Tableau de Paris/494

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CHAPITRE CCCCXCIV.

La fête des Rois.


La fête des rois & le tirage du gâteau subsistent toujours. Cette très-ancienne coutume se transmet de pere en fils. Les incrédules & les impies, qui se moquent de l’étoile des trois mages, célebrent néanmoins cette fête comme les autres. Les festins ne rencontrent point de négatifs. C’est une branche de commerce pour la pâtisserie, dont la vente est considérable ce jour-là.

On est curieux du sort : on joue avec l’enfant qui tire le gâteau ; on veut être roi. Cependant ici le roi paie sa royauté, & ne leve aucun tribut sur son peuple.

Le savetier en famille est toujours roi ; car il est plus obéi dans sa maison, que le président ne l’est dans la sienne. Mais ce jour-là il parodie la majesté : il croit fermement, ainsi que tous ses confreres, que les souverains & les princes ne s’occupent dans leurs palais qu’à boire, manger & se réjouir. Il ne leur attribue aucune peine, aucun souci, aucun travail, parce que leur table est toujours bien servie.

C’est aussi le jour où, dans tout Paris, le peuple fait les réflexions les plus bizarres sur la royauté. On voit qu’il ne la considere que sous les plus faux rapports, & que toutes ses idées rétrécies sont, pour ainsi dire, des idées asiatiques. Oh, qu’il est loin de concevoir ce qu’il devroit entendre !

Fontenelle, tout philosophe qu’il étoit, tira un jour le gâteau des rois. La feve lui échut. Vous êtes roi, lui dit son voisin ; serez-vous despotique ? — Belle demande, reprit-il.

Diderot a fait une piece de vers sur cette royauté de table, laquelle ne ressemble point aux vers niais que tant de sots monarques de la feve ont publiés dans plusieurs recueils fastidieux.

Tous les gens de bouche sont fort occupés pendant cette huitaine ; & l’on voit que toute fête fondée sur la bâfre, sera & doit être immortelle.

Les protestans, hors de la France, ont poussé la réformation jusqu’à bannir toutes les fêtes, même celles qui donnent lieu aux festins. En arrachant le galon de l’habit, ils ont, comme dit le docteur Swift, déchiré l’étoffe.