Tableau de Paris/444

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CHAPITRE CCCCXLIV.

L’air de Cour.


La cour est le centre de la politesse, parce qu’elle y donne le ton des usages & des manieres. L’air de cour s’imprime dans un garçon de la chambre, dans un petit contrôleur ; & à l’instar des grands seigneurs, ils affectent une contenance modeste, puis reparoissent fiers & superbes. Les valets prennent un ton qui par-tout ailleurs seroit l’excès du ridicule.

On marche des épaules à la cour. Le courtisan salue légérement, interroge sans regarder, glisse sur le parquet avec une légéreté incomparable, parle d’un ton élevé, préside aux cercles jusqu’à ce qu’il paroisse un nom qui le réduise au ton général.

La politesse de la cour est-elle si renommée, parce qu’elle vient du centre de la puissance, ou parce qu’elle provient d’un goût réellement plus raffiné ?

Le langage y est plus élégant, le maintien plus noble & plus simple, les maximes plus aisées, le ton & la plaisanterie y ont quelque chose de plus fin ; mais le jugement y a peu de justesse, les sentimens du cœur y sont nuls ; c’est une ambition oisive, un orgueil prêt à faire des bassesses, un desir immodéré de la fortune sans travail, une crainte servile de la vérité.

Là on redoute la vertu du prince ; on lui souhaiteroit des vices, on n’espere qu’en ses foiblesses ; & ce vernis séduisant qui masque l’attitude & orne la parole, cache la flatterie & l’effronterie d’un cœur corrompu.

Parmi le nombre des courtisans se mêlent des aventuriers qui se lancent dans la foule, sont par-tout, publient les nouvelles indifférentes. Voyez leurs courses précipitées ; ils vont, viennent ; que veulent-ils ? que demandent-ils ? On n’en sait rien ; ils mourront sans rien obtenir.

Le courtisan qui vous a salué dans la rue, ne vous reconnoît plus au lever ou à la messe.

Que de gens ont broyé inutilement le pavé de la route de Versailles ! Plus d’un courtisan meurt étique devant l’objet qu’il poursuit & qu’il adore.

Ces courtisans oisifs que l’intérêt dévore,
Vont en poste à Versaille essuyer des mépris,
Qu’ils reviennent soudain rendre en poste à Paris.

Volt.

Le jour que l’on nomme un ministre : c’est le plus grand génie qui ait jamais existé ; rien n’égale sa pénétration, son désintéressement ; l’éloge est outré ; il ne peut l’entendre sans rougir, tout retentit de ses louanges. À quelque tems de là il chancelle ; le dédain, le blâme, l’aigreur attaquent sa personne & ses opérations. On n’a plus rien à attendre de lui, on le déchire avec fureur.

Le ministre le lendemain de sa nomination se trouve, des parens qu’il n’a jamais vus, & des amis qu’il ne connoît pas.

On démêle sur toutes ces physionomies de cour, l’inquiétude que tout l’apprêt du visage ne déguise pas parfaitement ; le ris n’est pas vrai & les caresses sont contrefaites. Le courtisan s’exerce en tout tems à nuire à la réputation de ceux qu’il ne connoît pas, pour savoir mieux nuire à la fortune de ceux qu’il connoît. Cela s’appelle pelotter en attendant partie.