Tableau de Paris/386

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CHAPITRE CCCLXXXVI.

Quinzaine de Pâques.


Cest dans la petite bourgeoisie un tracas extraordinaire ; cette époque est toujours embarrassante pour les boutiquiers. Il s’agit d’aller à confesse & de faire ses pâques. Remontrances du pere aux enfans, au garçon de boutique, à la servante. Comme une confession pese aux incrédules en herbe ! Comme ils se sentent gênés, ne sachant quel parti prendre !

Entrez dans les églises & dans les couvens ; quelle besogne ! Les prêtres & les moines sont tous en l’air. Prédications, exhortations, retraites, conférences. Au logis on fait apprendre par cœur aux pauvres enfans la passion du Sauveur ; elle est bien longue ; ils pleurent ; on les met en pénitence ; ils pleurent plus fort, ils jeûnent au pain & à l’eau. Les spectacles sont fermés, les mauvais lieux ne le sont pas ; la police a plus à faire que jamais. Les concerts qui remplacent la comédie, les assemblées de charité, l’office des ténebres qu’on égaie par de la musique, les belles voix que l’on affiche, les promenades de Longchamp, le départ des gens comme il faut pour la campagne, tout rend cette semaine excessivement bruyante. Les valets & les servantes interrompent leur service, assiégent les confessionnaux. On court entendre le matin & le soir la passion ; les temples ne sont plus assez vastes ; la nappe des communians borde le balustre des autels ; le ciboire se promene toute la matinée ; il faut que le vendeur d’hosties en jette dans le moule une plus grande quantité ; les confiteor frappent incessamment à la porte du tabernacle.

Après une apparence d’amendement, la quinzaine finie, les églises redeviennent désertes ; le peuple reprend son train accoutumé ; il ne songera à la confession que l’année suivante. Aux plats de légumes, déjà la viande a succédé ; quand le plat de légumes reparoîtra sur la table, les devoirs de sa religion lui reviendront en mémoire.

Le petit peuple dit toujours qu’il va voir son homme à deux chemises ; & ce pour dire son confesseur.