Sébastien Castellion, sa vie et son œuvre/1/2

La bibliothèque libre.
◄  I III  ►


CHAPITRE II


PREMIÈRES ANNÉES DE JEUNESSE. LYON
(1535-1540)



Lyon sous François Ier. — Le collège de la Trinite : le principal et les professeurs. —— Jean Raynier, Barthélemy Aneau. — Sebastien Chatillon (Castellio) au collège de la Trinité : comment il devient Castalio. — Groupe d’étudiants et d'humanistes auquel il appartient : Gilbert Ducher, Jean Voulté, Nicolas Bourbon. — Ses premiers vers latins et grecs. — Ses amis : les frères Argentier, Fl. Wilson. — Pas de relations avec Etienne Dolet.


Lyon, dans les belles années de Francois Ier, ce n’était pas seulement la seconde capitale du royaume, ce fut par moments la capitale. Les guerres d’Italie, qui ruinaient d’autres parties de la France, lui valurent au contraire un surcroît de vie. Depuis Marignan, à peine s’était—il passé deux ou trois années sans que Lyon vit les splendeurs d’une visite royale, tantôt dans un appareil militaire, tantôt avec ce brillant cortège de princes et de seigneurs, de dames, d’artistes,de poètes sans lequel l'histoire ne se représente pas François Ier.

Ville libre et ville riche dès longtemps, Lyon ne ressemblait alors à aucune autre ville de France ni peut-être d'Europe. C’etait bien cette cité qui, selon Paradin, « se peut vanter que Dieu et les astres se sont tant inclinez en sa faveur, car il n’est possible d’avoir deux plus riches, plus fécondes et plus plantereuses nourrices »; celle qu'un étranger, bon observateur et juge impartial, appelait, dès le commencement du siècle, « le second œil de France,


… le chef de la Gaule celtique
Reflorissant comme un autre Ilion[1];


c’était bien déja la ville dont le géographe protestant Antoine du Pinet fait quelques années après un portrait si animé, dont il célèbre « l'opulence, les trafiques indicibles qui par le moyen de ses quatre foires s’y pratiquent et démeinent par diverses nations, l’incroyable multitude des artisans, la commodité merveilleuse pour répandre ses marchandises par toute la terre, l’ordre politique tant curieusement maintenu, la gravité, la pieuse et heureuse administration des sénateurs »; à laquelle enfin il ne reproche qu’un abus, c'est qu'il « a veu que les tailleurs y estoyent princes et comme petits roys, tant estoyent grandes et superflues les façons des habillements[2] ».

Le géographe a raison d’insister sur cet ordre politique et cette administration locale si particulière. Lyon s’était peu à peu émancipé du joug de son archevêque et ne subissait encore que modérément celui du roi de France. Les antiques franchises de la Ville, ses institutions consulaires, l’étendue de son commerce, les privileges de ces quatre grandes foires internationales qui la mettaient chaque année en relation libre avec l’Europe entière, lui avaient fait une sorte d’indépendance dont elle etait aussi fière que de sa prospérité. En donnant asile depuis plus d’un demi-siècle aux Pazzi, aux Capponi, aux Strozzi, aux Gondi, à toutes les grandes familles proscrites de Florence et de Lucques ou émigrées à leur suite, Lyon attirait les industries, puis les arts de l’Italie. On y voyait grandir plus rapidement qu’ailleurs une de ces solides aristocraties bourgeoises dont le luxe même est un hommage au travail.

Une source nouvelle de fortune venait de s’ouvrir (1536) avec la première manufacture de soies. Mais nul n'en pouvait prévoir alors la future extension, et la grande richesse de Lyon, à ce moment, c’était l’imprimerie. Dès le XVe siècle l'imprimerie lyonnaise avait dépassé celle de Paris; au XVIe, plus de cent imprimeurs y exercaient « l’art divin »; sous leurs ordres, l’industrie· du livre occupait une élite de typographes, venus d’Italie, d’Allemagne et de France.

Si l'on ne pouvait plus citer parmi les vivants d’aussi illustres exemples que celui de Jean Lascaris corrigeant les premières éditions de Trechsel, on pouvait voir chez Sébastien Gryphe, alors le prince des imprimeurs lyonnais, des « courriers » (correcteurs) qui s’appelaient Hubert Sussanneau, Étienne Dolet, Francois Rabelais.

Avec Gryphe rivalisaient les Jean de Tournes, les Roville, les Frellon, les Rigaud, et, pour l'impression en langue vulgaire, les Francois Juste et les Nourry. C’est des presses lyonnaises que sortirent par milliers, en un petit format commode jusqu’alors inconnu, ces bonnes éditions classiques qui mettaient enfin les textes à la portée des étudiants.

Une ville ou l'imprimerie occupait une si grande place ne pouvait manquer d’être le rendez-vous des lettrés; il y régnait une activité intellectuelle que le reste de la France ne connaissait pas encore. Paris même n’avait pas autant de sève littéraire : surveillé de trop près par la Sorbonne, il offrait beaucoup moins de sûreté à tout ce peuple de jeunes disciples de la Renaissance que Lyon sollicitait par tant d’attraits :


Urbs quæ lautitiis, jocis, poetis,
Urbs quæ mercibus omnibus redundat,
Multos et tulit et tenet peritos;...
Urbs quæ semper alit disertiorum
Linguas mirifice favetque musis[3].


Ainsi parle Voulté de la ville aimable « qui sert les Muses et que les Muses servent en retour ».

C'est à Lyon que nous allons retrouver Sébastien Chatillon à l’âge de vingt ans. Quand et comment il y vint, nous l’ignorons, mais nous n’avons qu’à refaire pour lui cette histoire si simple et alors si commune, l'histoire des Ramus et des Amyot, des Cujas et des Paradin : un enfant de la campagne, pauvre et isolé, qui a la passion innée de l’étude, qui s'instruit tout seul au prix des plus touchants efforts; un jour la protection de quelque bienfaiteur, d'un prêtre, d’un parent plus aisé, le fait envoyer au collège, et les lettres ont gagné un fervent de plus. Telle est la légende véritable qui sert de préface aux plus belles vies du XVIe siècle et à celle sans nul doute de notre modeste héros.

Il ne l’a pas racontée, il n'a pas songé que cela méritat d'être écrit. Il y a deux races d'hommes à l'époque de la Renaissance, et elles n’ont jamais été plus tranchées : les uns tout occupés d’eux-memes, les autres de leurs doctrines; ceux qui rêvent sans cesse à la postérité, et ceux qui n'y ont jamais pensé. Les premiers nous accablent de confidences naïves autant que frivoles, les autres n’ont pas un mot d’autobiographie. Chatillon fut de ceux qui tenaient leurs idées pour affaire capitale, leur personne pour néant. Ces grands lutteurs ne soupçonnaient pas que leur vie même était le meilleur de leurs enseignements, et qu’un temps viendrait où, sans être sceptique, on donnerait de grand cœur beaucoup de leurs in-folio théologiques pour le moindre recueil de leurs lettres familières.


Ce qui attirait particulièrement à Lyon, vers 1530, la jeunesse des provinces voisines, c’était un établissement municipal de récente création et déjà en plein succès, le collège de la Trinité.

Ce petit collège n’avait été longtemps qu’une modeste école établie dans les « granges »[4] du couvent, au milieu des vignes et des prairies[5], par les soins et aux frais d’une sorte de confrérie laïque de bourgeois lyonnais. La prospérité même de leur entreprise les avait amenés à la remettre aux mains de la ville en 1527. Le clergé, il est vrai, avait fait des difficultés, réclamé, menacé au nom des droits de l’Église toujours méconnus[6], mais les échevins avaient tenu bon. L’un d'eux était un homme considérable, aussi célèbre alors qu’oublié depuis, Symphorien Champier, auteur de plus de cinquante ouvrages et, ce qui vaut mieux, fondateur de plusieurs établissements utiles, notamment de l'école de médecine ; ce fut lui qui, «  regrettant de voir mourir l’exercice des bonnes lettres en cette ville et s’efforçant l’y ramener[7] », prit une part décisive à la fondation du collège : il obtint l’assentiment de l’archevêque François de Rohan, moyennant que le choix du recteur fut soumis à l’approbation épiscopale. Le consulat de son côté donna tous ses soins au collège naissant, agrandit les locaux, institua quatre classes, établit une rétribution scolaire (2 sols 4 den.) et appela des professeurs, dont quelques-uns avaient déjà ou eurent bientôt de la renommée.

Le collège avait eu pour premier principal un Lyonnais, Guillaume Durand : une poésie de Gilbert Ducher donne à entendre que c’était un homme de mérite que la pauvreté avait étouffé[8]. C'était, tout au moins, un estimable professeur, un de ces maîtres qui créaient tout naturellement à Lyon la méthode nationale, celle de l'enseignement simultané du francais et du latin, détruite quelques années après par les Jésuites. Le seul opuscule que nous connaissions de Guillaume Durand est une édition toute scolaire du Libellus de moribus in mensa servandis de Jean Sulpicius Verulanus, cum familiarissima et rudi juventuti aptissima elucidatione gallico-latina Gulielmi Durandi. La préface, datée du 1er août 1542, est vive, brève, d’un latin élégamment aisé. Elle est adressée à Étienne Dolet, pour qui Durand marque une admiration courageuse : le livre parut au moment même de l'emprisonnement du malheureux imprimeur, et toutes les rééditions publiées dans les années suivantes[9], même après que Dolet eut été brulé et son nom livré a la réprobation publique, reproduisent cette préface hardie. Les jeunes seigneurs pour qui le bon moine de Véroli avait écrit ce carmen juvenile avaient évidemment tout à apprendre et beaucoup à désapprendre pour arriver aux rudiments du savoir-vivre ou plus crûment de la propreté: Guillaume Durand n’a pas jugé inutile de rendre le même service à la jeunesse de ses petites classes, rudiori meæ juventuti; il paraphrase patiemment distique après distique, et il les traduit en francais, ce qui ajoute sensiblement, de son aveu, à la sûreté de l'enseignement, et, du nôtre, à l’intérèt de la lecture. Quelques fines remarques sur la latinité décèlent l’humaniste de la Renaissance, le disciple de Budé. Il ajoute aux deux livres de Sulpicius un petit supplément, apex, de Josse Bade, qui à ces mêmes préceptes de civilité extérieure en avait joint quelques autres d’ordre plus relevé, et notamment celui-ci, qui pourrait être la devise de la Renaissance francaise :


Tandem, ubi doctus eris, reliquum est bene vivere cures,
Ignarisque tibi cognita præcipias;


que Durand traduit ainsi : « Et après que tu seras suffisamment instruict aux lettres, il reste que tu tasches de bien et honnestement passer le cours de ta vie sans aucun vice et avec toute vertu. Il faut aussi que tu faces participans de ton scavoir et érudition ceulx qui sont ignorans. »

Outre ce travail, nous ne connaissons de Guillaume Durand que deux petites pièces de vers latins qui méritent d’être mentionnées : l’une, en tête du Cato christianus (1538) d’Étienne Dolet, le trop fameux livret hérétique, dont le hardi pédagogue ose dire :


Hoc discite libro christiane vivere;


l’autre, en tête de l'Histoire de Francois Ier, en vers latins, du même Dolet (1539).

A Guillaume Durand avait succédé Jehan Canappe; le futur « lecteur des chirurgiens de Lyon » ne fit que passer au collège; il quitta ce poste pour se vouer à l'œuvre qui devait préserver son nom de l’oubli : l'enseignement de la chirurgie en français et la publication des premières traduction qui aient été faites dans notre langue des classiques de la médecine.

Puis vint (vers 1534) Eloy ou Loys du Verger (ou Vergier)[10], encore un de ces obscurs pédagogues de la Renaissance française dont il ne resterait aucune trace si par hasard une bibliothèque n'avait gardé quelque opuscule scolaire signé de leur nom. Nous en connaissons trois d’Eloy du Verger[11], dont une Grammatica latina pro pueris methodica ratione digesta, qui était très vraisemblablement le livre de classe des jeunes Lyonnais lors du séjour de Chatillon.

Du Verger fut dans la suite directeur du collège de Mâcon, et nous savons — par les lettres d’un de ses anciens élèves, qui fut l’ami de Chatillon, le médecin Benoît Tissier (Textor) — que, s’il ne s’est pas prononcé pour la Réforme[12], il y était tout au moins très enclin, ne cachait pas son admiration pour Calvin[13] et entretenait des relations avec les « évangéliques ».

A Eloy du Verger succéda un maître plus renommé, Jean Raynier[14].

Jean Raynier (Rainerius, Rænerius), d’Angers, était aussi, comme ses deux prédécesseurs, avant tout un homme d'enseignement; il avait déja publié ou il publia dans la suite, à défaut d’ouvrages scolaires originaux, plusieurs éditions de livres alors scolaires. C’est ainsi que Thibaud Payen faisait paraître, en 1538, en un petit volume presque élégant, les Auctores octo morales, ce fameux livre de chevet des écoliers du XVe siècle, qu’il intitulait avec raison emaculatiores quam antehac prodierint umquam, Joannis Rænerii opera. Plus tard, c’était Sébastien Gryphe, qui publiait une édition (in-8, 1551) des Élégances de Laurent Valla, qu’il recommandait au public pour le soin qu’avait pris Raynier de rétablir nombre de textes défigurés jusque-là.

Bon professeur, il inspira à ses élèves des sentiments qui ont fait son principal titre à la notoriété : Gilbert Ducher, Nicolas Bourbon, Jean Voulté, n’hésitent pas à lui soumettre leurs œuvres, se rendent à ses critiques, sont fiers de ses éloges et les impriment comme la meilleure des recommandations en tête de leurs poésies[15].

Nicolas Bourbon, dans un moment d’épanchement mélancolique, s’adresse à lui comme à un sage qui, avec Gilbert Ducher, se plaît a l'écart et sait goûter dans le culte des Muses des joies inconnues à ceux qui courent les fêtes et les festins[16]. Voulté lui dédie, comme à un homme de cœur capable de répondre à son enthousiasme, sa belle oraison funèbre du premier président Jacques de Minut (1537)[17]. Étienne Dolet ne fait pas moins de cas de ses suffrages et les insère en tête de son histoire en vers de Francois Ier (1539)[18]. Dès 1532, Raynier avait à Lyon une assez grande réputation d’éloquence, puisque ce fut lui qui fut chargé cette année-là du grand discours d’apparat qu’une fois par an, à la Saint-Thomas, le consulat devait faire prononcer devant le peuple par un orateur éminent[19].

Comme tout bon latiniste de son temps, Raynier devait faire des vers. Nous ne connaîtrions son talent poétique que par les quelques petits compliments versifiés que nous venons de rappeler, si précisément notre jeune étudiant n'avait partagé l’admiration commune pour ce maître. En quittant Lyon, Sébastien Chatillon emporta une longue pièce de vers de Jean Raynier qui, sans nul doute, avait passé de main en main et réjoui les étudiants; il la fit imprimer quelques années après, par Oporin, à Bâle, dans un recueil de Bucolicorum auctores : l’élève n’a pas rendu par là grand service au maître, et il faut même qu'il ait été quelque peu aveuglé par l’indulgence des souvenirs de jeunesse pour s’être décidé à publier ces Mopsi et Nisæ metamorphoses, récit en quatre cents vers trop faciles d’une assez grossière anecdote empruntée à la chronique scandaleuse de Lyon.

Mais sous ces divers principalats, même sous Jean Raynier et à plus forte raison sous ses obscurs et éphémères successeurs[20], l’homme qui en réalité tenait la première place dans le collège de la Trinité était un simple professeur, Barthélemy Aneau[21], plus connu sous son nom latin d’Anulus, qui enseignait la rhétorique depuis 1529 et qui ne devint principal qu’en 1540 pour peu de temps et définitivement en 1553. Natif de Bourges, il avait étudié sous le luthérien Melchior Wolmar et avait été sans doute condisciple d’Amyot, de Calvin, de Th. de Bèze[22].

En dépit, si ce n’est à cause de cette origine suspecte, Aneau se montrait exclusivement voué au culte des lettres. Il partageait ses loisirs entre la muse latine et la muse française. Il trouve un jour chez son ami l'imprimeur Mathias Bonhomme une suite de petites gravures destinées à illustrer des emblèmes perdus : il en devine le sens et en refait le texte eu distiques latins, parfois aussi crus que les images elles—mémes : c’est la Picta poesis[23]. Ses essais poétiques en langue vulgaire ont ce mérite et ce réel intérêt d’être un effort, en somme très intelligent et à coup sûr tres nouveau, pour assouplir la langue populaire et faire passer dans l’usage commun la fleur de l’antiquité. C'est ainsi qu’il achevait la traduction en vers francais des Métamorphoses d’Ovide et ne craignait pas, à la suite des trois premiers livres, qui sont de Marot, d'en publier un quatrième, qui est de lui[24]. C’est ainsi qu’il traduisait, également en vers, les Emblèmes ou Entregectz d’Alciat, en s’appliquant, ce qui était si rare alors, à conserver « la briefve tranche des sentences qui poingt l’esprit », à disposer, comme il le dit, « les petites pièces de marqueterie » dont se compose « cet ouvrage bigarré », sous divers titres généraux, « en leur· ordre et assiette, jouxte l’ordre naturel de l’usage commun », afin que chacun y pût trouver, « comme en ung cabinet très bien garni tout ce qu'il voudra inscripre ou pindre aux murailles de la maison, aux verrières, aux tapis, couvertures, tableaux, vêtements, tables, lits et armes[25] ». Il publiait des noëls[26], mettait en vers la chronique locale[27], traduisait des contes grecs et latins[28], s’amusait même à faire représenter des mystères avec chœurs et musique[29], et des satyres françaises[30] que Gryphe ne dédaignait pas d’imprimer.

M. Demogeot, dans sa piquante notice sur le collège de la Trinité, a fait d’Aneau un petit portrait qui mérite d’être conservé : « A une connaissance profonde des lettres grecques et latines, il joignait une élocution facile, un abord gracieux. Il faisait des vers latins durs d'accord, mais ingénieux, des vers français où l’esprit manquait moins que le naturel. Arrivait-il en ville un accident, Aneau le racontait ; un prince, Aneau le haranguait ; une sottise, Aneau s'en moquait ; une fête, il en réglait les préparatifs. Il élevait dans son collège un théatre où les mères venaient pleurer de tendresse aux vers du principal récités par leurs enfants, où les Lyonnais venaient applaudir au jugement de Dame Vérité qui, dans la comparaison de Paris, Rohan, Lyon, Orléans, donnait naturellement la palme à Lyon marchant. »

Et pourtant il paraît, s’il faut croire le témoignage trop souvent suspect d’un contemporain, que cet inoffensif lettré « sentoit mal de la foy, que c’estoyt luy qui avoit semé l’hérésie à Lyon, qu’il avoit corrompu et gasté plusieurs jeunes hommes de bonnes maisons de Lyon, qui furent les chefs de la révolte de cette ville et avoient tous esté ses disciples, et les avoit dévoyés de la religion de leurs pères »[31].

Cet homme, qui semblait avoir pris à tâche de n’inquiéter personne et qui avait passé pendant trente ans pour un esprit « orné, mais léger[32] », devait périr d’une façon tragique : il fut massacré en 1561 dans une émeute ou la populace — indignée, paraît-il, d’un sacrilège commis par un ouvrier exalté contre le Saint-Sacrement — se dirigea ou fut dirigée sur le collège, qu’à tort ou à raison on signalait comme le foyer de la réforme : les Jésuites se préparaient à y faire rentrer la saine doctrine. « On fit quelques arrestations, mais on relâcha bientôt les prisonniers ; et, tandis qu’on réunissait contre un seul homme la hache, le gibet et le bûcher pour châtier un acte de démence, le meurtre d’un innocent, d’un vieillard, de l’instituteur de deux générations demeura impuni[33]. »

On ne pouvait rien prévoir de semblable à l’époque où Sébastien Chatillon fréquenta le collège de la Trinité. C’est pourtant de là qu’il sortira converti à la Réforme, puisqu’il ne quittera Lyon que pour aller demeurer dans la maison même de Calvin.

Essayons de découvrir ce qui s’est passé en lui et autour de lui pendant ces années de première jeunesse, et, maintenant que nous connaissons ses maîtres, recherchons, à l’aide des rares indices épars dans ses écrits ou dans les documents lyonnais, quelles relations il a pu nouer, quelles ont dû être ses études, ses lectures, ses amitiés.

Plusieurs témoignages s’accordent à nous représenter le jeune homme travaillant seul à Lyon, subissant toutes les privations et endurant bravement la misère, jusqu’au moment où il trouva une ressource en s’attachant comme répétiteur à des jeunes gens de famille riche. Rudin, dans les Vies des Professeurs de Bâle, faisant allusion à ces rudes débuts, le loue d’avoir tant aimé l’étude et d’avoir su conquérir les moyens de s’y livrer privata prorsus industria[34]. Ce renseignement est précisé par un autre biographe dont nous constaterons souvent l’exactitude scrupuleuse, quoiqu’il écrive en vers. Il s’appelait Paul Cherler, et il s’est fait une notoriété comme auteur d’Epitaphes (latines) qui sont des biographies parfois très riches. Il dit dans l’épitaphe de notre Chatillon, dont il avait été l’élève affectueux et reconnaissant :


Lugduni docuit primum; linguamque pelasgam
Ista nobilibus legit in urbe tribus.


Enfin nous trouvons dans une page écrite par Chatillon, vingt ans plus tard, une allusion transparente à ce moment critique de sa laborieuse carrière.

Un personnage de son dialogue de Fide, voulant faire entendre ce que c’est que la foi naïve, la foi de l’enfance et de la jeunesse, en donne cet exemple :


Je me rappelle qu’il m’est arrivé quelque chose de semblable dans ma première jeunesse (mihi adolescentulo) : je vivais dans la condition la plus pauvre quand je fus appelé dans une famille noble et riche.

Je me souviens comme à cet appel je me sentis changer. J’étais donc délivré : plus de souci, plus de ces inquiétudes qui m’avaient tourmenté jusqu’alors ! Aussi, comme mes parents devaient m’envoyer une petite somme d’argent, je me hâtai de leur écrire de n’en rien faire, qu’en effet je ne manquerais plus d’argent désormais. D’avance je me représentais la demeure, les lieux, les personnes chez qui j’allais habiter, quoique je ne les eusse jamais vus[35].


Guidé par ces premières indications, nous avons cherché, sans grand espoir, si nous ne saisirions pas quelque autre trace du séjour de l’étudiant à Lyon. Le collège de la Trinité n’était pas une académie organisée : impossible de recourir aux registres d’immatriculation des élèves, surtout pour y chercher des répétiteurs qui pouvaient les accompagner et profiter, par surcroît, des cours pour eux-mêmes[36]. D’ailleurs, un mot de Cherler insiste sur le regret qu’eut toujours Chatillon de n’avoir pu faire dans sa jeunesse des études régulières dans une université[37]. Mais le même passage des Épitaphes indique assez clairement, à travers les hyperboles mythologiques, que, dès sa première jeunesse, il s’était distingué par le goût de la poésie latine et grecque.

Ce n’est point là une conjecture : un des textes les plus importants pour la biographie de notre auteur nous donne à cet égard des explications qui méritent d’être reproduites in extenso. Notre jeune précepteur, à l’âge où nous le trouvons à Lyon, est, comme il le dira plus tard, possédé du démon des vers. Voici ce que, à vingt ans de là, il répondra à Calvin qui, entre autres crimes, l’accusait d’orgueil :

Oui, j’ai eu de la vanité, je l’avoue, je le déplore et j’en ai honte aujourd’hui. J’avais une sotte et juvénile confiance dans mon savoir : il arrive trop souvent à ceux qui étudient les lettres et les langues anciennes, d’y attacher plus d’importance qu’à l’esprit (aux choses religieuses). Et pour te montrer combien je suis loin de vouloir excuser mes fautes, je te découvrirai à toi et au monde pour ma punition et à ma honte publique, un trait de vanité que tu as sans doute ignoré (sans cela, l’aurais-tu passé sous silence ?). Mais je veux, en le détestant moi-même, le faire détester de tous :

Comme je vivais à Lyon, tout jeune, avant d’aller te trouver à Strasbourg, il arriva un jour que quelqu’un au lieu de m’appeler de mon nom accoutumé Castellion, me nomma Castalion[38]. Ce nom rappelant la fontaine des Muses, me plut aussitôt, je me l’appropriai, et abandonnant le nom paternel de Castellion, je m’appelai désormais Castalion. Bien plus, je consignai ce nom en acrostiche dans les premiers vers de mon petit poème (grec), le Précurseur : c’était mettre en évidence jusque devant la postérité mon sot orgueil ! J’étais en effet, sauf le bon plaisir de la Muse, un poète, un µονσοπαταγος d'une légèreté toute grecque (græcæ plane levitatis).

Je confesse ces choses, dont j’ai déjà rougi bien des fois à part moi, en y réfléchissant, depuis que j'ai mieux connu la vérité, accusé par ma conscience plus forte que mille témoins. Aussi, renonçant désormais à cette gloriole grecque, puisque je trouve aujourd’hui l’occasion que j’ai

souvent cherchée, je désire qu’on m’appelle de mon nom de famille Castellion. Je n’ignore pas que quelques-uns pourront s’emparer de cet aveu de ma faute pour me la reprocher. Qu’importe ? Cette humiliation même est profitable, à moi d’abord dont l’esprit a besoin d’être abaissé autant qu’il avait voulu s’élever, et aux autres qui, instruits par mon exemple, apprendront à ne plus s’exposer en s’élevant ainsi à tomber de plus haut. Je sais en effet combien c’est là une maladie commune, surtout chez les gens de lettres, et combien peu s’en aperçoivent. Puisse cette leçon pénétrer bien avant dans leurs cœurs[39].

De cette naïve et noble confession, sur laquelle nous aurons à revenir, nous ne voulons tirer pour le moment qu’un complément d’information biographique.

C’est sous le nom de « Castalion », c’est parmi les lettrés qui entourent le collège et surtout parmi les amis des lettres grecques, plus rares que les latinistes, qu’il faut chercher notre jeune héros à Lyon entre 1535 et 1540.

Est-il besoin de dire que nous ne le chercherons dans aucun des cercles brillants du monde lyonnais, ni chez le cardinal de Tournon, ni dans les salons du gouverneur Pompone de Trivulce, ou du lieutenant général Jean de Peyrat, ni dans ceux d’Antoine de Gondi qu’un ami de Castalion, plus sensible aux vanités mondaines, Eustorg de Beaulieu, nous décrira plus tard comme le rendez-vous de toutes les illustrations ?

Il ne se trouvera pas non plus dans l’entourage immédiat d’aucun des princes des lettres que Lyon possédait. Le grand hébraïsant Sanctes Pagnini était mort en 1536. Symphorien Champier, le grand échevin, le fondateur du collège de médecine, l’inépuisable et universel écrivain, transition vivante du moyen âge à la Renaissance, achevait obscurément une existence qui avait eu des moments de gloire (1539). Rabelais, Marot, Bonaventure des Périers[40] que notre étudiant a pu rencontrer, ne fût-ce que chez l’imprimeur Gryphe, ne l’ont certainement pas remarqué ! Il n’a pu voir ni Jean Second, puisque le poète des Baisers venait de mourir (1536), ni celle qui allait bientôt s’appeler la Belle Cordière, puisque Louise Labé était encore une enfant, ni Pernette du Guillet plus jeune encore. C’est dans une société plus humble qu’il faut pénétrer, et nous avons précisément pour nous y introduire quelques guides précieux : ils le seront d’autant plus pour nous qu’ils ne se meuvent que dans les seconds plans. Ce sont quatre ou cinq recueils de poésies — latines pour la plupart, - imprimés à Lyon dans les années 1535 à 1540, c’est-à-dire au moment précis qui nous intéresse, et qui est bien, pour le dire en passant, un des plus attachants de l’Histoire littéraire de cette ville. On les intitulait alors Epigrammata, ce qui ne désignait nullement des épigrammes, pas même de celles « qui ont des dents de lait », mais simplement des pièces de circonstance, billets en vers, morceaux applaudis la veille en petit comité. N’eût été l’ingénue vanité de ces premiers amants de la Renaissance française, rien de tout cela n’aurait survécu, méritant si peu de survivre. Pourtant, avec un peu de patience, on tirerait de ces quelques volumes un tableau presque complet de la société cultivée de Lyon. De ce tableau nous n’avons le droit d’esquisser qu’un coin à peine, celui où se cache notre étudiant.

Sébastien Gryphe imprimait en 1538 les deux livres d’Épigrammes latines de Gilbert Ducher. On connaît peu aujourd’hui Ducher, Ducherium Vultonem Aquapersanum, c’est-à-dire né à Aigueperse, dans la même petite ville et presque à la même époque que Michel de l’Hôpital. C’était alors un poète en honneur, surtout aux alentours de Lyon. Il avait donné ses soins, à Paris, à des éditions de César et de Martial; il avait des admirateurs, dont quelques-uns le mettaient sans hésiter au premier rang des poètes latins de l’époque. En publiant ses deux livres d'Épigrammes, il proteste qu’il ne fait que céder aux instances de ceux qui les ont lues et suivre l’avis formel d’un maître à qui il ne peut rien refuser et dont le nom sert de passeport au livre : c’est le principal du collège dont nous avons déjà parlé, Jean Raynier.

Malgré le prix d’un tel patronage, Gilbert Ducher ne néglige pas d’y joindre d’autres témoignages propres à disposer favorablement le lecteur. Soucieux de sa renommée et suivant en cela d’ailleurs l’usage de tous les contemporains,



  1. Lemaire de Belges, cité par M. Fr. Thibaut, p. 142 de son livre sur Marguerite d’Autriche et Jehan Lemaire de Belges. Paris, 1888, in-8, Leroux.
  2. Plan, pourtraict et description de la ville de Lyon au XVIe siècle, par Antoine du Pinet, de nouveau mis en lumière par P.-B. Gonon. Lyon, 1844, in-8, p. 6 et 18.
  3. Voulté, Epigr., IV, p. 216.
  4. Maison de ferme et dépendances.
  5. Rabanis, Notice historique sur le collège de Lyon.
  6. Voir quelques détails intéressants dans l'Étude historique sur la Réforme à Lyon, par M. Moutarde, in-8, 1882, p. 41.
  7. Histoire de l’Université de Lyon, par Lazare Meyssonnier.
  8. Gilb. Ducher, Epigrammata, p, 11.
  9. Voir Répertoire des ouvrages pédagogigues du XVIe siècle, au mot Sulpicius, et le beau volume de M. Christie (trad. Stryienski), Étienne Dolet, p. 518.
  10. Serait-ce un membre de la même famille que Mme du Verger, que nous trouverons chez Calvin, à Strasbourg (Voir chap. IV) ou que le Du Vergier gouverneur de Bourgogne?
  11. Voir Répertoire des ouvrages pédagogiques du XVIe siècle, p. 658.
  12. Une épigramme de Bourbon, qui lui est adressée (Nug., VII. Carmen CXX) semble louer sa prudente réserve.
  13. « Tibi ni fallor amicus et tuorum operum admirator pie curiosus », ecrit B. Textor à Calvin à la fin de 1544 (Opp. Calv., XI, p. 821). — B. Textor écrivant a Calvin de Mâcon (19 décembre 1542), lui communique un ouvrage de Du Verger, « consutum ex aliis, præsertim Erasmo, sed nonnulla continentem quæ mihi a vero dissident, quæ ægyptiam superstitionem resipiunt ». Il prie Calvin de le lire, de lui marquer à part les points erronés, mais de faire cette critique avec douceur et courtoisie, « omni convicio procul remoto ». Les savants éditeurs de Calvin se demandent en note et de quel homme et de quel livre il sagit. La seconde lettre de B. Textor (XI, p. 821) raconte en detail à Calvin les propos qu’a tenus à Du Verger un pasteur du pays de Neuchâtel, Robert Le Lonvat, l'ancien chanoine natif de Sézanne, au sujet des prétendues exigences qu'aurait eues Calvin à l'égard de l'imprimeur Jean Michel pour un Nouveau Testament de Claude Boysset.
  14. M. Charvet, qui donne la liste des principaux du collège (dans sa biographie d'Étienne Martellange, Lyon, 1874, in-8), écrit « Jean Renyer ».
  15. Voir la 10e épigramme en tête des Nugarum libri octo de N. Bourbon; les deux dédicaces en vers en tête des deux livres des Epigrammata de Gilbert Ducher.
  16. Nug., VI, Carmen XC.
  17. Christie, Ét. Dolet, p. 307.
  18. Christie, ib., p. 355.
  19. J. Rainerii Oratio de recta civitatis institutione deque republicæ tranquillitate et gloria servanda et de Lugdunensis civitatis origine. 1532, in-8. Lugduni, Trechsel.
  20. Jacques Vassuel, Jacques Bobynet, Claude de Cublize.
  21. On dit aussi Laneau, Laigneau, Lagneau.
  22. France protestante, art. Aneau.
  23. On en citerait quelques-uns assez intéressants. Il est à remarquer qu'Aneau est de la même école pédagogique que les Baduel et les Cordier, c’est d'ailleurs celle de Rabelais : il montre dans un de ses emblèmes les odieux effets de la brutalité des maîtres (p. 32), Cholastica generosorum corruptela ; elle change des enfants en ours et en sauvages :
    Picta magistrorum tali est eicone tyrannis
    Quæ puerum naturam efferat ingenuam.
  24. Lyon, 1549. Roville, préface, p. 7 et 8. Le volume est illustré d'une suite continue de gravures de Gentil Bernard.
  25. Lyon, 1539, rééd. 1559.
  26. Epigrammes sur aulcunes choses mémorables advenues à Lyon audit an 1541.
  27. Alector, histoire fabuleuse traduite en français d'un fragment divers trouvé non entier mais interrompu et sans forme de principe, Lyon, P. Fradin, 1560, in-8 (très rare). « Mauvais roman, dit Bernard de la Monnaie, où de bonnes gens croient voir un sens mystique merveilleux quoiqu’il n’y en ait pas plus que dans les fanfreluches de Rabelais. »
  28. Mystère de la Nativité, imprimé en 1537, Lyon. Sebast. Gryphe.
  29. Lyon marchant, joué en 1541, imp. en 1542.
  30. Dans le volume Lyon ancien et moderne, p. 413 et suiv.
  31. Rubys, Histoire véritable de Lyon.
  32. Rabanis.
  33. Demogeot, dans Lyon ancien et moderne, 418.
  34. « Gratia tamen Dei concessit ut in summa paupertate animum non abjecerit, quin potius eo alacrius ad bonarum literarum studia erexerit et primum quidem privata prorsus industria. Qua tantum profecit ut ipse adolescens trigæ nobilium adolescentium erudiendæ Lugduni adhiberetur. » ― Rudin, Vitæ professorum, manuscrit à la bibliothèque de Bâle.
  35. De Fide, p. 202; voir aussi 201.
  36. Sur cet usage, très fréquent notamment en Savoie, voir Une famille au XVIe siècle, les Du Laurens, par Ch. de Ribbe, 1867, in-12.
  37. Ingenuas artes tenero studiosus ab ævo
    Imbibit, et clariis ora rigavit aquis ;
    Atque, ipsum juvenem quamvis Academia nulla
    Viderit, optato condideritque sinu….

  38. S’il avait voulu plaider les circonstances atténuantes, il pouvait dire que, dans la société qu’il fréquentait à Lyon, les jeux de mots sur les noms propres étaient non seulement un passe-temps à la mode, mais une des mines inépuisables de la poésie latine des humanistes. Ceux de Lyon en particulier, depuis Rousselet jusqu’à Dolet lui-même, se complaisent à ces jeux d’esprit avec une persévérance d’enfantillage tout à fait caractéristique. Ces esprits plus que jeunes avaient une facilité et une joie de collégiens à rapprocher tant bien que mal de quelque souvenir classique les noms qui semblaient s'y prêter le moins. Ils jouaient sur le nom de leurs professeurs :

    Ravisius Textor textores vicit ad unum
    Et telas textor textuit eximias.

    (Voulté, Epigr., p. 36.)

    Doctrinæ encyclopædiam quod unus
    Perfectam efficias et absolutam
    Non injuria es Anulus vocatus.

    (Gilb. Ducher, Epigr., p. 133.)

    Sur le nom de leurs maîtresses :

    Lucida lucidulis lucet mea Lucia membris
    Nullaque lucidulo pectora menda sedet.

    (Cl. Rousselet.)

    Sur le nom de leurs protecteurs et des personnages les plus graves : la mort du théologien Duchesne inspire à Rousselet une élégie ad porcos de amissa quercu (p. 69), il dit à Hugues Dupuy, son patronus singularis :

    Tunc promis puteum te accito forte cliente
    At puteal, præstans cum puteo puteal.

    (P. 117.)

    Pour célébrer le président Du Vair, il se torture à trouver des allusions au printemps.

    Voulté défend vivement Rabelais de l'étymologie qu'un zoïle avait forgée (rabie læsus) (p. 61) et retourne à l'honneur des deux Sève un compliment fâcheux tiré de leur nom :

    Nec te sævus homo es, re vere et nomine Scæva ;
    Sævus et ipse tibi, blandus et ipse aliis.

    Que de fois Marot n'a-t-il pas dû être impatienté du rapprochement de son nom avec celui de Virgile (Maro) ? C'est par centaines que se comptent dans la littérature contemporaine les variantes de ce distique de Nic. Bourbon :

    Carmina quæ scribit gallo sermone Marotus
    Vivent, dum vivent et tua, magne Maro.

    (Nugar. lib. V, 65.)

    L'abus n'était pas moindre en vers français. Ronsard lui-même n'écrit-il pas « à son précepteur » :

    Je ferais grande injure à mes vers et à moy
    Si en parlant de l'or, je ne parlais de toy
    Qui as le nom doré, mon Dorat ? car cet hymne
    De qui les vers sont d'or, d'un autre homme n'est digne
    Que de toy dont le nom, la muse et le parler
    Semblent d'or que ton fleuve Oronte fait couler.

    (Œuvres de Pierre Ronsard, éd. in-f° de 1623, II, 1125.)

    Ce jeu de mots même que se reproche tant Castellion, il avait été fait avant lui. Les Epigrammata posthumes de Claude Rousselet (1537) contiennent une petite pièce adressée à un docteur en théologie qui s'était fait appeler non pas Castalio, mais Castalius :

    Castalio Aonidum Phœbique vocaris ab amne,
    Nec sine re tibi sont nomina Castalii :
    Castalius liquidas rivus defundit ut undas
    Fontis et irrorat sicca labella liquor,
    Sic tua mellituum diflundens vena liquorem
    Barbariem, grato mixta labore, fugat.

    (Cl. Rousselet, Epigrammata, p. 26.)
  39. Defensio, p. 355-57.
  40. Réfugié à Lyon en 1538 pendant que la Sorbonne condamnait l’imprimeur du Cymbalum mundi. (Voir la note, p. 46.)