Tableau de Paris/157

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CHAPITRE CLVII.

L’Homme décidément superficiel.


Cest un titre dont il se glorifie & qu’il affiche ; c’est un homme d’un très-bon ton, parce qu’il traite avec importance ces riens dont nous parlions.

L’opéra comique, le grand opéra, ont droit, avant toutes les autres spéculations, d’intéresser son esprit. Comme on ne parle à Londres que de l’ordre public, des intérêts de l’Europe & du commerce des nations, il ne parle lui que des comédiens, des farceurs & des petits vers qui courent ; ce qui est très-nécessaire toutefois dans certaines maisons, où il doit parler sans rien dire.

C’est ainsi que l’homme décidément superficiel, & qui se donne à dessein un nombre incroyable de petits ridicules, vit à Paris : il sait ce qui se passe dans les foyers, dans les petites loges ; il connoît les aventures de toutes les actrices ; il sait ce qui s’est dit mystérieusement dans les soupers. On le voit aux trois spectacles. S’il paroît dans une promenade, tout le monde le salue ; il parle à l’un, sourit à l’autre, aborde un troisieme, annonce tout haut la distribution de sa journée, parle de son oisiveté avec le sérieux que pourroit prendre l’homme sensé qui annonceroit une occupation utile. Il exagere les modes ; il a des enthousiasmes sans chaleur, des engouemens sans motifs : il outre la frivolité nationale ; mais il cache quelquefois, sous ces dehors empruntés, la marche fine d’une ambition ardente : il donne le change à ses rivaux, fait tout-à-coup un excellent mariage, & se trouve revêtu d’une charge importante.