Tableau de Paris/390

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CHAPITRE CCCXC.

La rue du Pied-de-Bœuf.


Aux belles rues Saint-Honoré, Saint-Antoine, Saint-Louis-au-Marais, opposez la rue du Pied-de-Bœuf, située tout au cœur de la ville ; c’est bien l’endroit le plus puant qui existe dans le monde entier. Là est une jurisdiction qu’on nomme le Grand-Châtelet ; puis des voûtes sombres & l’embarras d’un sale marché ; ensuite un lieu où l’on dépose tous les cadavres pourris, trouvés dans la riviere, ou assassinés aux environs de la ville. Joignez-y une prison, une boucherie, une tuerie ; tout cela ne compose qu’un même bloc empesté, emboué & placé à la descente du Pont-au-Change. De ce pont si surchargé de vilaines maisons, voulez-vous aller à la rue Saint-Denis ? Les voitures sont obligées de faire un détour par une rue étroite, où se trouve un égout puant, & presque vis-à-vis de cet égout est la rue Pied-de-Bœuf, qui aboutit à des ruelles étroites, fétides, baignées de sang de bestiaux, moitié corrompu, moitié coulant dans la riviere. Une exhalaison pestilentielle n’abandonne jamais cet endroit, & dans le débouché qui donne près la chûte du Pont-Notre-Dame, dans la rue de Planche-Mibray, on est obligé de retenir sa respiration & de passer vite, tant l’odeur de ces ruelles vous suffoque en passant.

Qui croiroit que les victimes de la volupté grossiere vont se loger là, au-dessus des victimes qu’on égorge ; & que dans un lieu si puant, si abominable, elles se prostituent au bruit des hurlemens, des bêlemens lamentables des troupeaux égorgés, des coups d’assommoirs & à la fumée de leur sang ! Ces créatures sont à la fenêtre tout le jour : le jaune de leur figure est couvert par un placard énorme de rouge. Et qui va trouver ces monstres femelles ? Les garçons bouchers.