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Tableau de Paris/171

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CHAPITRE CLXXI.

Pensions.


On a senti la nécessité d’enseigner aux enfans autre chose que la langue latine. Plusieurs pensions, où l’éducation est complete, se sont formées sous les auspices des lumieres nouvelles. Cette éducation est purgée de cet alliage pédantesque qui ailleurs la déshonore. Il étoit excessivement ridicule de donner la même éducation à un militaire, à un magistrat, à un négociant, à un médecin, & d’éloigner l’étude la plus nécessaire, celle des langues vivantes.

On trouve donc à Paris des pensions nouvelles, formées sur un plan raisonné, où tous les arts sont admis, où chaque éleve choisit la science qui doit prédominer dans son emploi futur. Ces établissemens sont dus aux progrès des lumieres, & aux plaintes fréquentes & légitimes que les écrivains ont jetées sur la déplorable routine de notre université.

Elle suit encore aveuglément ces futiles & pernicieux usages ; mais bientôt elle ne recevra plus dans son sein que les enfans de la derniere classe de la société, qui par pauvreté seront forcés de s’abandonner à sa vieille déraison.

Les petites pensions de l’université offrent un aspect ridicule & hideux : la nourriture morale y est encore au-dessous de la nourriture physique : là se trouvent de malheureux précepteurs, dits gascheux, dont l’indigence extrême ne sauroit même atteindre à l’extérieur d’un abbé, quoiqu’il soit peu coûteux. Ils ont un costume mixte, les cheveux ronds & gras, les bas noirs, la culotte déchirée, l’habit de couleur ; point de poudre ; la figure have & famélique.

Ces latinistes se louent à un plus bas prix que le laquais de la maison ; les maîtresses de pension leur rognent le pain & la viande ; les servantes les rebutent ; des écoliers qui les voient méprisés, se moquent d’eux & les tourmentent.

Point de loisir ; ils n’ont ni congé, ni vacance ; ces jour-là sont pour eux des jours de fatigue ; ils menent les écoliers aux promenades, répondent de leurs bras & de leurs jambes, corrigent les devoirs de trois classes, ont à faire au maître de pension, aux professeurs du college, aux parens, n’exercent qu’en tremblant une équivoque autorité sur une foule d’espiegles, les surveillent le jour & la nuit, se levent avant eux, se couchent après, également coupables par l’indulgence & la fermeté, & menacés chaque jour d’être mis à la porte avec leur latin : les cuistres & les marmitons de la cuisine sont cent fois plus heureux.

Il faut avoir balancé quelque tems entre la riviere & ce triste emploi, pour avoir le courage d’embrasser ce dernier parti. Des hommes de mérite, connus aujourd’hui dans la république des lettres, ont néanmoins commencé par-là : tant l’infortune impérieuse contraint quelquefois le génie naissant !