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Tableau de Paris/136

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CHAPITRE CXXXVI.

Société royale de médecine.


La faculté de médecine, digne sœur ou digne fille de l’université de Paris, réunie en corps depuis tant de siecles, n’avoit rien fait & ne vouloit rien tenter pour la perfection de l’art. Elle ne traitoit jamais des maladies régnantes, ne publioit aucune observation, ne lioit aucune correspondance avec les médecins de l’Europe, & dédaignoit tout ce qui étoit & tout ce qui se passoit hors de son sein. Enveloppés stupidement dans leurs antiques usages, livrés à un égoïsme fatal, ses membres ne songeoient qu’à tirer de l’argent des malades pour rouler équipage, & se refusoient à un régime plus utile à l’humanité, lorsqu’il plut au roi régnant d’établir une société royale de médecine, qui embrasseroit toutes les connoissances analogues à ce grand art. Cet établissement est de la plus haute sagesse ; & quand il ne feroit que jeter un germe d’émulation entre deux corps divisés, il seroit encore infiniment utile.

La collection des mémoires & dissertations de cette société, qui ne vient que de naître, est déjà précieuse ; & tous les médecins de l’Europe concourront avec joie à former un dépôt qui ne choquera que la paresse, l’orgueil hautain & l’ignorance des médecins de la capitale.

Rien n’est si dangereux & si méchant qu’un mauvais médecin. Quand ils sont en foule, jugez de leurs clameurs ! Mais il est tems que l’insuffisance de cette vieille faculté, ainsi que son formulaire homicide, soit mis dans tout son jour.

La médecine est l’art le moins avancé, & conséquemment celui qui mérite le plus d’être régénéré. Il est bien étonnant qu’un homme de génie, pareil à Hypocrate, ne se soit pas encore offert depuis ce grand homme, pour pénétrer cet art de la lumiere qui lui manque. Le comble de l’extravagance n’est-il pas d’avoir mis l’ordonnance dans une main & le remede dans une autre ? Ce procédé n’annonce-t-il pas une marche aveugle, & cette séparation n’est-elle pas sujette aux plus terribles inconvéniens ?

Les miracles modernes de la chymie, qui marche de découvertes en découvertes, ne doivent-ils pas arrêter le médecin qui ordonne une potion composée de sept à huit sortes d’ingrédiens ? S’il n’est pas le plus insensible & tout-à-la-fois le plus audacieux des hommes, ne doit-il pas connoître, avant tout, les élémens chymiques du remede qu’il administre ? Quoi, parce que la terre ensevelit ses fautes, il se croira quitte envers la société & envers sa conscience ! Faisant le meilleur, le plus lucratif & le plus commode de tous les métiers, les médecins ont décidé, & pour cause, que qui ne portoit pas l’habit fourré, la robe scolastique, seroit inhabile à faire aucune découverte, & qu’on la lui contesteroit per fas & nefas. Ainsi ils immolent l’humanité entiere aux vils intérêts de leurs honoraires ; & comme les morts n’ont jamais intenté procès aux médecins, non plus que les héritiers, ils continuent à tracer leur aveugle ordonnance, & à distribuer les vieux poisons de la pharmacie.

Quand viendra l’homme généreux & éclairé, qui renversera les temples du vieil Esculape, qui brisera la lancette dangereuse du chirurgien, qui fermera la boutique des apothicaires, qui détruira cette médecine conjecturale, escortée de drogues, de jeûnes, de diettes ? Quel ami des hommes annoncera enfin une nouvelle médecine, puisque l’ancienne tue & dépeuple ?

Le refrain des médecins est de crier au charlatan, à l’empirique, dès qu’on n’est pas de leur corps ; mais la thériaque, l’émétique, le quinquina, la plupart des spécifiques & l’inoculation doivent leur origine à l’empirisme. Je ne le crois pas au fond plus dangereux que la médecine actuelle, avec ses formules & ses theses.