Tableau de Paris/506

La bibliothèque libre.

CHAPITRE DVI.

Jurés-Crieurs.


Ils ont une ordonnance de Charles V, qui les autorise dans la possession & jouissance de fournir aux obseques & funérailles les manteaux noirs, les draps, velours & tentures, dont on tapisse la maison du mort & le lieu de sa sépulture. Un juré-crieur peut répéter ce vers de la comédie :

Je ne puis être heureux qu’à force de trépas.

Quand il voit passer dans son équipage un être bien vivant, bien portant, il songe à sa pompe funebre, & de quelle maniere il arrangera, avec tout le goût possible, sa chapelle funéraire.

Les curés & fabriques de Paris vouloient fournir aux morts toutes les décorations sépulcrales ; mais les jurés-crieurs sont venus avec une déclaration & un édit à la main, leur prouver que les ornemens du cercueil les regardoient ; que c’étoit à eux d’embellir le sarcophage, de donner des pleureuses aux parens ; que le curé n’avoit que le droit d’entonner le De profundis, d’allumer les cierges ; enfin, que le tarif de leurs droits leur étoit particulier.

Autrefois le juré-crieur se couvroit d’un habillement fort bizarre, pour assister aux cérémonies funebres. L’héritier qui jouoit la douleur, ne pouvoit s’empêcher de rire, & on le voyoit à travers son long crêpe. Les héritiers n’ont plus voulu qu’on surprît ainsi le fond de leur ame ; & pour avoir l’air sérieux, les jurés-crieurs ont pris la robe des avocats.

On diroit que le procès pour la succession va commencer sur la tombe du mort. Mais patience ; après la robe, les avocats viendront. Tout ce qui porte robe noire vit de décès ; & si le juré-crieur préleve sa part immédiatement après le curé, elle ne sera pas la plus considérable.

Quand le défunt a des armes, le juré-crieur est obligé de les porter à l’enterrement, peintes en carton, sur sa poitrine ; car un mort illustre n’abandonne point encore le blason dans le dernier rôle qu’il joue aux yeux des vivans.

Les faiseurs d’oraisons funebres ne sont-ils pas des especes de jurés-crieurs, qui proclament les prétendues qualités du mort avec autant d’étalage que ceux-ci exposent ses armoiries ?