Aller au contenu

Tableau de Paris/297

La bibliothèque libre.

CHAPITRE CCXCVII.

Débiteurs.


Qu’il est doux, qu’il est agréable de payer ses créanciers ! a dit Littleton, auteur Anglois.

Il paroît que la satisfaction que donne le paiement de ses dettes touche moins nos jeunes seigneurs ; jamais ils ne prennent de soucis sur le chapitre de leurs obligations ; ils en font un sujet de plaisanterie ; ils disent très-sérieusement à leur homme d’affaires ces mots de la comédie : dites à mes créanciers que je m’exécute incessamment, que je me marie, & que s’ils me fâchent, je resterai garçon.

On devroit presser davantage le débiteur ; il y en auroit moins ; car ce n’est pas le véritable nécessiteux qui emprunte, c’est le prodigue, le fou, l’insensé, le libertin, le dissipateur.

Le créancier est toujours maltraité par la loi : ce qui rend hardi le fripon, & ruine l’honnête homme. Il n’y a point assez de sévérité ; on élude si facilement la prison, les loix civiles sont si lâches, qu’elles n’inspirent plus le moindre effroi : la propriété en est blessée, & le commerce gêné. On voit naître une foule d’acheteurs intrépides, qui, prévoyant la mollesse des loix, s’assurent d’avance de ce qu’elles n’ont pas su conserver aux prêteurs.

Il faudroit imprimer une sorte d’infamie à tout débiteur infidele. N’est-il pas honteux de ne pas payer son tailleur, son traiteur, son tapissier & son boucher ? On paie bien ses dettes du jeu ; pourquoi ? Parce qu’on ne seroit pas plus admis dans la société. Il seroit facile à des loix plus pressantes, plus positives, de forcer les débiteurs à l’acquittement de leurs obligations ; c’est plutôt la mauvaise volonté que l’impuissance, qui recule devant ses engagemens les plus solemnels.

Plus un débiteur est riche, moins il paie ; il défend avec une partie de son or l’autre portion de son opulence ; il enveloppe son créancier de tous les embarras de la procédure, il le jette dans les détours de la chicane ; & à force de reculer l’époque du paiement, il lasse & fatigue son adversaire, qui lui abandonne enfin la moitié ou les trois quarts de sa créance

J’ai dit, je crois, que les jeunes gens, il y a quarante ans, aimoient le fracas & le carillon, & que presque toutes les nuits ils se faisoient une gloire misérable de casser des lanternes, ou d’attaquer les soldats du guet. J’ai dit que ces abus avoient été sévérement réprimés comme ils devoient l’être. Aujourd’hui nos élégans, moins bruyans & plus perfides se vantent d’avoir des dettes, parlent du bijoutier, du marchand de chevaux, du carrossier, du marchand de soie, qui les poursuivent à toute outrance, les appellent des impertinens, & des drôles ; ils plaisantent enfin sur la visite des huissiers ; & tirant de leur poche un amas d’exploits, ils les brûlent lentement à la cheminée tout en se contemplant au miroir.

Et que dirions-nous, si nous le voulions, du débiteur simulé qui fait banqueroute pour un grand seigneur à la face du public ? Mais nous sommes-nous engagés à tout dire ? non.