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Tableau de Paris/244

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CHAPITRE CCXLIV.

Les petits Chiens.


La folie des femmes est poussée au dernier période sur cet article. Elles sont devenues gouvernantes de roquets, & ont pour eux des soins inconcevables. Marchez sur la patte d’un petit chien, vous êtes perdu dans l’esprit d’une femme ; elle pourra dissimuler, mais elle ne vous le pardonnera jamais : vous avez blessé son manitou.

Les mets les plus exquis leur sont prodigués : on les régale de poulets gras, & l’on ne donne pas un bouillon au malade qui gît dans le grenier.

Mais ce qu’on ne voit qu’à Paris, ce sont de grands imbécilles qui, pour faire leur cour à des femmes, portent leur chien publiquement sous le bras dans les promenades & dans les rues ; ce qui leur donne un air si niais & si bête, qu’on est tenté de leur rire au nez, pour leur apprendre à être hommes.

Quand je vois une belle profaner sa bouche en couvrant de baisers un chien qui souvent est laid & hideux, & qui, fût-il beau, ne mérite pas des affections si vives, je trouve ses yeux moins beaux ; ses bras, en recevant cet animal, paroissent avoir moins de graces. J’attache moins de prix à ses caresses ; elle perd à mes yeux une grande partie de sa beauté & de ses agrémens. Quand la mort de son épagneul la met au désespoir, qu’il faut le partager, pleurer avec elle & attendre en silence que le tems amene l’oubli d’un si grand désastre, cette extravagance anéantit ce qui lui reste de charmes.

Jamais une femme ne sera Cartésienne : jamais elle ne consentira à croire que son petit chien n’est ni sensible ni raisonnable quand il la caresse. Elle dévisageroit Descartes en personne, s’il osoit lui tenir un pareil langage ; la seule fidélité de son chien vaut mieux, selon elle, que la raison de tous les hommes ensemble.

J’ai vu une jolie femme se fâcher sérieusement & fermer sa porte à un homme qui avoit adopté cette ridicule & impertinente opinion. Comment a-t-on pu refuser la sensibilité aux animaux ? Croyons-les très-sensibles ; & loin de justifier la barbarie des hommes à leur égard, ne leur faisons que le moindre mal possible : mais, en nous nourrissant de la chair des bœufs, des moutons & des dindons, n’accablons pas de folles caresses un petit chien que nous ne mangeons pas.

La femme d’un médecin avoit son petit chien malade : son mari avoit promis de le guérir ; il n’en faisoit rien, ou n’en étoit pas venu à bout : impatientée, elle fit venir Lyonnois[1], qui réussit parfaitement. Combien vous faut-il, dit le grave docteur de la faculté au conservateur de l’espece canine ? Oh, monsieur, entre confreres, reprit Lyonnois, il ne faut rien.

  1. Fameux médecin de chiens.