Tableau de Paris/504

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CHAPITRE DIV.

Les Rogations.


Cest une fête bien touchante que celle où la religion va trouver le laboureur au milieu des champs, où les prêtres traversent les guérets, pour demander au Dieu qui nourrit les humains, de fertiliser la terre, de faire descendre la rosée du ciel sur les semences, d’accorder au cultivateur des récoltes propices !

Quoi de plus auguste que ces cantiques offerts sous la voûte des cieux, qui montent vers l’Être suprême, qui implorent les véritables richesses, le froment nourriture premiere, & les fruits savoureux ! La religion alors se montre comme nourrice de ses nombreux enfans, comme médiatrice entre le ciel & la terre, & semble tout-à-au-fois promettre & appeller l’abondance.

La ville est devenue si grande, que les prêtres ne peuvent plus visiter les champs trop éloignés. Ils font le tour des charniers, ils se promenent sur un pavé sec ou fangeux, mais dès qu’on ne voit plus flotter les bannieres à côté des épis, cette fête a perdu ce qu’elle avoit d’imposant.

Il est inutile de traverser des rues bordées de chapeliers & de marchandes de modes, pour rappeller une fête rustique, où l’on rendoit hommage au Créateur au milieu du verd naissant des prés.

Sans les bleds nouveaux, & qui annoncent une seve active, cette cérémonie devient seche. L’homme a vu ses travaux bouleversés par le caprice des élémens ; il a craint, il a levé les mains vers l’Être qui dispense les rayons du soleil. Mais la procession dans les rues pierreuses de la ville a perdu toute sa dignité, tout son charme, & l’on n’entend plus qu’avec froideur, dans la rue Saint-Honoré, les chants qui dans les sentiers des haies fleuries auroient fait couler une larme de ferveur & de joie : car l’espérance n’est que le desir, & voilà le plus pur trésor de l’homme.

L’opulent ne voit-il pas le prix du froment avec une souveraine indifférence ? N’est-il pas tenté de rire, quand il rencontre la procession qui demande du pain à celui qui fait croître le bled ? Pourquoi donc profaner cette antique & religieuse cérémonie devant la porte orgueilleuse de tant d’hommes durs, ingrats & sans yeux, qui précipiteroient leurs chevaux sur la foule suppliante pour arriver un instant plus tôt à la bourse ? Allons voir cette fête à la campagne. L’humble curé du village faisant le tour des champs, est alors plus grand que le pontife de la capitale.