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Tableau de Paris/167

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CHAPITRE CLXVII.

Coëffeurs.


Qui connoît le sieur Dupain, qui vient d’afficher par-tout, l’Art varié des coëffures ? Qui l’a lu ? Moi seul peut-être. Il célebre avec enthousiasme cet ornement léger qui garnit la tête & accompagne le front de l’homme ; & comme il faut idolâtrer son talent pour le pousser loin, il s’extasie devant l’art qui a coupé, papilloté, tordu, crêpé, façonné, arrangé, pommadé, frisé & poudré de deux ou trois cents façons différentes les cheveux soumis ou rebelles d’un galant homme, ou d’une jolie femme. Il creuse cet art dans toute sa largeur & sa profondeur. Et quel art, même de nos jours, a été fondé en entier ?

L’art de la coëffure est sans contredit celui qui approche le plus de la perfection. La perruque a eu ses Corneille, ses Racine, ses Voltaire ; ce qui fait ici exception, ces perruquiers ne se sont point copiés. La perruque, d’un volume exagéré & bizarre dans son origine, a fini par imiter le naturel des cheveux. Ne pourroit-on pas appercevoir ici la marche & l’emblême de l’art dramatique, d’abord pompeusement & ridiculement factice, puis rentrant à force de réflexions dans les limites de la nature & de la vérité ? La grosse & énorme perruque représenteroit la tragédie bouffie & boursoufflée ; une perruque légere, qui rend parfaitement la couleur & jusqu’à la racine des cheveux, qui s’implante, pour ainsi dire, & ne semble point étrangere sur la tête qui la porte, représentera le drame vrai, contre lequel les antiques & grosses perruques font rage ; mais il faut enfin qu’elles cedent à leur moderne rivale.

Quoi qu’il en soit (& nous laissons la discussion de ces graves matieres à la sagacité du sieur Dupain) graces à son art, d’un petit monstre féminin l’on sait faire aujourd’hui une figure humaine ; on lui a créé un visage & un front par la magie des rapprochemens. Et les actrices ne devroient envisager les coëffeurs qu’avec une vénération profonde ; car après les auteurs qui les font parler, ce sont les perruquiers qui leur donnent l’existence. Mais les ingrates ne se doutent pas qu’elles doivent tout à ces heureux créateurs.

Le coëffeur trouve sa récompense dans l’exercice même de sa profession. Son œil domine incessamment les plus rares trésors de la beauté, voilés pour tout autre regard. Il est témoin de tous les mouvemens, de toutes les graces, de toutes les minauderies de l’amour & de la coquetterie. Il voit les premiers ressorts de ce jeu que possedent si bien les femmes, & qui fait mouvoir, par un fil imperceptible, les grands pantins du siecle. Il doit être discret, tout voir, & ne rien dire ; autrement ce seroit un vil profanateur des mysteres auxquels il est admis, & l’on ne choisiroit plus que des femmes qui gardent ordinairement le secret de leur sexe.

Les coëffeurs avoient mis à leur porte, en gros caracteres, académie de coëffure. M. d’Angiviller a trouvé que c’étoit profaner le mot académie, & l’on a défendu à tous les coëffeurs de se servir de ce mot respectable & sacré ; car il faut dire qu’à Paris les prohibitions bizarres sont éternelles. Il s’agit toujours d’une défense, & jamais d’une permission.