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Tableau de Paris/135

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CHAPITRE CXXXV.

Médecins.


Si Moliere revenoit au monde, il ne reconnoîtroit plus un seul de ses médecins. Où sont-ils les Guenaud, montés sur une mule ? Où sont MM. Purgon & Diafoirus ? Au lieu d’un homme grave, au front sévere & pâle, ayant une marche méthodique, pesant ses paroles & grondant quand on n’a point observé ses ordonnances, il appercevroit un agréable, parlant de toute autre chose que de la médecine, souriant, étendant une main blanche, jetant une dentelle avec symmétrie, pariant par saillies, & jaloux d’étaler au doigt un gros brillant.

S’il tâte le pouls, c’est avec une grace particuliere ; il trouve par-tout la santé ; il ne voit jamais de danger. Au lit d’un moribond, il a l’air de l’espérance ; il distribue des paroles consolantes, part, plaisante encore sur l’escalier ; & dans la nuit même, la mort emporte son malade.

Quand un médecin tue dix mercenaires par ignorance ou par indifférence, il ne s’en afflige pas ; mais si un homme en place meurt entre ses mains, il en devient inconsolable, & pendant quinze jours il a l’air de demander grace à tous ceux qu’il rencontre.

Passez-moi l’émétique, je vous passerai le séné, a dit le bon Moliere. Telle est encore de nos jours la politique des membres de la faculté.

Un certain nombre de médecins se sont partagé, pour ainsi dire, les malades de la capitale. Quand l’un d’eux a commis une faute grave dans le traitement, comme son confrere tombera dans le même cas, la faute homicide est passée sous silence, palliée, justifiée même ; aucun n’ose contredire les ordonnances du confrere, & le malade meurt au milieu de dix médecins, qui voient très-bien ce qu’il faudroit faire pour le sauver, mais qui, par esprit de corps, laissent le premier appellé achever dans toutes les regles son méthodique assassinat.

Les complices discrets retrouvent, en tems & lieu, la même condescendance ; ils donnent pour excuse l’incertitude de l’art, la maniere aveugle dont le plus habile procede ; mais pourquoi, avec ces notions, se renferment-ils opiniâtrement dans une routine meurtriere, dont ils ne veulent pas sortir ? Pourquoi s’opposent-ils avec fureur à tout ce qui simplifie l’art ? Pourquoi, enivrés de leur doctrine homicide, ne changent-ils point leur ancienne & détestable pratique, lorsque leur propre expérience leur en a démontré l’insuffisance & le danger ?

C’est qu’ils veulent traiter la médecine d’une maniere tout-à-la-fois obscure & lucrative, faire des visites nombreuses, ne rendre compte de rien, ne point communiquer avec tout profane, & s’envelopper dans leurs theses barbares, ouvrage des siecles les plus opposés à la saine physique.

La séparation qu’ils ont établie entre celui qui écrit l’ordonnance, & celui qui compose le remede, est déjà un préjugé bien défavorable pour la guérison ; ils se refusent de même à l’analyse chymique des médicamens ; & n’ayant aucune idée nette sur l’étrange composition & décomposition de toutes ces drogues, ils n’en mettent pas moins en usage ces poisons terribles, qui sortent de la boutique des apothicaires : de sorte que le malade a deux fléaux à combattre, l’ordonnateur audacieux, & le manipulateur infidele.

La médecine est donc, de nos jours, un charlatanisme hardi & accrédité, dont ceux qui l’exercent, sentent le vuide, l’incertitude & la confusion ; mais qu’ils n’abandonnent pas pour cela, parce que ce charlatanisme produit de l’argent.

La faculté de médecine traîne encore dans notre siecle les préjugés & les erreurs des siecles les plus barbares. Tandis que la physique a fait des progrès qui ne lui sont pas dus, elle semble se complaire dans les ténebres épaisses de ses vieilles formules, & craindre les traits de lumiere qui décomposeroient tout-à-coup ce fantôme qui en impose à la crédulité humaine.

Les médecins, grace à Moliere & à d’autres écrivains, ennemis de ces imposteurs fourrés, ont reçu tant de sarcasmes, qu’ils ont enfin renoncé à la coutume de saigner un pauvre homme vingt-cinq fois, comme ils faisoient encore il y a trente ans. À force de les ridiculiser sur leurs autres pratiques meurtrieres, on les obligera peut-être à suivre la méthode d’Hypocrate, qui ne prescrivoit presqu’aucun remede, mais étudioit la nature, & ne lui ôtoit rien de ses ressources.

Combien les médecins ne doivent-ils pas aux empiriques ! Tandis qu’ils se consument en systêmes, ceux-ci, par la tradition & l’expérience, ont des remedes qui, en guérissant, déconcertent la vaine érudition des facultés.

Ils ont lâché le pied devant le défi solemnel que leur a porté le docteur Mesmer. Après ce refus, ils auront du moins la pudeur de garder le silence sur les opérations inconnues de leur adversaire, & d’attendre du tems ce qu’il doit prononcer à cet égard. Mais, quelle que soit l’issue, ils auront toujours à se reprocher de n’avoir pas été au-devant d’une découverte utile, ou de n’avoir pas démontré l’erreur, lorsque le cri général les y invitoit, & lorsque leurs invectives, leur emportement & leur fureur contre l’auteur de la découverte exigeoient une sorte de justification publique.

Ils ont mieux aimé persécuter un de leurs confreres, qui leur disoit modestement, j’ai vu ; examinons ; nous ne savons rien ; point de précipitation ; rappellons-nous l’histoire de toutes les découvertes, &c.

Il y a à parier dix contre un, que le confrere a raison contre la faculté, & que le magnétisme animal a vraiment quelque chose d’extraordinaire & de merveilleux. Je suis porté à le croire, par tout ce qui est parvenu à ma connoissance. Si je suis plus instruit, j’en parlerai encore avec plus d’assurance, soit dans cet ouvrage, soit ailleurs ; car je me suis voué à la défense de la vérité, autant qu’il est en moi de l’appercevoir & de militer pour elle.

On s’est expliqué, dira-t-on, un peu vivement contre les médecins ; mais ils s’attaquent à nos santés & à nos vies. Quoi de plus funeste ?