Aller au contenu

Tableau de Paris/168

La bibliothèque libre.

CHAPITRE CLXVIII.

Parures.


Un diamant est beau par lui-même ; l’artiste le taille, le polit, le façonne ; il jette alors un éclat plus vif : telle est la femme. Rien ne la touche plus vivement que la parure ; rien ne lui est plus cher que de réparer le tort des années ; rien ne la flatte plus enfin, que ce qui peut suppléer à ce qui lui manque du côté de la fraîcheur & de la beauté du teint.

Nous connoissons par l’histoire les cinq cents ânesses qui suivoient par-tout l’impératrice Poppée, pour fournir abondamment à ses bains de lait & à ses cosmétiques. Nous savons que la reine Cléopâtre rehaussoit l’éclat de ses charmes par les soins de la parure la plus étudiée, & qu’elle enchaîna de cette maniere le premier & le second des humains, César & Antoine. Nous n’ignorons pas que la reine Bérénice avoit de si beaux cheveux qu’ils donnerent leur nom à une constellation céleste. Nous avons lu que Sémiramis appaisa une sédition furieuse, en s’arrachant tout-à-coup de sa toilette, & se montrant sur son balcon le sein découvert & dans le désordre d’une femme à moitié déshabillée.

On ne nous a pas laissé ignorer toute la coquetterie de la belle Hélene, qui alluma tant de feux, & qui occasionna une guerre qui, fameuse après trente siecles, retentit encore dans l’univers ; on nous a instruits que Jézabel, mangée par les chiens, mettoit du rouge : mais les poëtes anciens, quoique grands descripteurs, ne nous ont point représenté les modes de ces tems éloignés avec assez de vérité pour que nous puissions nous en former une juste idée.

Je sais qu’une Bacchante échevelée, le tyrse en main, le front couronné de lierre, peut paroître aussi belle qu’une marquise coëffée en vergette ; je sais que les tuniques des dames Romaines pouvoient avoir les graces des robes ouvertes des Européennes modernes ; je sais que leurs sandales ont pu recevoir l’élégance de nos souliers exhaussés & mignons ; mais enfin qu’en coûtoit-il de nous donner la description de leur coëffure, de ses accessoires, de ses variations, & de son ensemble brillant ? Pourquoi les écrivains n’ont-ils pas parlé de l’arrangement des cheveux ? Pourquoi ont-ils négligé de nous faire connoître la base de l’admirable édifice, où il commençoit, où il finissoit ? Où plaçoit-on la topaze & la perle ? De quelle maniere les fleurs étoient-elles entrelacées, &c ? Qui les a donc empêchés de peindre la sphere mouvante des modes ?… Ah ! je le sens moi-même, en voulant ici prendre le pinceau ; c’est qu’il est impossible de peindre cet art, le plus vaste, le plus inépuisable, le plus indépendant des regles communes. Il faut voir la beauté donnant à son miroir le dernier coup-d’œil de satisfaction, & puis admirer & se taire.

En effet, si je voulois représenter une toque accompagnée de deux attentions prodigieuses, un bonnet à la Gertrude, à la Henri IV, un bonnet aux navets, un bonnet aux cerises, un bonnet à la fanfan ; puis parler du bonnet artisté, des sentimens repliés, de l’esclavage brisé ; j’aurois beau représenter le grattoir diamanté, le peigne en pierreries, faire pencher la physionomie, offrir les cordelieres d’un goût inconnu. Je ne tracerois que des mots ; & Homere lui-même, avec son génie, a eu plus tôt fait de peindre le bouclier d’Achille, que la coëffure d’Hélene.

Taisons-nous donc, & envoyons à l’opéra l’étranger jaloux de connoître les modifications de nos modes brillantes : qu’il les contemple sur la tête de nos femmes, & non dans une froide & inintelligible description.

Au commencement de ce siecle, les femmes portoient sur une belle gorge à découvert, des croix & des petits saint-esprits de diamans. Un prédicateur s’écrioit en chaire : ah, bon Dieu ! peut-on plus mal placer la croix qui représente la mortification, & le Saint-Esprit auteur de toutes bonnes pensées !

La couleur générale, au moment que j’écris, est dos & ventre de puce[1]. On a raffolé sur-tout des bonnets au parc-anglois ; on a vu sur la tête des femmes, des moulins-à-vent, des bosquets, des ruisseaux, des moutons, des bergers & des bergeres, un chasseur dans un taillis. Mais comme ces coëffures ne pouvoient plus entrer dans un vis-à-vis, on a créé le ressort qui les éleve & les abaisse. Dernier chef-d’œuvre d’invention & de goût.

L’histoire des poufs, pets en l’air, coques, chignons, bouillons, chiffons, devroit être confiée à l’académie des belles-lettres, qui fait des recherches si profondes sur les colliers & ornemens que portoient les dames Romaines. Et le présent ? Pourquoi n’en pas parler ? Les bonnets à la grenade, à la Thisbé, à la sultane, à la Corse, ont passé, ainsi que les chapeaux à la Boston, à la Philadelphie, à la Colin-Maillard ; la coëffure en limaçon penche sur son déclin. Mais mon devoir m’obligeroit à parler des jupons grossis, bouffis, ébaubis, qui grossissent les hanches & donnent de la chair aux femmes qui n’ont que la peau. Je promets donc le journal des plumes & des jupes, qui sera mieux accueilli que le Journal des Savans ou celui de Neuchâtel[2].

Le tul, la gaze & le marli ont occupé cent mille mains ; & l’on a vu des soldats valides & invalides faire du marli, le promener, l’offrir & le vendre eux-mêmes. Des soldats faire du marli !… Je vais lire cinquante pages d’Ossian, pour écarter & chasser cette déplorable idée.

  1. Boue de Paris & merde d’oie ont prévalu depuis ; mon livre est à moitié antique. Je voulois parler de la coëffure à l’hérisson ; la coëffure à l’enfant l’a bannie. Les plumes sont devenues plus rares ; elles ne flottent plus en panache. Oh, comment peindre ce qui par son extrême mobilité échappe au pinceau !
  2. Journal trop peu répandu, où plusieurs articles marqués d’un C sont d’un juge impartial, d’un écrivain sensé & d’un vrai littérateur. Pourquoi ne tient-il pas la plume dans un ouvrage périodique plus accrédité ?