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Tableau de Paris/249

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CHAPITRE CCXLIX.

Des Femmes.


La remarque de Jean-Jacques Rousseau n’est que trop vraie, que les femmes à Paris, accoutumées à se répandre dans tous les lieux publics, à se mêler avec les hommes, ont leur fierté, leur audace, leur regard & presque leur démarche.

Ajoutons que les femmes, depuis quelques années, jouent publiquement le rôle d’entremetteuses d’affaires. Elles écrivent vingt lettres par jour, renouvellent les sollicitations, assiegent les ministres, fatiguent les commis. Elles ont leurs bureaux, leurs registres ; & à force d’agiter la roue de fortune, elles y placent leurs amans, leurs favoris., leurs maris, & enfin ceux qui les paient.

On voit beaucoup de femmes qui disent d’après Ninon, je me suis faite homme. Aissi une insultante galanterie ne rend plus aux belles qu’un culte ironique & offensant.

Jamais autrefois, en parlant du sexe, on ne disoit les femmes ; on auroit proféré une expression grossiere.

Jean-Jacques Rousseau a dit des choses si dures aux femmes de Paris, que je n’ose même le combattre. Il avoue que l’on peut & que l’on doit y chercher une amie. Je pense en effet qu’il s’y trouve beaucoup de femmes sensées, véritablement sensibles aux nobles procédés, & capables de la plus grande confiance en amitié. Mais en amour… Oh ! je n’ai pas le droit, comme Jean-Jacques, de leur dire de terribles vérités. Lui seul a su leur plaire en ne les flattant pas.

Milord Chesterfield, après avoir encensé de son mieux notre nation, a fini par dire à l’oreille de son fils, que les femmes parmi nous sont de grands enfans qu’il faut amuser avec deux hochets, la vanité & la galanterie.

Nous avons des mines charmantes, des yeux vifs & malins, des physionomies gracieuses & fines, des têtes spirituelles ; mais on compte les belles têtes, & elles sont excessivement rares.

Pourquoi les femmes aiment-elles la capitale ? Parce qu’elles y sont environnées d’un plus grand nombre d’adorateurs. Parlez-leur de la campagne ; elles ne déguisent pas l’aversion qu’elles éprouvent pour ce séjour solitaire, où elles se sentent bien moins puissantes.

Quelqu’impérieuse que puisse être une Parisienne, elle reconnoîtra toujours l’ascendant de l’homme sur elle, si celui-ci sait être ferme & prudent. C’est le mari qui fait la femme ; mais comme les trois quarts des hommes sont sans caractere, sans force, sans dignité, il y a une foule de femmes dissipées, dépensieres, galantes, & insolemment altieres.

C’est le principal défaut de nos femmes, que l’orgueil, le rang & l’opulence ont enivrées de trop bonne heure. Rien ne choque plus que ce ton étrange ; parce que la femme, quelle qu’elle soit, ne peut jamais imprimer à son regard l’insolence ou l’injure, sans perdre de ses graces, de sa dignité & de son empire réel. La nature a voulu qu’elle ne pût jamais s’élever au-dessus d’un homme par son geste ou par son accent, sous peine à l’instant même de paroître odieuse & ridicule. Rien ne la dispense de cette subordination éternelle, fût-elle sur le trône du monde. Elle peut commander, faire agir toutes les passions despotiques, & même orgueilleuses : mais il ne lui est pas permis d’être insolente envers un homme, c’est-à-dire, d’oser mépriser son maître.

Les femmes qui ne comprennent guere une idée politique, pour peu qu’elle soit vaste & un peu compliquée, ont des notions admirables sur l’ordre & l’économie domestique. Elles sont précieuses chez un peuple qui vient de naître, & en même tems chez celui qui est tout-à-fait corrompu. Elles réparent à Paris, dans l’intérieur des maisons, le mal que la législation fait au-dehors.

Chez les républicains, les femmes ne sont que des ménageres ; mais les femmes sont pleines de lumieres, de sens & d’expérience. Lorsque la nation n’existe point encore, ou bien lorsqu’elle n’existe plus, c’est alors qu’il faut les consulter ; car, étrangeres aux liens du patriotisme, elles tiennent merveilleusement aux doux liens de la sociabilité.

Voilà leur véritable empire à Paris. Elles sont riantes, douces & aimables, tant qu’elles représentent. Dans l’intérieur domestique, elles font payer à ce qui les environne, la contrainte qu’elles s’imposent dans le monde.

Elles ont affaire aux maris les plus débonnaires de ce globe : elles se piquent de perfectionner leurs vertus patientes, & de les subjuguer de toute maniere.

Il est néanmoins une classe de femmes très-respectables ; c’est celle du second ordre de la bourgeoise. Attachées à leurs maris & à leurs enfans, soigneuses, économes, attentives à leurs maisons, elles offrent le modele de la sagesse & du travail. Mais ces femmes n’ont point de fortune, cherchent à en amasser, sont peu brillantes, encore moins instruites. On ne les apperçoit pas, & cependant elles sont à Paris l’honneur de leur sexe.

La coutume de Paris a trop accordé aux femmes ; ce qui les rend impérieuses & exigeantes. Un mari est ruiné, s’il perd sa femme. Elle aura été malade pendant dix années, elle lui aura coûté infiniment : il faut qu’il restitue tout à son décès. De là la tristesse avec laquelle on serre des nœuds oui ailleurs sont si doux.

À un certain âge, la femme qui ne se fait pas bel-esprit, se constitue dévote. Elle en prend la contenance, assiste à tous les sermons, court toutes les bénédictions, visite son directeur, & s’imagine ensuite qu’il n’y a qu’elle au monde qui fasse de bonnes actions. Elle se le persuade si bien, qu’elle damne tous ceux qu’elle rencontre, & surtout ceux qui impriment.

Nos femmes ont perdu le caractere le plus touchant de leur sexe, la timidité, la simplicité, la pudeur naïve ; elles ont remplacé cette perte immense par les agrémens de l’esprit, les graces du langage & des manieres ; elles sont plus courues, moins respectées : on les aime sans croire à leur amour ; elles ont des amans plutôt que des amis. Ceux-là disparoissent, & ceux-ci ont le malheur de les ennuyer. Elles se trouvent seules sur le retour de l’âge, après avoir passé au milieu de tant d’hommes dont elles ont plutôt captivé le cœur que l’estime.

Elles ont fait trop de chemin pour pouvoir revenir à leur sexe ; il faut qu’elles se fassent hommes tout-à-fait, au risque de perdre encore davantage. Mais du moins elles ne seront plus des êtres mixtes, & notre hommage alors sera plus sérieux.