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Tableau de Paris/205

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CHAPITRE CCV.

Amélioration.


Je me hâte de le publier, le cimetiere des Innocens vient d’être fermé enfin : ce cimetiere où l’on enterroit des morts depuis Philippe le Bel !

Il étoit alors loin de la ville, il se trouvoit de nos jours au centre. Le parlement écouta les réclamations des habitans qui environnent le cimetiere ; il consulta des chymistes & des physiciens. Les connoissances nouvellement acquises sur l’air méphitique, furent employées utilement : il fut reconnu que l’air du cimetiere des Innocens étoit le plus insalubre de Paris. Les caves adjacentes étoient méphitisées au point qu’il fallut en murer les portes : le danger étoit pressant, le cimetiere fut fermé le 1er décembre 1780.

Rendons graces au zele du magistrat qui a poursuivi cette bonne œuvre avec une chaleur vraiment patriotique : il a peut-être arrêté dans son origine une maladie contagieuse.

C’est à la police à interroger souvent la chymie, afin de connoître les moyens que l’art emploie pour détruire ces foyers pestilentiels qui tuent la santé. Une inspection active & surveillante corrigeroit le défaut qui résulte d’une vaste population.

De même le Quai de Gêvre est porté sous une voussure qui joint le Pont-Notre-Dame au Pont-au-Change. Cette voussure formoit un cloaque affreux, où quatre égouts versoient la fange, où aboutissoit le sang des tueries, où toutes les latrines répandoient leurs immondices. La riviere, pendant huit mois de l’année, n’arrosoit point les arches fétides de ce pont qui borde la riviere ; l’air hépatique qui s’exhaloit de ces foyers de corruption, corrompoit la viande, attaquoit les matieres d’or & d’argent. Une odeur insupportable se répandoit sur les quais Pelletier & de la Mégisserie, & l’on ne pouvoit y résister. Nous nous en sommes plaints dans l’An 2440. Enfin le mal étant poussé au comble, & les chaleurs de la saison derniere ayant ajoûté à l’infection, l’administration de la ville a bien voulu s’occuper des travaux qui intéressent la salubrité de l’air & la santé des habitans.

Nous serons délivrés de ces exhalaisons perfides, & voilà deux fléaux de moins après plusieurs réclamations : il est donc bon de peser sur les abus, de les offrir sous leur véritable trait ; car à force de clameurs on se fait entendre des hommes en place, qui ont toujours l’oreille un peu dure, ou qui sont distraits.

Il en reste bien d’autres à détruire, c’est l’ouvrage du tems & de l’éloquence patriotique ; mais pourquoi les abus les plus intolérables subsistent-ils malgré les livres & les lumieres, malgré les réclamations universelles des bons citoyens ? C’est qu’il n’y a pas un seul abus dont nombre de personnes ne tirent de grands avantages ; c’est que certains hommes ne lisent pas, n’ont pas le tems de lire, & qu’ils ne font servir leur autorité incertaine & passagere qu’aux vues d’une ambition petite & concentrée.

C’est à un certain éloignement, c’est chez l’étranger, que les abus d’un peuple ou d’une ville frappent plus directement l’observateur.

Approchez du point de confusion ; mille raisonnemens insidieux vous déguiseront la vérité. L’abolition des corvées a fait pousser des cris horribles. En vain la justice & la saine politique s’unissoient-elles contre ce régime dangereux ; la voix reconnoissante d’un royaume tout-à-coup soulagé, n’a pu prédominer quelques clameurs partielles & intéressées.

Ne vous étonnez donc pas que le bien se fasse si lentement.

Fin du Tome II.