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Tableau de Paris/222

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CHAPITRE CCXXII.

Calambours.


La langue merveilleuse des calambours tire à sa fin. Quelques adeptes la cultivoient, & elle leur tenoit lieu d’esprit & de talens. Que vont-ils devenir ? Comment une si brillante renommée s’évapore-t-elle si promptement ? Quelle ingratitude après tant de cris d’admirations ! Oh, que le peuple de Paris est léger dans l’encens qu’il prodigue !

On citoit, on classoit à part ceux que l’inspiration ou le hasard avoient favorisés ; & de fort honnêtes gens qui n’auroient jamais pu se faire imprimer qu’incognito, étoient parvenus, à l’aide de ce nouvel idiome, à composer une petite brochure qui les plaçoit subitement au rang distingué des heureux plaisans de ce monde.

Le peuple ne les a pas trop goûtés ; il a mieux aimé le langage de Vadé qui peignoit une nature basse, mais du moins existante. Il pouvoit juger de la ressemblance ; mais lorsqu’on voulut lui expliquer toute la finesse d’un calambour, il dit dans son style naïf : quand Jean Bête est mort, il a laissé bien des héritiers.

Toutes ces mauvaises plaisanteries tendoient à dénaturer la langue, à proscrire le peu de mots nobles & harmonieux qui nous restent, à gêner perpétuellement l’écrivain, obligé d’aller au-devant de l’équivoque folle ou licencieuse. Les freres calambourdiers se sont donc rendu coupables du crime de lese-majesté françoise, quant à la langue ; nombre d’expressions sont devenues impropres dans le style & dans la conversation, parce qu’ils les avoient profanées. On revient de ce ridicule qui ne pouvoit être durable & qui a trop duré ; mais c’est aux écrivains sensés qu’il appartient de se roidir dans tous les tems contre les exclusions bizarres de mots & de braver les mauvais plaisans & les sots rieurs qui abondent.