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Tableau de Paris/160

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CHAPITRE CLX.

Sort d’un Bourgeois.


Cependant un sot bourgeois de cette espece, qui jouit de cinquante mille livres de rente, peut se regarder comme le centre de plus de trois cents mille hommes qui agissent & travaillent pour lui nuit & jour.

Au moyen de tous les arts enchaînés l’un à l’autre, la condition de ce particulier devient presqu’égale à celle des rois ; & en effet, il a toutes les commodités réelles & voluptueuses dont peuvent jouir les monarques.

Ainsi, pour que le luxe soit moins meurtrier, & que, semblable à la lance d’Achille, il guérisse d’un côté les maux qu’il a faits de l’autre, il faut qu’il n’admette pas d’interruption. Dès qu’une branche tombe ou cesse, voilà tout-à-coup des désœuvrés & des nécessiteux. Il est très-sûr que si les riches interrompoient pendant une année le cours de leurs folles dépenses, il y auroit la moitié de la capitale, qui tout-à-coup ne pourroit plus subsister.

Le riche la préfere à tout autre séjour, parce que tout y vient d’un bout du royaume à l’autre. Elle jouit plus abondamment des denrées qu’elle ne produit point, que les contrées même qui les produisent.

Mais les impitoyables voluptés des riches, avec leurs arts de sensualité & de frivolité, immolent des générations entieres à un luxe fol & cruel.