Tableau de Paris/493

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CHAPITRE CCCCXCIII.

Comédie clandestine.


Je ne parlerai pas ici de ces farces irreligieuses où une jeunesse indévote se permet des gaietés très-indiscretes ; où l’on voit le prêtre disant la messe, qui va cherchant l’hostie que la souris a emportée pendant le Dominus vobiscum, & déjà à demi croquée. Je ne répéterai point le dialogue de l’abbesse se confessant au cordelier ; il faut laisser ces bouffonneries sous le voile qui les couvre.

Je dois parler de certaines petites pieces libres & voluptueuses qu’on vient d’accueillir en secret, comme infiniment propres à débarrasser les femmes de ce reste de pudeur qui les fatigue.

Là, Thalie, comme on l’a tant de fois reproché aux dramatistes, n’est plus une régente, le théatre n’est plus une école : on en a chassé toute morale ; ce n’est point l’esprit assommant de Dorat ; ce n’est point le jargon quintessencié de la comédie moderne, c’est la peinture aisée d’un riant & facile libertinage ; ce sont les caracteres à la mode, le goût du jour, le ton nouveau d’une débauche raisonnée, & qu’on appelle décente.

Un abbé se plaint de la facilité d’avoir des femmes, & de la difficulté d’avoir des abbayes. Les soubrettes chantent des couplets qui font hausser l’éventail, mais pleins de vérités. Des équivoques, des plaisanteries, une corruption bien profonde, le vice orné de toute la gaieté possible, voilà ce qui distingue ces mono-drames qui attestent notre esprit, & la singuliere licence de nos mœurs.

Les romans de Crébillon fils sont chastes, en comparaison de ces petites pieces, ou la dérision de la vertu & l’oubli des principes sont affichés au point que l’auteur, quoi qu’il imagine, ne scandalise jamais l’auditoire. Il est toujours plus dépravé que le poëte.

Ces mono-drames font sortir le talent pittoresque de nos bouffons. Ainsi tous les moyens de l’ancienne comédie sont tombés ; elle n’est plus que décrépite & froide, auprès de cette muse moderne à l’œil vif & hardi, au ton décidé, au geste libertin, qui a réponse à tout, qui voit tout avec le sourire dominant d’une malice spirituelle.

Notez que toutes ces femmes dont on peint l’esprit & la dépravation, sont toutes ou comtesses, ou marquises, ou présidentes, ou duchesses ; & les hommes à l’avenant. Il n’y a pas une seule bourgeoise personnifiée dans ces pieces. Il n’appartient pas à la bourgeoisie d’avoir ces vices distingués ; le libertinage roturier est loin d’un idiôme aussi fin, aussi délicat ; il n’est pas digne des pinceaux qui célebrent les mœurs ingénieuses des femmes de qualité.

On joue aussi dans des sallons privilégiés, des proverbes qui tiennent à des aventures récentes & connues. On a besoin de la causticité pour sortir de l’atonie. La simple médisance ne frapperoit pas assez profondément la victime ; il faut qu’elle expire sous les pointes les plus acérées, & le tout par amusement.

Voilà donc les atellanes naturalisées parmi nous ; elles ne se présentent point sur les théatres publics. Tout-à-la-fois licencieuses & impudentes, elles ne sont dans l’ombre que pour exciter plus vivement la curiosité. Les loix ne peuvent les interdire ; c’est une jouissance pour ces êtres blasés, qui croient aviver ainsi leur ame abâtardie. Mais, malgré tant d’efforts, le rire du libertinage, ou celui de la méchanceté, ne sera jamais le bon rire. J’en préviens les auteurs & les auditeurs.