Tableau de Paris/467

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CHAPITRE CCCCLXVII.

Bacchantes.


On nomme ainsi les femmes qui tout récemment ont affecté du désordre dans leur coëffure & dans leur habillement ; il passe dans leur maintien & dans leurs discours. On se coëffe ainsi pour les tables de jeu, où les passions sont en mouvement ; & alors il est permis de lever vers le ciel de beaux yeux courroucés. On sort avec fureur de la salle ; & si l’on se permet quelques horribles serment, ils ne sont qu’analogues au ton & à l’habit. Les hommes au jeu se piquent de stoïcisme ; froids & immobiles, ils reçoivent la réputation de beaux joueurs. Les femmes défigurent leur charmant visage tant qu’elles veulent, sans rien perdre de leur renommée.

Une bacchante marche comme un dragon, en a le geste & le regard, fait assaut de paroles avec tout ce qui se rencontre, commande aux hommes, mange à table avec une voracité feinte, boit du vin. Enfin un homme qui, après avoir passé vingt ans dans son château, reviendroit à Paris, demanderoit à l’oreille de son voisin : dans quelle piece est le rôle que joue madame ? voilà une singuliere folie qui l’agite !

Elle est réjouissante ; mais elle n’a pas pris universellement ; c’est bien dommage. Les hommes ne buvant plus que de l’eau, affectant la plus grande modération dans leur maintien & dans leurs discours, le tour étoit venu aux femmes de figurer le sexe hardi & fier ; elles avoient des dispositions admirables, & n’auroient pas mieux réussi, quand c’eût été pour célébrer l’abolition de la vieille loi Salique.