain numéro, et de recevoir l’assurance de ma parfaite considération.
    HENRI RICHELOT.
  12. L’économie politique mise à la portée de tout le monde.
  13. Malgré ces observations, le reproche de plagiat n’a pas été épargné à l’auteur du Système national. On a essayé notamment, mais sans aucun succès, de faire honneur de ce système à un professeur obscur d’une université hessoise, auquel List l’aurait pris purement et simplement sans avouer son larcin. Les pièces de ce procès se trouvent dans les numéros du Zollvereinsblatt des 21 janvier et 3 février 1846. (H. R.)
  14. L’économie nationale envisagée du point de vue historique, 5e cahier et De l’importance d’une industrie manufacturière nationale, 9e cahier.
  15. Il y a lieu de croire que List veut parler ici de M. Rau, professeur distingué à l’université de Heidelberg, et auteur d’un traité d’économie politique, qui a eu plusieurs éditions. (H. R.)
  16. Voir le chapitre xvii du 2e livre de cet ouvrage.
  17. Je donne plus loin un extrait d’un écrit publié en 1847 par M. de Hermann sur la théorie du commerce international. Quant à Nebenius, je saisis cette occasion de réparer une omission dont je me suis involontairement rendu coupable à son égard dans mon livre de l’Association douanière allemande. Nebenius mérite une place distinguée dans une histoire du Zollverein. Dès 1819, il avait fait paraître une brochure remarquable, où étaient nettement exposées les considérations qui devaient décider les États allemands à former entre eux une union commerciale, ainsi que les maximes qui devaient servir de base à cette union, et qui servirent en effet de base au Zollverein ; en 1820, il était l’un des membres les plus importants du congrès de Darmstadt. Plus tard, il contribua puissamment à l’accession de Bade qui avait soulevé dans le grand-duché une vive opposition. (H. R.)
  18. « C’est par suite des fausses notions répandues par le système réglementaire, que la plupart des écrivains allemands regardent l’économie politique comme la science de l’administration. » Say, Cours d’économie politique, tome II, pag. 551. édition Guillaumin.
  19. Je reviendrai, dans une note ultérieure, sur cette distinction. (H. R.)
  20. Plus tard l’occasion pourra s’offrir à moi de donner quelques explications sur les idées et sur les actes remarquables de ces deux hommes en ce qui touche la politique commerciale allemande. Je les ai connus personnellement l’un et l’autre au congrès de Vienne en 1820. Müller, avec lequel je me suis souvent trouvé chez le feu duc d’Anhalt-Coethen, qui faisait alors de l’opposition contre la Prusse, m’a honoré de sa confiance. Gentz était moins abordable à cause du poste qu’il occupait et de ses rapports avec l’Angleterre ; cependant il eut à plusieurs reprises avec moi des discussions, qui, bien que non dépourvues d’intérêt, n’aboutirent pas à une commune entente : car, immédiatement après mon départ de Vienne, il entama contre moi, dans la Gazette d’Augsbourg, une polémique anonyme, que je me flatte d’avoir soutenue avec quelque honneur.
  21. Page 57. « Ils ont pris toute leur sagesse dans Adam Smith, esprit étroit, mais plein de pénétration dans son étroite sphère, dont ils proclament les maximes à tout propos, avec des développements insipides et en les récitant comme des écoliers. Sa science est très-commode, car, indépendamment de toute idée, abstraction faite de toutes les autres directions de la vie humaine, il construit un système commercial universel, qui convient également à tous les peuples et à toutes les circonstances, et où l’art consiste à laisser les gens faire ce qu’ils voudront. Son point de vue est celui de l’intérêt privé ; que l’État doive en avoir un autre plus élevé, et qu’en vertu de celui-là l’industrie nationale doive suivre une direction tout autre que ne le désire celui qui ne poursuit que de vulgaires jouissances, il ne s’en doute pas. Combien une telle sagesse, développée avec une sagacité dont la profondeur seule peut venir à bout, avec du savoir, de l’érudition même, doit séduire un siècle tout entier placé au même point de vue ! Je le les et je le critique. Il ne se lit que lentement, car il conduit par un labyrinthe d’abstractions stériles au milieu de l’enchevêtrement artificiel de ses forces productives, où il est plus fatigant encore que difficile de le suivre. » — Page 61. «   Je viens d’en finir avec Adam Smith à ma grande satisfaction, car, vers la fin, quand il vient à parler grandes affaires d’État, guerre, justice, éducation, il devient tout à fait stupide. Il faudra que j’écrive sur lui avec détail ; cela en vaut la peine, car, avec Napoléon, c’est actuellement le monarque le plus puissant en Europe. » (Littéralement vrai.) — Page 73. « J’en suis à ma sixième feuille sur Adam Smith et j’aurai fini demain. J’emporterai à Berlin mon travail. » — Page 56. « L’économiste Krause copie Adam Smith de la façon la plus inepte et la plus impertinente, si platement qu’il va jusqu’à employer les mêmes exemples ; seulement, lorsqu’Adam Smith parle d’un fabricant de draps, il dit un fabricant de toiles ; et à la place de Calicut et de Londres, il met Tranquehar et Copenhague. » (Littéralement exact.)
  22. L’animosité de List contre Adam Smith est ici d’une exagération puérile. N’était-il pas plus naturel de supposer que l’auteur de la Richesse des nations a fait mettre au feu ses manuscrits, par le même motif que Virgile demanda jadis la destruction, heureusement non accomplie, du poëme auquel il m’avait pas mis la dernière main ? On a vu, du reste, dans la Notice biographique, page 35, sous quelle impression List a écrit ces pages, que plus tard il a regrettées. (H. R.)
  23. Admirateurs des temps passés.