Tableau de Paris/498

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CHAPITRE CCCCXCVIII.

Toilette.


Une jolie femme fait réguliérement chaque matin deux toilettes. La premiere est fort secrete, & jamais les amans n’y sont admis ; ils n’entrent qu’à l’heure indiquée. On peut tromper les femmes ; mais on ne doit jamais les surprendre : voilà la regle. L’amant le plus favorisé, le plus libéral même, n’ose l’enfreindre.

C’est là que le mystere met en usage tous les cosmétiques qui embellissent la peau, ainsi que les autres préparations qui chez les femmes forment une science à part, oserai-je dire ? une encyclopédie.

La seconde toilette n’est qu’un jeu inventé par la coquetterie. Alors, si l’on grimace devant un miroir, c’est avec une grace étudiée. On ne se contemple plus, on s’admire. Si l’on tresse de longs cheveux flottans, ils ont déjà leur pli & reçu leurs parfums. Les boucles sont bientôt formées ; elles naissent sous une main légere, qui semble à peine y toucher. Si l’on plonge un bras d’albâtre dans une eau odoriférante, on ne peut rien ajouter à son poli comme à sa blancheur.

Cette toilette n’est qu’un rôle qui favorise le développement de mille attraits cachés ou non encore apperçus. Un peignoir qui se dérange, une jambe demi-nue qu’on laisse entrevoir, une mule légere qui échappe du pied mignon qu’elle renferme à peine, un déshabillé voluptueux où la taille paroît plus riche & plus élégante, donnent mille instans flatteurs à la vanité des femmes. Tout, jusqu’au babil interrompu & coupé qui imite le désordre & le négligé du moment, prête un jour aux saillies vagabondes de l’imagination.

Les femmes à Paris ont l’imagination plus souple & plus vive que les hommes. Elles ont le talent de narrer mieux qu’eux. Les liaisons dans leurs discours sont imperceptibles. Leurs transitions délicates, sont toutes liées par le sentiment. On peut dire qu’elles écrivent leurs lettres par instinct ; & j’ai toujours admiré le tour heureux de leur élocution, sans pouvoir comprendre ni saisir leur secret. Les billets du matin s’écrivent à la toilette : ils ont une expression locale ; ils sont plus aisés que ceux du soir.

C’est là que l’on voit sur-tout que les femmes ont l’art de réparer une imperfection par une grace, & que chaque agrément qu’elles se font cache un petit défaut.

Pope a très-bien peint une toilette. Je le traduis, ne pouvant mieux faire. Elle approche, dans un vêtement blanc, d’un autel où plusieurs vases d’or & de crystal sont mystérieusement rangés. La tête nue, elle adresse ses vœux aux dieux brillans de la parure, à ces rois immortels du monde. Voilà qu’une image ravissante respire au fond d’un miroir. Ses yeux s’attachent sur les siens & y demeurent fixés. Elle sourit amoureusement à l’adorable déesse, unique objet de son admiration, de ses soins, de son respect. À côté de cet autel, où regne le silence attentif, une humble prêtresse, les yeux baissés, prépare les pures essences qui doivent embaumer sa flottante chevelure.

Les cérémonies commencent. On ouvre le dépôt des trésors cachés, où la beauté puise encore des attraits nouveaux. Du fond de mille petits coffres élégans, sortent mille graces particulieres. Les perles, les diamans, enfans du soleil, prêtent leur vif ornement. Le doux esprit des fleurs s’échappe des flacons d’or ; l’air est embaumé des parfums de l’Arabie. L’écaille de la tortue rampante, l’ivoire des dents de l’éléphant se trouvent unis & métamorphosés pour le même usage. Plus loin sont confondus la poudre, les brochures, les rubans nuancés de mille couleurs, le rouge, les billets doux, les épigrammes du jour, & une armée d’épingles.

La beauté devient plus belle ; son front reçoit une nuance plus vive & plus touchante ; ses yeux brillent d’un rayon plus animé ; son sourire enfin est plus doux. Je ne sais quelle grace accomplie se répand insensiblement sur toute sa personne. Quel éclat ! quelle fraîcheur !

Eh ! que n’eût point dit Pope, s’il eût vu cette toilette d’or, qui n’étoit cependant pas destinée à une reine ; ce miroir célebre, surmonté de deux petits amours tenant une couronne qui figuroit celle du pouvoir. Le fini, le précieux de tous ces ornemens auroit été digne de ses vers ; mais auroient-ils pu atteindre à la description de tant de richesses ? Pope eût été aussi embarrassé que l’auteur qui voudroit décrire le nouveau pavillon de Lucienne, où tout ce qu’a pu imaginer la fantaisie raffinée du luxe est rassemblé au premier degré.

Ah, si l’on pouvoit devenir un des Sylphes dont parle le poëte Anglois, & assister invisible à telle toilette ! On en sauroit plus en une heure, que n’en disent toutes les anecdotes, que n’en font entrevoir toutes les conjectures.

Un seul témoin vaut mieux que cent gazettes.
Dieux ! faites parler les toilettes,
Et nous saurons le secret des états.