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Tableau de Paris/287

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CHAPITRE CCLXXXVII.

Orateurs sacrés.


Les prédicateurs jouissent seuls à Paris du beau droit de parler au peuple assemblé. Il seroit à désirer qu’ils en sentissent toute l’étendue. Nourris des lumieres de la philosophie, quelques-uns ont exposé des vérités fortes. Au lieu de ridiculiser bêtement un emploi aussi noble, ne vaudroit-il pas mieux consacrer ce rare privilege par les devoirs qu’on leur imposeroit ? devoirs d’hommes & de citoyens. Voici le moment pour eux de se montrer tels & de mériter la vénération générale.

Professeurs publics de morale, sous l’étendard sacré de la religion, ils pourroient réellement combattre par la parole les abus les plus dominans, &, développant les maximes de l’Évangile, étendre jusqu’à la plus grande circonférence le précepte divin de la charité, en attaquant de toutes parts les malversations les plus criantes.

Tout crime, depuis le plus grand jusqu’au moindre, dérive de l’avarice & de la dureté des cœurs. Les prédicateurs pourroient soumettre à leur tribunal tous les forfaits politiques qui causent les malheurs du peuple. Rien ne sauroit arrêter ce cri de l’ame. La vérité nue & simple a une force qui terrasse ; d’ailleurs jamais l’autorité n’a osé frapper directement la sainte vérité.

Sous ce point de vue, les prédicateurs, sans offenser le ministere, pourroient le servir. Qu’ils s’emparent des idées saines, universellement répandues. Toutes les idées utiles à l’humanité sont dans l’Évangile, qui ne recommande qu’amour & charité ; la philosophie de nos jours est une branche du christianisme. Quelques-uns, je le répete, ont déjà rempli ce généreux devoir en présence du monarque : & quelle sublime fonction, que de porter à l’oreille du prince les gémissemens qu’il ne peut entendre, & les pensées augustes qu’on voudroit interdire à la royauté !

Je chéris beaucoup l’éloquence de la chaire ; j’ambitionnerois fortement de pouvoir prendre la place de ces orateurs qui peuvent apporter des consolations aux calamités régnantes, parler au peuple d’un ton apostolique & répandre la parole divine, telle qu’elle est empreinte dans l’auguste morale du livre qui la contient. C’est en ce moment que la dignité du sacerdoce paroît dans tout son éclat. Persuader, convaincre, consoler, développer tous les trésors de la morale la plus sublime, la plus propre à donner aux hommes l’amour de la paix & de la charité, quel respectable emploi !

Quant à ces abbés beaux-esprits, qui courent des bénéfices, en faisant de belles phrases pour prêcher, s’il se peut, un avent à la cour, qui ne veulent que faire fortune, qui pillent dans le fonds d’autrui quelques lambeaux, quelques tournures oratoires, & qui ne disent rien à la foule qui souffre ; quant à ces énergumenes sous le froc, qui vomissent de plates grossiéretés contre des philosophes qu’ils ne savent ni lire, ni entendre, ni apprécier ; qui ont fait divorce avec la raison, qui transforment le talent de la chaire en celui d’inventer des imputations calomnieuses : je les plains de profaner un aussi auguste ministere, de ne pas sentir quelle est leur véritable force, & l’empire qu’ils pourroient prendre sur les esprits, s’ils s’étudioient à parler aux hommes sur leurs véritables intérêts.

On dit qu’un ex-jésuite nommé Beauregard, qui affecte la véhémence, a cru atteindre le sublime de son art, en s’écriant dans ses transports risibles & frénétiques : On nous accuse d’intolérance. Eh ! ne sait-on pas que la charité a ses fureurs, & que le zele a ses vengeances ? Une autre fois il commença ainsi un discours : Approchez, acolyte, tirez les rideaux, voilez le sanctuaire… je vais parler des philosophes… Cela est fort plaisant.

Tel autre prédicateur prêche dans un fauxbourg de Paris, ou dans un misérable village, un sermon qu’il a composé contre le luxe. Mes freres, dit-il en apostrophant un auditoire déguenillé, la sensualité de vos tables, ces mots recherchés, ces délicatesses voluptueuses qui réveillent vos sens engourdis & fatigués de plaisir… Et il débite cela à de pauvres malheureux qui ne mangent le dimanche que du pain, du lard, des choux à l’eau & au sel.

Que fait-il ? La répétition d’un discours qu’il prononcera le lendemain à Saint-Roch, dans le quartier opulent de la finance. Le peuple dort au sermon, parce qu’il est rarement adapté à son élocution & à ses connoissances. M. Oulier de Besançon dit avoir vu, en 1739, dans l’église Sainte-Claire à Stockholm, un bedeau qui portoit une longue canne & frappoit sur la tête de ceux qui dormoient pendant la prédication. Si l’on adoptoit cette fonction en France, la main du préposé ne seroit pas oisive dans nos temples, & il en faudroit plus d’un.