Tableau de Paris/468

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CHAPITRE CCCCLXVIII.

Cachets.


Se donne qui veut des armoiries sur le quai de l’Horloge ; s’empare qui veut des armes des plus illustres maisons. On demande à un graveur de déployer toutes les richesses du blason, & il va en gratifier les armes particulieres que vous inventerez à loisir avec lui. Le graveur payé imprime sur votre cachet le champ, les pieces honorables, les figures, &c. Personne ne vous dit mot, eussiez-vous épuisé tout l’art héraldique pour mentir journellement avec l’empreinte fugitive de la cire.

Ainsi firent, après la guerre des croisades, les écuyers, les pages des chefs de plusieurs maisons anciennes ; ils hériterent des écussons de ceux qui, après avoir vendu leurs terres, alloient se faire tuer par les Sarrasins. Ils apporterent triomphalement les étendards du mort, se les approprierent & les transmirent à leurs descendans qui, quoique fils de ces varlets usurpateurs, ont fait remonter leur origine à une souche antique. Ces honneurs volés lors des fameux voyages d’outre-mer, n’étant point contestés, ont paru légitimes à l’aide du tems.

Notre vanité est bien risible ; mais elle ne l’est jamais tant, que lorsqu’on cherche à se créer des aïeux imaginaires, & qu’après s’être nourri de pareilles billevesées, on vient à s’enfler d’un orgueil égal à sa crédulité. De toutes les petitesses dont l’esprit humain est capable, celle-ci me paroît la plus misérable & la plus ridicule.

Sur cent lettres, dont le cachet est gravé en armoiries, quatre-vingt-dix-neuf portent un cachet imposteur. Il y a des hommes assez ridiculement vains, pour vous faire admirer leurs cachets armoriés, tandis que vous avez connu leur pere, horloger, maçon, ou chapelier : mais ils se flattent qu’il en sera un jour comme du tems des croisades, que la possession avec le tems deviendra un titre incontestable. Tel barbier entretient son fils dans cette superbe espérance, & lui recommande de bien payer les graveurs du quai de l’Horloge.

Ils sont là tout prêts à graver le mensonge sur tous métaux. Il n’en coûte pas plus pour un trophée héroïque, que pour un trophée d’amour ; les casques & les lances, ou les fleches & le flambeau de Cupidon, sont au choix de l’amateur. Le burin tranchant est tout taillé pour donner les armes de tous les nobles de l’Europe aux premiers faquins qui voudront les pendre aux cordons de leurs montres.

Il n’y a que Paris pour receler cette foule de beaux petits messieurs qui, le plumet sous le bras, le diamant au col, le cachet à la montre, jouent le rôle de gentilshommes, tandis que leur mere ou leur oncle est dans un coin, à solliciter le paiement d’une pension accordée à des services que rejette & que dédaigne le second ordre de la noblesse.