Tableau de Paris/442

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CHAPITRE CCCCXLII.

Saccoches.


Longs sacs de toile forte propres à loger les membres épars de Seigneur-million[1], & dont se servent les porteurs d’argent, qui, hélas ! n’en sont pas plus riches.

On les rencontroit tous chargés & suant à grosses gouttes sous le fardeau précieux. Les billets de la caisse d’escompte ont diminué tout ce déménagement & remuement perpétuel de sacs pesans & matériels qui alloient de coffre en coffre. À cette marque lourde de la richesse, on a substitué le porte-feuille.

Cette caisse d’escompte est toujours comme une pierre d’attente sur laquelle on examine si le public voudra bâtir de lui-même un édifice de confiance. Il faut en effet que cet édifice devienne l’ouvrage de la nation ; elle a beaucoup de peine à recevoir des idées de banque ; elle n’attache aucun sens aux mots crédit, circulation ; elle craint toujours qu’un second Terrai ne vienne avec sa main de fer tout briser, tout prendre. La défiance presqu’universelle empêche qu’un établissement utile ne reçoive les dimensions qui le rendroient favorable dans un tems sur-tout où la disette d’especes monnoyées se fait sentir, & où les capitalistes paroissent vouloir thésauriser, pour voir, ainsi qu’ils le disent, ce que tout cela deviendra.

Le peuple de Paris ne comprendra jamais ce qu’on appelle banque, qu’on ne lui en montre le jeu, non en théorie, mais en pratique. Paie-t-on à l’hôtel-de-ville ? Oui, quoique un peu lentement. — Eh bien, nous reporterons notre argent au trésor royal. Voilà les deux extrémités du coup-d’œil dont il embrasse la circulation & le crédit.

Dites à ce peuple que la richesse doit résider plutôt dans la tête des citoyens que dans leurs coffres, ainsi que le pouvoir n’agit que parce que chaque tête en son particulier le croit réel, il ne pourra vous entendre ; il donnera tout son argent pour des parchemins-contrats, mais il n’échangera point une obole contre un papier fin, un papier-monnoie qu’on roule, & qui s’appellera billet de banque. Il faudra donc changer les noms si l’on veut lui être utile malgré son aveugle opposition.

  1. Quand un million repose majestueusement étendu sur le carreau de la ferme, dans plusieurs sacs & saccoches de différentes grosseurs, l’avare croit lui voir des bras, des jambes, des cuisses, des doigts ; & pénétré de respect & d’amour, peu s’en faut qu’il ne personnifie son idole.