Tableau de Paris/379

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CHAPITRE CCCLXXIX.

Cris de Paris.


Non, il n’y a point de ville au monde où les crieurs & les crieuses des rues aient une voix plus aigre & plus perçante. Il faut les entendre élancer leur voix pardessus les toits ; leur gosier surmonte le bruit & le tapage des carrefours. Il est impossible à l’étranger de pouvoir comprendre la chose ; le Parisien lui-même ne la distingue jamais que par routine. Le porteur-d’eau, la crieuse de vieux chapeaux, le marchand de ferraille, de peaux de lapin, la vendeuse de marée, c’est à qui chantera sa marchandise sur un mode haut & déchirant. Tous ces cris discordans forment un ensemble, dont on n’a point d’idée lorsqu’on ne l’a point entendu. L’idiôme de ces crieurs ambulans est tel, qu’il faut en faire une étude pour bien distinguer ce qu’il signifie. Les servantes ont l’oreille beaucoup plus exercée que l’académicien ; elles descendent l’escalier pour le dîner de l’académicien, parce qu’elles savent distinguer du quatrieme étage, & d’un bout de la rue à l’autre, si l’on crie des maquereaux ou des harrengs frais, des laitues ou des betteraves. Comme les finales sont à peu près du même ton, il n’y a que l’usage qui enseigne aux doctes servantes à ne point se tromper, & c’est une inexplicable cacophonie pour tout autre.