Tableau de Paris/507

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CHAPITRE DVII.

Confesseurs.


Si l’habitude d’aller à confesse se perd insensiblement ; si elle est totalement éteinte dans les classes supérieures, ce n’est pas faute de confesseurs. Ils sont en surplis dans les confessionnaux qui sont adossés aux piliers des églises. Leur présence vous invite à y entrer ; vous n’avez qu’à vous agenouiller.

Le prêtre entend les péchés par une petite fenêtre grillée. Un numéro distingue les confessionnaux, afin que vous sachiez à qui vous devez achever votre confession commencée, & que vous n’alliez pas demander l’absolution à un prêtre qui pourroit vous dire, nescio vos.

Des deux côtés sont deux grouppes de pécheurs qui attendent leur tour ; c’est à qui passera, & quelquefois il y a dispute pour savoir à qui se plongera dans la boîte. On murmure hautement contre ceux qui occupent le confessionnal trop long-tems. La fille qui va à confesse avec sa mere, a soin d’abréger, & celle-ci en fait autant de son côté : le tout pour prévenir certaines réflexions mentales.

Les confesseurs achalandés n’en sont pas peu fiers ; & quand ils ouvrent leur niche en boiserie, ils regardent d’un œil satisfait le troupeau demi-contrit des pénitens, ayant livre ou chapelet en main.

Il est composé ordinairement de quelques bourgeoises hypocrites ou sinceres, de plusieurs vieillards qui songent à leur fin, & de beaucoup de servantes qui passeroient pour voleuses aux yeux de leurs maîtresses, si elles ne se confessoient pas. On y mene de force les écoliers ; & quand le confesseur en a entendu un, il sait la confession de toute la bande.

Quelques confesseurs se plaisent dans les fonctions secretes de leur ministere. Ils peuvent faire du bien ; ils peuvent faire du mal ; c’est selon le caractere de l’homme. Il y en a qui se dévouent au soin d’écurer les consciences des crocheteurs, des fiacres & des savoyards. De gros péchés bien lourds tombent cruement dans leurs oreilles non épouvantées, tandis qu’à deux pas de là des péchés délicatement voilés, qu’on fait entrevoir plutôt qu’on ne les avoue, frisent légérement son nerf auditif sans le blesser.

Une marquise, quand elle est aux pieds du prêtre, doit-elle se confesser comme une harangere ? Si l’absolution est la même, le ton du confiteor n’est-il pas différent ?

Mais la confession d’une femme de qualité est une bonne fortune qui arrive rarement à un prêtre de paroisse. Les confesseurs ordinaires ont perdu la carte de leurs péchés ingénieux & mignons ; ils ne sont bien au fait que des péchés vulgaires, qui ne varient point dans la masse du peuple, lequel prévarique plutôt par habitude que par goût.

Souvent on a négligé d’entrer dans un confessionnal depuis douze ou quinze années, mais on devient amoureux, on veut se marier. On croit le lendemain aller d’emblée à l’autel, donner la main à son amante chérie, & de là entrer au lit nuptial ; mais sans billet de confession, point de sacrement, point de jouissances conjugales. L’instant du bonheur est retardé, l’amant s’inquiete. Son amante lui dit en riant : êtes-vous confessé ? Cela ne me coûte rien à moi, confessez-vous. À qui s’adressera-t-il ? Tout est prêt, la dot, le festin, le bouquet, l’épousée, & il n’aura rien s’il ne se confesse préalablement.

C’est alors que, rodant dans une église, il avise du coin de l’œil un confessionnal garni de son prêtre. Il le lorgne, il y entre furtivement avec une sorte d’embarras ; mais l’amour qui fait des miracles de toute espece, l’oblige à dire à mains jointes le confiteor.

Il l’a oublié : il sait qu’il est amoureux & pressé ; voilà tout. Sa mémoire, ornée de madrigaux, n’a retenu aucune formule pénitente. Il ne diroit pas mieux son credo ni son pater ; c’est cependant un bel-esprit. Mais les confesseurs aguerris sont accoutumés à voir arriver ainsi les épouseurs la veille de leur mariage. Ils les devinent, & en général ils les traitent honnêtement, satisfaits qu’ils sont de cette soumission passagere à l’église, & de cet hommage, quoiqu’un peu forcé, rendu à son pouvoir.

Ils délivrent de bonne grace le billet de confession, sans lequel ils savent bien que l’on ne pourroit serrer le lien dont on attend son bonheur.

Le prêtre raisonne. S’il a la complaisance de donner le billet, il sait qu’il sera suivi d’une messe, puis d’un baptême, & que l’église en profitera.

Un confesseur en ayant ainsi bien usé envers un épouseur, celui-ci tenant son billet de confession, crut qu’il seroit plaisant de revenir sur ses pas & de dire au prêtre : je ne sais, monsieur, si je suis bien confessé ; vous avez oublié de me donner une pénitence. Le confesseur, homme d’esprit, repartit : ne m’avez-vous pas dit, monsieur, que vous alliez vous marier ?

On a calomnié les confesseurs, en disant que quelques moines vendoient ces indispensables billets pour un écu de six livres & une bouteille de vin. Il n’y a point d’homme qui consente à déshonorer son état, sa personne & son couvent, à l’appât d’une somme aussi modique. Une exception scandaleuse ne doit pas être prise pour l’usage.

Il est plus décent, au lieu de recourir à ce détour, d’aller trouver un prêtre, de lui dire nettement de quoi il s’agit ; & sur vingt ecclésiastiques, dix-neuf vous serviront avec une politesse noble, & vous n’aurez point à vous plaindre.

Aucun prêtre ne peut confesser sans le pouvoir de son archevêque. Les filles de Sainte-Catherine, rue Saint-Denis, ayant refusé le confesseur que feu Christophe de Beaumont leur avoit envoyé, & celui-ci s’obstinant à ne point lever l’interdiction du prêtre qu’elles demandoient, ces saintes filles ont passé plusieurs années sans se confesser ni communier. Elles ont attendu sa mort, & le nouvel archevêque vient de leur rendre le prêtre interdit.