Tableau de Paris/380

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CHAPITRE CCCLXXX.

Musique ambulante.


Mais voici un dédommagement. Qui n’a pas senti un vif plaisir en entendant le soir du fond de son lit le son mélodieux de ces orgues nocturnes, qui égaient les ténebres & abregent les longues heures de l’hiver. C’est une vraie jouissance pour l’étranger. Émerveillé, bien clos & bien couvert, il entend les plus jolis morceaux de musique, exécutés sous ses fenêtres, comme pour le disposer doucement au sommeil ; il prête l’oreille à ces sons qui s’éloignent, & qui dans le lointain ont encore plus de charmes. Il s’endort voluptueusement, en répétant l’air chéri qui a parlé à son ame.

Je pense que rien ne seroit plus propre à entretenir la bonne humeur parmi le peuple, que d’étendre & de perfectionner cette récréation innocente & publique, cette douce Euphonie.

Quel agrément, si chaque soirée, si après le soupé chaque rue avoit sa musique particuliere ! L’humeur & la fatigue de la journée disparoîtroient soudain, & l’homme de peine en se couchant craindroit moins le jour suivant embelli à son déclin.

Qui a entendu le jeu de ces orgues, & qui a pu refuser sa piece de deux sols à l’orphée qui porte sur son dos cette machine harmonieuse ? Certes il doit être regardé comme un homme ingrat. Il me semble, si j’étois en place, que j’emploierois cette musique ambulante & délicieuse, prolongée & diversifiée, comme un moyen pour changer en grande partie les mœurs du peuple & l’attacher encore plus à son gouvernement ; mais on m’appelleroit le rêveur, & cela m’avertit de clore le chapitre.